Et ton traitement ?

Dandelion
12 min readJun 20, 2020

Dans le cul ton traitement putain…
[coup de gueule]

Des fois je vais mal. Comme tout le monde finalement non ? On a toustes des moments de down, des moments de colères, de déprime, de noirceur. Et s’il y a des pics de bonheur, il y a des abysses de désespoir. Certain·es ne font qu’y passer, d’autres s’y attardent. Rien de bien nouveau sous le soleil.

Je suis schizophrène, et je ne sais pas si on peut me dire militant, je m’en tape un peu de l’étiquette. Mais j’ai fait le choix d’en parler plus publiquement. De produire un blog, d’en parler sur twitter. De donner aux autres ce que je n’ai pas eu à l’époque : la certitude de ne pas être seul·e, la sensation qu’il y a d’autres gens comme elleux. Mais aussi qu’il y a d’autres chemins, qu’on est pas condamné. L’une de mes difficultés, c’est de ne pas virer inspiration porn. En gros, donner l’espoir qu’il y a une lumière au bout du tunnel, sans tomber dans le “mais non on peut faire des GRANDES choses aussi !”. Parce que c’est toujours le discours qu’on se bouffe… en gros c’est Psychose ou Un homme d’exception, pas de juste milieu. Or on a le droit d’être heureuxse en vivant tranquille sa vie dans son canapé sans être exceptionnel, ni pour autant être considéré comme une sous-merde. Donc si je tiens à dire que j’ai réussi à faire des études et monter des projets, je trouve important aussi de dire que des fois ça va mal. Et quand je vais mal… je fais des crises, j’ai des hallus, beaucoup d’hallus, les voix deviennent douloureuses et ingérables, vagues de paranoïa et d’idées délirantes, et possible self-harm. C’est comme ça que se traduit mon mal-être. Je trouve important de le dire, parce que ça permet de rappeler que la vie n’est pas une ligne droite, que je suis pas parfait, que j’ai pas tout résolu, et que ces choses-là, les hallus la paranoïa les délires, ça fait partie de la vie. At least, ça fait partie de ma vie, et de celles des gens comme moi. Bref, c’est ma façon de tenir l’équilibre dans ce que je donne à voir, de n’être ni Norman Bates ni John Nash. D’être juste Dandelion, un humain avec des bons et des mauvais jours, parce que les schizophrènes sont des humain·es comme tous les autres, et que mine de rien, on en est encore à devoir rappeler ça. Y compris aux concerné·es. (bon en vrai certain·es de mes potes disent que je tiens plus du dragon coincé dans un corps d’humain, mais ça c’est une autre histoire)

Et pourquoi il faut le rappeler aussi aux concerné·es ? Oh bah je sais pas tiens… peut-être qu’une des raisons c’est la raison de cet article !

Parce qu’à chaque fois que j’exprime que ça va mal, donc que je dis avoir plus d’hallu, ou de délire, ou de paranoïa, ou de dysmorphophobie, il y a toujours quelqu’un de bien attention pour me demander si j’ai moyen d’ajuster mon traitement.

Pas “est-ce que tu prends un traitement ? Peut-être qu’il y a un soucis dedans…”
Encore moins “es-tu à a recherche de solution à laquelle je pourrai contribuer ?”
Ou encore “y a-t-il des choses à faire pour apaiser ?”
Et quasiment jamais “tu sais ce qui a pu causer ça ?”

Non.
“Peut-être qu’il faut ajuster ton traitement.”
Tellement de problèmes en si peu de mots, c’est impressionnant de concision…

Problème 1 : c’est un conseil non sollicité

Bon je passe rapidement. Et je vous laisse avec l’excellente vidéo de Vivre Avec sur le sujet qui explique très bien en quoi c’est un problème. Parce que bon, j’en ai aussi un peu marre de me faire envoyer chier quand je réponds que la question est déplacée. (tant d’altruisme, ça me touche vraiment tiens)

Problème 2 : on présume que je suis forcément sous traitement

C’est impressionnant non ? C’est pas “as-tu un traitement ?” mais bien “ajuste ton traitement”. Juste… lol ? C’est un problème énorme. Parce que je suis schizo, on part du principe que je suis forcément sous traitement. Ça ne traverse l’esprit de personne qu’il pourrait en être autrement. Guess what ? Jsuis pas une licorne. (un dragon éventuellement, mais pas une licorne, rien à voir) J’existe. Je suis schizo et je ne prends pas de médicaments. Et je suis loin d’être le seul.

