Aujourd’hui, on va parler entente de voix, une expérience souvent mal comprise. Il faut dire que quand on ne le vit pas, ce n’est pas évident de s’imaginer ce que c’est. On parle souvent de ces gens “qui parlent tout seuls dans la rue” et qu’on évite (on vous voit changer de trottoirs et/ou vous moquer vous savez). Autant dire qu’encore une fois, on ne parle pas de la vraie expérience des concerncé·es…
Alors que vivent les entendeureuses de voix ? Comment ça se passe ? Comment ça se gère ? D’où ça vient ? À quoi ça ressemble ?etc etc
Rappels et précisions d’usage :
Qu’est-ce qu’on appelle l’entente de voix ? Très simplement, c’est le fait d’entendre des voix, des sons, qui ne sont pas là. On peut souvent étendre à d’autres sensations qui vont de pairs (visions, sensations olfactives et toucher)
Sachez qu’en vrai, c’est quelque chose de très commun. Les études varient, mais on parle de 3 à 10% de la population. Pour vous donner un ordre d’idée, 10%, c’est la proportion de gauchers. On a donc presque autant de gauchers que de gens qui entendent des voix. Finalement, c’est plutôt banal d’entendre des voix. Le Hearing Voices Movement (dont je parlerai plus en détail plus tard) explique même que selon certaines études, si on ajoute l’entente occasionnelle, soit toutes les personnes qui entendent parfois qu’on les appelle alors que non, ou qui sentent leur téléphone vibrer dans leur poche alors qu’il n’y est pas, on monte à 75%. En gros, le nombre de gens concernés est de l’ordre de la majorité… L’entente de voix est une expérience bien plus commune qu’il n’y paraît au premier abord. La différence se place donc, encore une fois, sur la fréquence et l’intensité. La différence entre vous et moi, c’est que s’il vous arrive d’avoir des hallucinations à l’occasion (fièvre, fatigue, consommation de substances), les miennes sont quotidiennes et rentrent dans le cadre d’un fonctionnement bien précis.
Devant ces chiffres, vous vous dites peut-être que ça ne colle pas. En effet, il est fort probable que vous associez entente de voix et schizophrénie. Or, la schizophrénie c’est 1% de la population, donc même en prenant la fourchette basse de 3% de la population concernés par l’entente de voix, il n’y a pas de corrélation. Alors n’y a-t-il point un soucis dans ces chiffres ?
Nope. Il y a un soucis dans l’image qu’on a de la schizophrénie et de l’entente de voix. L’entente de voix ne concerne pas exclusivement les schizophrènes, elle ne concerne même pas exclusivement les neuroatypiques, elle concerne tout le monde. L’entente de voix n’est même pas nécessairement associée à la maladie mentale. Selon le Hearing Voice Movement (maintenant abrégé HVM), il faudrait même arrêter de la considérer comme un “symptôme” à éradiquer. C’est aussi ma position (de base, j’aimerais bien qu’on arrête de considérer tout ce qui fait ma pensée et mon fonctionnement comme un “symptôme”, ça commence à sérieusement me peser). Pour les membres d’HMV, les voix sont une réactions saines à une situation qui ne l’est pas. Ce n’est pas une chose à éradiquer, mais au contraire une chose à explorer.
Un beau TED talk pour t’en parler mieux. (un TED talk qui m’a sauvé la peau, même si j’avais déjà commencé ce processus depuis quelques années… mais avec le soutien de… personne.) Sous-titres français disponibles
Entendre des voix n’est donc pas nécessairement un signe de maladie. On peut entendre des voix sans être schizophrène. Et on peut être schizophrène sans entendre de voix. (la vie est tellement plus riche que ce que les clichés racontent, c’est fascinant !) Chaque expérience de schizophrénie est différente. Chaque expérience d’entente de voix est différente. Il se trouve que je suis schizophrène ET que j’entends des voix. J’insiste sur le “et” non pour faire genre que c’est pire qu’une autre forme de schizophrénie ou d’entente de voix, mais pour insister, encore une fois, sur le fait que ça peut être un “ou”. Et que forcément, ça teinte mon expérience d’une façon différente d’une personne qui n’est que schizophrène ou entendeureuse de voix.