Pour beaucoup, vous êtes incapable de penser cette hypothèse. Psy, soignant·es, proches, randoms… toustes dans le même sac : schizo = traitement. Qu’importe que les études montrent que les anti-psychotiques sont efficaces sur le court-terme et que passé quelques mois ils font plus de mal que de bien, on nous a à toustes chanter ce refrain : ça ira bien si tu prends bien ton traitement. Les campagnes de déstigmatisation porte là-dessus. La moindre interview Kombini et consors porte ce discours-là, vidéos où soignant·es comme concerné·es nous racontent le même parcours où une fois que tu as trouvé le traitement qui te va, tout va. “It’s as simple as can be”. Le moindre article de journal sur le moindre fait divers nous balance l’habituel “iel avait arrêté son traitement”. Toujours partout la même narration, dans toutes les bouches de tout le monde. Au point qu’il en devient imaginable qu’on puisse être schizo sans traitement.

Sauf que j’existe. Et d’autres comme moi existe. Et on est bien plus nombreuxses que vous le croyez. J’irai pas dire à quelqu’un qui est satisfait de son traitement de le tej. J’apprécierai qu’on me rende la pareille. Je suis pour le choix de chacun·e. Et j’ai choisi. Deal with it.

Oui, on peut trouver le bon traitement et fonctionner comme ça.
Oui, on peut décider que les médocs ne sont pas une solution pour soi et faire autrement.
Arrêtez de partir du principe qu’on est forcément sous traitement parce que schizo.

Anti-depressant controling tools of our system, making life more tolerable, making life more tolerable…

Problème 3 : I HAVE REAL FEELINGS

Alors vous allez trouver ça incroyable… mais c’est pas parce que je suis schizo qu’il n’y a pas une vraie cause à mon mal-être ! Ma schizophrénie influe sur la façon que mon cerveau a de gérer ça. Hallucination, dysmorphophobie, paranoïa, idées délirantes… c’est juste une forme que prenne mes émotions quand je n’y ai plus accès ou que je ne sais plus les gérer. Elles sortent pas de nulle part.

Quand on me dit d’ajuster mon traitement plutôt que de se demander s’il y a une cause, on efface encore la légitimité de mes émotions, de ma souffrance. En février, mon burn out a éclaté… jle traînais depuis un mois et demi il faut dire. Les proches insistants, je me suis traîné chez une toubib. Qui m’a prescrit des anti-dépresseurs sans évoquer l’arrêt maladie. Les anti-dépresseurs, ça peut être utiles (à d’autres), mais ça ne va pas : résoudre la précarité, changer le système universitaire qui m’exploite, me faire trouver un boulot stable, régler mes problèmes avec la CAF / la MDPH, ni stopper le dérèglement climatique et l’autoritarisme qui gronde toujours plus fort, pas plus que ça n’empêchera le harcèlement de rue auquel je dois faire face dès que je sors de chez moi, ni aucune des autres sources d’angoisse. Non. Rien de tout ça. Mais bon, j’irai bosser, so I guess there’s always that…

Là c’est pareil.
La paranoïa chez moi, c’est aussi une réponse quand je ne me sens plus à ma place, quand on m’en demande trop et que je me sens pas à la hauteur, quand j’ai plus de maison. C’est une réponse logique à un problème bien concret.
Les vagues délirantes se mettent en place quand la réalité est devenue trop insupportable, insurmontable et ingérable. C’est un système de défense.
La dysmorphophobie c’est jamais que la traduction du “je suis pas bien dans ma peau”.
Les hallucinations une langue à part entière pour essayer de faire sens de ça. Pour leur donner une forme concrète, matérielle.

Il y a une cause derrière tout ça. Des vrais problèmes. Dont une bonne partie que je ne peux pas résoudre parce que pas dans mes mains. Considérer que je vais mal parce que mon traitement serait mal ajusté, c’est nier tout ça. C’est balayer ma souffrance d’un revers de main, c’est me réduire à un tas de chimie mal ajusté, comme si parce que je suis schizo, je ne pouvais pas avoir des raisons légitimes d’aller mal.

Allez vous faire foutre putain.
Je suis schizo, j’ai des vraies émotions. Et il en va de même pour les schizos sous traitement. Et pour toutes les autres personnes avec une neuroatypie / maladie mentale.