Tout ça pour dire qu’à partir de maintenant, nous quittons le tableau général pour discuter de ma propre expérience. Qui vaut ce qu’elle vaut. Et si j’insiste autant c’est parce qu’il est essentiel que vous compreniez ça : cet article peut vous donner des éléments pour comprendre, mais il n’est pas à appliquer de A à Z sur vos proches concernés. (ça va paraître évident à plein de gens, mais je sais à quel point ça l’est pas du tout pour d’autres…)
Grandir avec des voix
Contrairement à Eleanor Longden, j’ai du mal à estimer la première fois que j’ai entendu des voix… J’ai des souvenirs très clairs et vifs qui apparaissent autour de mes 16 ans. Mais quand je reconstitue la ligne, je me rends compte que certaines voix sont bien plus vieilles, comme si elles avaient toujours été là. Je fais donc partie des gens qui ont sans doute toujours entendu des voix (sous-entendus des voix que j’étais le seul à entendre) mais n’ont pris conscience de la non normalité de la chose que quand elles ont dégénéré. Enfin plus précisément, c’est pas tellement que j’ai pris conscience que c’était pas normal d’entendre des voix, c’est qu’elles m’ont mis en souffrance.
Avec le recul, elles ont toujours eu une présence de conseil. Je voyais ça comme un instinct. “Attention derrière” “On n’entre pas” “Recule” “non”. Etc. Simple rapide. Mais vers 15–16 ans, elles sont devenues agressives. Et insultantes. Pour le coup elles ne faisaient plus partie du décor, elles prenaient toute la place. “Ils veulent tous que tu meurs” “tu prends trop de place” “t’es tordu” “tu vas finir toute seule” “toute façon ils te détestent tous,ou alors ils s’en foutent” “ta gueule, putain ferme ta gueule, ça intéresse personne ce que tu dis ferme ta putain de gueule” “souris ordure” “tu fais exprès d’être moche comme ça ?” “putain mais t’es stupide c’est pas possible d’être aussi conne bordel !”
Et celles-ci, c’est juste celles qui tiennent en mots. (d’ailleurs, si vous lisez mon travail d’auteur depuis longtemps, vous avez sans doute déjà vu passer plusieurs de ces injonctions dans mes écrits, c’est vous dire à quel point elles font partie de mon paysage intérieur…) Parce que pendant longtemps j’avais interdiction formelle de dire quoi que ce soit à ce sujet. Les psys n’ont donc jamais rien su du discours des voix. Pour leur défense, la plupart n’a jamais demandé (attends c’est une défense ou une attaque ça ? nan parce que quand t’es suivi pour entendre des voix et que personne pense à demander ce qu’elles racontent, c’est curieux quand même)(les voix de la psy sont impénétrables). Il y en a encore pas mal d’autres, mais je supporterai pas de me forcer à l’écrire. Si aujourd’hui c’est moins fréquent, à l’époque, j’avais le droit à ce discours à longueur de journée. Ça a été ma toile de fond pendant des années. Spoiler alert : aucun anti-psychotique n’a jamais rien fait quant à l’entente de voix. Ça a même empiré les choses. Les voix s’en battaient la race et se foutaient de ma gueule de me voir prendre des médicaments “tu vois bien que t’es mal foutu ! t’es tellement pas foutu de penser droit on est obligé de te gaver de pilules. ET ÇA CHANGE RIEN” “PAUVRE FILLE !” par contre, les médicaments ont accentué l’apathie et mon incapacité à penser, et donc à mobiliser des défenses face aux attaques constantes que je subissais. Un peu comme se retrouver nu au milieu d’un champ de bataille : tu vas pas loin. J’ai essayé maladroitement à l’époque de dire que les médicaments me rendaient encore plus malade, car c’était ce que les voix disaient, mais aucun médecin / psy ne m’a écouté. Au contraire, c’était la preuve qu’il fallait augmenter les dosages et continuer.
Comme Eleonor, il a fallu que j’apprenne à ne pas comprendre mes voix au premier degré. Il a donc fallu apprendre à parler la langue des voix… C’est-à-dire apprendre à passer outre le message vraiment dit pour accéder à celui qu’elles voulaient transmettre. Et c’était pas facile d’accepter de démonter toute la saleté qu’elles avaient à dire sur mon compte… Ça a été des moments très douloureux aussi (et j’ai pas tout fini, le “on n’entre pas”, soit la plus vieille, reste un mystère). Dans la vidéo, Eleonor explique que chaque voix était connectée à un événement, potentiellement traumatique. Ce n’est pas tellement le scénario en vigueur chez moi. À force de démonter, je me suis rendu compte d’une chose pour ce qui est des voix négatives / agressives : une bonne partie des voix que j’entends ne disent pas ce que je pense, mais la pensée qu’on m’a imposée. J’ai subi du harcèlement scolaire de la maternelle jusqu’à la seconde. Une bonne partie du discours qu’elles me resservent s’ancrent dans les saloperies que je me suis pris dans la gueule année après année. À ceci il a fallu ajouter le sexisme ordinaire du monde, de mes “ami·es” et de ma famille. Et puis au cas où ça ne suffirait pas, rajoutons un petit peu de psychophobie voulez-vous. Le tout saupoudré d’un peu de cis-sexisme, histoire d’être bien sûr, et vous obtenez un beau terreau à voix dégénérées et agressives.
C’est là, entre autres, que schizophrénie et entente de voix se rejoignent pour moi. N’étant pas capable de poser une limite claire entre mon esprit, mon corps, et l’extérieur. J’ai tout absorbé telle une éponge. Un peu comme tout le monde en fait en vrai. La différence c’est que cette construction qu’on intègre sans s’en rendre compte, mon cerveau lui a donnée une forme concrète, réelle et palpable. Des voix agressives se sont alors chargées de reprendre les discours sous-entendus pour leur donner corps et être ainsi sûr que j’ai bien compris… Et c’est ainsi que face à toutes les injonctions de beauté, inatteignables, je suis devenu un être tordu et monstrueux, ce qui était confirmé par le fait que de toute façon les schizophrènes sont des monstres. CQFD. Et si je me sentais mal dans ma peau, dans mon corps, c’était uniquement parce que je n’acceptais pas le fait que j’étais un monstre et que je continuais de vouloir être autre chose.
Les voix étaient agressives car elles se retrouvaient porteuses d’un discours monstrueux gentiment perpétué par le monde dans lequel je vis et transmis par mes pairs. Ce qu’elles exprimaient, c’était mon incapacité à me plier à tous ces discours, toutes ses attentes, qui étaient aussi devenues les miennes finalement, mon incapacité à trouver ma place. Bref, un profond mal-être. Mais comme j’en ignorais la cause, elles s’en sont prises à moi, jusqu’à ce que j’écoute. Qui plus est, certains de ces discours ayant été violemment plantés dans ma tête dès le plus jeune âge, ils ont aussi battis ma vision et mon estime de moi. Inutile de vous dire que ça vaut pas grand chose…
En revenir n’a pas été facile. Et concrètement : c’est toujours pas complètement fait. C’est difficile de calmer ces voix-là, parce qu’au final, ce sont les miennes sans l’être. Ce sont mes voix, mais ce n’est pas mon discours qu’elles portent. Je les entends bien moins qu’à cette époque, c’est sûr… Dans les périodes d’accalmie, on essaie de remonter le fil, de trouver l’origine de ces discours-là. C’est pas évident, et les découvertes ne sont pas toujours agréables…
Il y a toujours les voix instinctives. Celles pour dire “danger” “recule” “n’y vas pas”. Et leur instinct est assez redoutable… J’ai appris à leur faire confiance. À leur laisser la place. J’ai accepté le fait que l’explication pouvait venir en décalé. J’ai aussi compris que toutes, mêmes les plus violentes, cherchaient à m’aider, à me protéger. Elles sont moi, je suis elles. Elles ont besoin de moi pour vivre. Elles sont obligées de m’aider à survivre. Simplement, certaines s’y prennent mal… comme un parent toxique.
Histoire de daemon
Je me rends compte que vous en parlez est compliqué. Comme une mise à nu. Il y a quelque chose d’extrêmement intime à vous parler de mes voix. Ce sont mes voix. Elles m’accompagnent jour après jour et depuis tellement longtemps maintenant. Elles étaient là quand toustes m’avaient laissé tomber. De la même façon qu’Eleonor, à cette époque terrible où elles participaient activement au cauchemar que je vivais, elles étaient à la fois outil de mon isolement, mais aussi les seules présentes. Notre relation était toxique, malsaine. J’ai eu le droit moi aussi au coup des épreuves, et j’y ai encore le droit à l’occasion. Mais aujourd’hui, la plupart du temps, on fonctionne bien ensemble. J’ai besoin d’elles et elles ont besoin de moi. Vous en parlez, c’est me mettre en danger, c’est les mettre en danger. Écrire ces mots, c’est nous mettre en danger.