Take the pill that keeps you quiet
Take the pill that keeps you blind
Take the pill that wipes your memory
Take the pill that’s fucking with your mind
That’s all you have to lose
Ha! That’s funny

Problème 4 : les médocs chez moi, c’est un trauma

C’est la preuve que les soignant·es n’écoutent pas. “Ça se voit que ça vous fait du bien vous êtes plus calme”. Mais à quel moment mon nom calme a été un problème ? Jamais. C’était même plutôt l’inverse d’ailleurs… Oh et que dire de cet échange :

moi : J’ai peur de plus pouvoir dormir quand je serai plus sous traitement. L’autre jour je l’ai oublié et j’ai mis très longtemps à dormir et ça arrivait plus depuis que je suis sous traitement… est-ce que les médicaments vont avoir abîmé mon sommeil pour de bon ?
psy : il faut pas l’oublier ! Vraiment jamais !

Fin de l’échange.
Pas de prise en compte de mon angoisse (alors que les problèmes de sommeil sont au centre chez moi au point que ça a retardé la suspicion de psychose.), pas d’explication de ce qui a pu causer ça, encore moins de rassurage. Que dalle. Juste le rappel de l’obligation. Obligation passant au dessus de tout le reste.

La première fois de ma vie que j’ai pris la pilule (contraceptive), y avait aucun but contraceptif impliqué. Non. Juste que les anti-psychotiques m’avaient tellement bousillé l’organisme que ça faisait huit mois que j’avais pas eu mes règles. La médecin m’a prescrit la pilule pour relancer la machine. Sauf que le mois suivant, je les avais toujours pas eu. Alors elle m’a filé une plaquette en me disant d’en prendre trois par jour pour redéclencher les choses et pouvoir commencer à prendre la pilule pour de vrai. Quand t’as 18 ans, que tout le monde autour de toi a une vie sexuelle / amoureuse, que tu te bouffes des injonctions continuellement pour avoir la même (y compris venant des soignant·es), et qu’on te file la pilule pas parce qu’éventuellement tu vas coucher, que t’as envie de coucher et que quelqu’un a envie de coucher avec toi, mais parce que ton corps n’est plus capable de fonctionner tout seul, jte raconte pas ce que ça fait à ton estime de toi (qui était déjà florissante bien sûr). Mais bon vous me direz, c’est pas grave. J’avais plus aucune envie. Et même la masturbation ça marchait plus.

Mes mains tremblaient. Alors on m’a filé d’autres médocs pour que mes mains arrêtent de trembler.
Ma mémoire sautait. Y a littéralement un an de ma vie qui a disparu.

J’ai pris énormément de poids. Et c’est pas la prise de poids en elle-même le problème. C’est la dysmorphophobie que j’avais déjà à la base, et qui voit se corps changer encore et encore, sans que je ne contrôle rien, sans qu’en échange on ne m’offre le moindre soulagement. Mon corps qui se déforme, tremble et sue. Avoir le haut du corps gelé et le bas du corps brûlant de chaleur. Ne plus se reconnaître. Jamais.

Mais quand tu le dis, c’est pas grave. Parce que t’es calme.

C’est mon estomac qui brûle de plus en plus. Au point de ne plus pouvoir manger. La gorge brûlée par l’acide. Mes potes qui m’embarquent aux urgences en pleine nuit tellement j’ai mal. Les fibros qui ne trouvent rien. Et comme mon historique médical indique “risperdal”, on en conclue que c’est dans ma tête. On me fait une ordonnance pour du gaviscon. Quand je refuse en disant que je le vomis automatiquement, on considère que je suis en refus de soin. Je repars avec mes douleurs. Et que dalle pour aider. Des années plus tard, je découvre qu’il s’agit d’un effet secondaire COURANT des anti-psychotiques. Ces mêmes anti-psychotiques qui pour nombre de soignant·es étaient la preuve qu’on ne pouvait pas me croire, que c’était dans ma tête. Highly ironique. On m’a laissé le ventre en feu à avoir mal à pas pouvoir manger autre chose que du riz pour espérer apaiser la brûlure.

Alors en tout logique, le peu d’effet qu’avaient eu les médocs ont fini par disparaître. Les voix ont hurlé de plus en plus fort. Parce que ça nous rendait malade, parce que ça nous abîmait. Et quand j’expliquais ça aux soignant·es, on augmentait mon dosage. Et les voix hurlaient de plus en plus fort tandis que mon corps s’alourdissait, se déformait, se déréglait, se brisait de plus en plus sous les effets secondaires.