C’est compliqué d’expliquer le lien. Alors je vais tricher et piquer à quelqu’un d’autre. Avez-vous lu la trilogie des Royaumes du nord de Philip Pullman ? Si non : nous suivons Lyra, une petite fille d’une douzaine d’années (j’ai un doute). Dans son monde, chacun vit avec un daemon, un petit être à forme animale qui représente une partie de ton âme. Quand tu es enfant, le daemon peut prendre toutes les formes possibles, lorsque tu deviens un adulte, il prend une forme définitive qui reflète l’essence de la personne. Il est tabou de toucher le daemon d’une autre personne. Si le lien entre un·e humain·e et son daemon est extrêmement fort au point qu’iels ne peuvent pas s’éloigner trop sans souffrance, le daemon n’en demeure pas moins un être indépendant, capable de raison, de désaccord, de réflexion. Qui plus est, un humain privé de son daemon devient finalement une coquille vide, apathique, plus proche du zombi. Le démon de Lyra s’appelle Pantalemon. Et pour moi les scènes les plus violentes ont toujours été celles des séparations (je t’en dis pas plus pour que t’ais le plaisir d’aller découvrir ces magnifiques livres !). J’en ai pleuré des nuits entières… Dans ses scènes il y a la souffrance physique, la détresse, la peur de l’abandon, la solitude, le froid.
Moi et mes voix c’est un peu ça finalement. Elles sont moi et elles ne sont pas moi en même temps. Le lien est fort. C’est terrifiant quand quelqu’un pourrait l’abîmer. C’est physique et c’est mental. Ce sont mes voix, et elles prennent la forme qui correspond à mon être à un instant T. Parfois agressives, parfois protectrices, parfois à égalité, parfois absente… Elles sont parfois encombrantes, mais je ne sais pas comment je pourrais fonctionner sans elles aujourd’hui.
Avant de commencer cet article, je vous ai demandé quelles pouvaient être vos questions sur l’entente de voix. C’est maintenant à tout ça que je vais tenter de répondre !
À quoi elles ressemblent ?
Vous vous avez été nombreuxses à m’interroger sur ce point-là, d’une façon ou d’une autre. Est-ce ma voix ? Celles de gens que je connais ? Elles sont reconnaissables ? Ont un caractère ? Un genre ? Des tics de langage ? Une prononciation particulière ? Un accent ? Elles n’ont rien de tout ça… pas d’identité de genre, elles n’en voient pas l’intérêt (elles en voit déjà pas l’intérêt chez moi ou les autres, elles voient pas ce qu’elles en feraient). Ce n’est pas la voix de gens que je connais. Quelqu’un m’a demandé si je les différenciais de ma voix intérieure (celle qu’on a plus ou moins toustes) et je dois avouer que cette distinction ne fait pas grand sens pour moi. Certes, il y a bien une voix dominante qui serait la mienne au milieu. Mais celle-ci n’a pas pour autant un statut de domination ou de supériorité. C’est un “je” qu’on a construit ensemble. On doit en être à quelque chose comme le 5ème je… (ça s’use vite ces bêtes-là !) En revanche, il y a des périodes où cette voix intérieure va être plus épaisse, et d’autres fois plus fine, car plus fragmentée. (répartition des masses).
Pour ce qui est des intonations, accents, etc. Je n’ai pas de réponse. Ça va vous demander un effort pour comprendre la suite, je vais faire de mon mieux mais c’est pas facile à explique. Pour moi, voix, sens, mots peuvent être trois entités bien distinctes. Si j’entends des voix, je n’entends pas pour autant les mots. Si vous voulez, c’est comme entendre des gens parler dans la pièce à côté. Vous avez le son, le ton, vous grapillez l’ambiance, mais vous n’avez pas la discussion. Parfois je n’ai que ça. Le sens et les mots vont venir par des voies détournées. Je vais voir les mots dans ma tête. Ou bien il y a des certitudes qui vont s’inscrire en moi (un peu comme dans un rêve où vous savez des choses sans qu’on vous ait donné les infos). Mais les trois peuvent être complètement indépendants. En gros, ça ressemble un peu à ça :
Le cercle bleu au centre me représente, corps et “voix principale”. Les croix violettes sont les voix, en tout cas la partie sonore. Elles sont liées au corps. Elles peuvent former aussi bien un ensemble solide que de petites entités éparpillées. La plupart du temps elles sont liées à moi, mais elles peuvent aussi être liées à moi (NB : j’ai volontairement fait beaucoup beaucoup de voix pour que vous visualisiez mieux, mais rappelez vous que le schéma n’est pas fixe. Il peut y avoir aussi bien trente voix en jeu qu’une seule). En pointillés rouges, les mots et le sens. Comme vous pouvez voir, ils peuvent exister aussi bien de façon indépendante, directement dans le corps (en s’inscrivant soit dans ma chaire soit dans mon sang en général, mais il m’arrive aussi de les voir), qu’en lien avec les voix qui ont alors pour mission de les porter. Pour ne pas surcharger le dessin, je n’ai pas séparé mots et sens, mais on aurait encore pu le faire…
D’où le fait que mes voix n’aient pas de noms, de caractères ou de genre… Elles ne sont que du sons. Si elles peuvent porter des idées ou des mots, elles n’ont pas besoin de ça pour exister. Leur variation s’exprime plus en nombre et en intensité que dans le reste… C’est plus le discours porté qui est reconnaissable. En gros vous m’entendez plutôt dire “encore la même rengaine” que “encore Gérard qui remet ça…”. Il m’arrive de les personnifier dans la fiction. Parce que si je devais vous expliquer tout ça à chaque fois… j’en sortirai pas ! (je suis même pas sûr que j’ai vraiment réussi à vous faire comprendre :s)
Réfléchir avec des voix ?
On m’a demandé comment je gérais ça pour écrire des articles, bosser la thèse, etc. En fait, c’est à la fois une ressource incroyable et un truc extrêmement handicapant. Pas de juste milieu… Comme beaucoup de neuroatypiques, j’ai du mal à hiérarchiser mes perceptions. Je suis sensible à tout ce qui se passe autour du moi et peine à filtrer. Et à ceci, mon cerveau rajoute des informations. Du coup, ça ressemble un peu ça :
Entendre des voix lorsque je réfléchis à un article, à ma thèse, me paraît de suivre plusieurs fils de pensées en même temps. Pour de la traduction par exemple, c’est super pratique. D’un côté, une voix va prendre en charge le texte dans sa langue source et une autre dans sa langue cible (et comme mon cerveau sépare naturellement voix / mot / sens, c’est hyper pratique pour traduire !). Chacune va être indépendante, me permettant de me promener entre les deux sans abîmer la structure d’aucun des deux fils. Même chose pour la thèse. Une voix va pouvoir se charger du fil linguistique, une autre de l’argumentaire théâtrale, une troisième va se charger de la sociologie, tandis qu’une autre aura en charge de garder un oeil sur mon corpus. Tout ceci me permet donc à la fois d’avoir une vue d’ensemble, sans tout mélanger, rendant possible la création de ponts théoriques (que du coup j’ai parfois du mal à justifier tant je VOIS la chose dans ma tête et que ça me paraît juste terriblement évident, genre comme vous annoncer “le feu brûle”) entre les différents éléments. Au besoin, les voix vont se multiplier pour couvrir plus de choses, ou de plus petites choses de façon plus précise, ou à l’inverse, se raréfier pour permettre un bilan plus général. Tout ça sans que j’en ai conscience, au sens où je ne me dis pas “là il me faut trois voix qui fassent ça”. C’est une simple ressource que mon cerveau met à ma disposition pour travailler. Et du coup… je réfléchis vite. Affreusement vite. Ce qui s’explique par le fait que je peux avoir trois ou quatre fils de réflexion en même temps (et quand je dis en même temps, c’est pas je commence à réfléchir à 1, je passe un peu à 2, reviens à 1 et passe à 3. Non. C’est bien EN MÊME TEMPS).