Alors la Folie a décidé qu’il fallait agir. Plus les psys augmentaient la dose, plus on coupait profond. Parce qu’il fallait à tout prix virer la boue noire qui nous pourrissait les veines et allait finir par nous tuer. Si on arrivait à virer tout le sang, on arriverait à se débarrasser de la chimie. Ironique non ? On était pas suicidaire, mais oui, on a failli crever. (mais ça s’est pas vu parce qu’on a jamais dit qu’on voulait mourir, alors on était pas surveillé à ce niveau, ça n’a jamais fait partie des risques pour elleux)

On a dit “les médicaments nous rendent malades” on nous a répondu “on peut vous les faire en injection”. On a refusé. On nous accusé d’être dans le déni, en refus de soin. Être sous traitement, c’était leur remettre les clés de notre corps et de notre tête, c’était perdre tout droit dessus. Pour quelqu’un qui délirait d’avoir des pensées dans sa tête pas à elle, je vous laisse imaginer l’enfer qu’on a vécu…

Et le pire, c’est qu’on a mis un temps fou à arrêter par nous-mêmes. Parce que oui, iels avaient réussi à nous convaincre qu’il y avait que ça pour aller mieux. Nous aussi on avait fini par l’avaler la couleuvre qu’il y avait pas de vie heureuse pour nous sans la chimie.

Aujourd’hui encore, quand on traverse des périodes comme ça, on doute. Alors qu’aujourd’hui on sait. On sait que les effets secondaires nous ont brisé en offrant tellement peu en échange. On sait qu’on a refusé de nous soigner à cause de ça. On sait qu’ils ont nourri la Folie au lieu de la contrer. On sait qu’une partie des comportements auto-destructeurs qu’on a eu à l’époque étaient dictés par une volonté de se purger de ça.

On sait.
Et pourtant, vous arrivez encore à nous faire douter.

Quand des gens expliquent qu’iels ont besoin de leur traitement, que vraiment c’est essentiel pour elleux, jviens pas leur foutre les études sous le nez ou argumenter comment leur vie serait mieux sans. Non. Je respecte leur choix. J’aide mes proches à se souvenir de les prendre. Je prends connaissances de leurs directives anticipées en cas d’internement, et ça comprend les molécules qu’iels acceptent ou non. Je juge pas. Je prétends pas mieux savoir. Je sais juste ce qui est bon pour moi. Et j’apprécierai qu’on me rende la politesse putain. :

Un signal piéton pour traverser, avec la main rouge allumée, interdisant donc le passage
Photo by Kai Pilger on Unsplash

Tout le temps partout. C’est la première question qu’on me pose. Les randoms sur twitter. La médecin du travail (qui me refuse toute aide à cause de ça). N’importe quel soignant·e. Le mec avec qui je commence à sortir. Tout le monde. Et tout le monde pense mieux savoir que moi. Et même quand je dis que j’ai failli crever, que ça a failli me tuer, ça suffit pas toujours. “c’était sans doute pas la bonne molécule pour toi”. Mais aller vous faire foutre putain… vraiment… j’ai plus l’énergie de tourner ça poliment et joliment et politiquement… juste aller vous faire foutre. Parce qu’à chaque fois ce que j’entends, c’est que vous préféreriez que je prenne le risque de crever pour prouver que vous avez raison. Mais c’est pour mon bien il paraît. Je vous déteste. Vous nous avez fait ça… Aujourd’hui même prendre juste un doliprane pour éviter que le mal de tête vire à la migraine, c’est une négociation sans fin (qui laisse ainsi le temps à la migraine d’apparaître). Aujourd’hui aller voir un·e médecin c’est dur parce qu’on sait que si iel se rend compte qu’on est schizo, on nous écoutera pas. Et on passera toute la consult à s’entendre dire qu’on devrait prendre des AP alors qu’on était venu pour les douleurs mystérieuses qui nous empêche de marcher.

J’en ai marre que vous effaciez toutes les épreuves qu’on a vécu à cause de vos merdes de pilules juste parce que vous êtes pas foutus d’envisager un autre possible pour les gens comme moi. Alors si tout ce que vous avez à me proposer pour m’aider c’est d’ajuster mon traitement, fermez vos gueules. Arrêtez de m’aider. Vous m’aidez pas. Et toute façon je vous avais rien demandé…

See you in hell.

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Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.