Ce qui va prendre du temps, c’est la canalisation. Parce que c’est bien beau de multiplier les fils, mais à un moment, faut dire stop. Et ça c’est dur. Là où tous mes camarades flippent d’arriver à la rédaction, c’est la partie que je crains le moins. En revanche, la phase à laquelle j’arrive, celle où il faut décider dans quel ordre dire les choses, quels liens choisir… c’est une souffrance. Mon cerveau fonctionnant par association d’idée et sauts, c’est super dur de créer une structure universitairement logique…
Qui plus dans, dans les fils de réflexion se prennent tous les bruits du monde. Les pensées parasites (plus ou moins sombres). Les doutes du moment (plus ou moins paralysants). Les bruits divers (talons, travaux, musique du voisin, gens qui courent, etc etc). Je ne peux pas travailler sans musique (même pas sûr de pouvoir vivre sans d’ailleurs). C’est vraiment un élément essentiel à ma réflexion. La musique va me permettre d’avoir une structure, et un fil auquel me tenir le temps que j’arrive à en créer un de toute pièce. C’est à la fois le phare dans la nuit, le bateau et la digue face au monde. Pour moi, trouver le bon album pour travailler relève moins de la procrastination que de la création de bonne conditions de travail. La bonne musique correspond à mon état d’esprit et à la tâche demandée. Langue, types de voix, d’instruments et de rythme sont autant d’éléments que je prends en compte tant ça me permet de tout canaliser.
Du coup, j’ai bien trois phases de travail avec mes voix :
1. réflexion : chaque voix tient son fil
2. canalisation : le moment où il faut fusionner tout ça et trier
3. rendu : là c’est magique… parce que si l’étape d’avant c’est de la torture, celle-ci, c’est juste le bonheur. C’est le moment où toutes les voix se rassemblent en une seule, bouillonnante et prête, visant un seul et même objectif. Vous n’imaginez pas le sentiment de puissance quand tout ce beau monde se rassemble pour penser à l’unisson ! Si je peux ressasser un article super longtemps sans rien toucher, en revanche, quand j’attaque l’écriture, je sais qu’il y a de fortes chances pour que j’ai peu à retoucher…
Mes voix et les autres ?
Autre chose qui vous a interrogé : comment ça se passe en pleine conversation ? Ça dépend. Il y a plusieurs cas de figure… Selon les personnes, elles ne vont pas se comporter pareil. Il y a des gens qu’elles détestent, d’autres qu’elles apprécient beaucoup. Et c’est pas difficile de faire la différence : en fonction des personnes présentes, elles vont faire plus ou moins de bruit. Mes meilleur·es ami·es sont les personnes avec qui elles font peu de bruit, voire pas du tout. J’avoue ne pas savoir dans quel sens va le lien de cause à effet… Est-ce que les voix ne gueulent pas parce que c’est quelqu’un auquel je tiens ? Ou bien est-ce que je tiens à cette personne parce qu’elles ne gueulent pas en sa présence ? Les deux cas de figure se sont déjà présentés. Et il n’est pas toujours évident de voir qui entraîne l’autre.
Rappelez-vous : quand je dis que j’entends des voix, il faut le prendre au pied de la lettre. J’entends des voix, pas ce qu’elles disent. On parle donc plus de bruit de fond qu’autre chose. Et dans ce contexte, pas évident de se rendre compte si elles sont agitées, en veille, en sourdine. Le contexte va beaucoup jouer… s’il y a déjà pas mal de bruits autour, je vais plus difficilement avoir accès à mon bruit de fond personnel (ce qui est parfois hyper angoissant, un peu comme aller dans l’eau sans être sûr d’avoir pied, ou alors avoir pied mais vraiment sur la pointe quoi). J’ai du coup énormément de mal avec les endroits trop bruyants. Déjà parce que comme dit plus haut, trier les sons me demande un gros effort et me fatigue, mais aussi parce que cela peut parfois couvrir mes propres voix. Résultat, je me sens seul et très vulnérable, comme si j’avais perdu mon armure. Et sans armure, le bruit alentour peut me recouvrir complètement.
Il y a aussi, à l’inverse, les gens face à qui les voix vont se mettre à hurler. “Fuis.” “Va-t-en”. J’appelle ça mes “alarmes”. C’est rare. Mais c’est flippant. D’autant qu’elles ne se trompent pas… elles vont voir cette personne, et elles vont me bombarder de message de fuite. Une fois comme ça, j’étais tombé sur une ancienne amie à lecler, avec son nouveau copain. Les voix se sont mises à crier qu’il y avait danger, qu’il fallait partir. Pourtant, l’homme avait l’air bien sous tout rapport. J’ai appris quelques jours après qu’il lui tapait dessus…
Plus largement, ces voix-là sont les plus dures à décrypter. Parce qu’elles peuvent aussi vouloir fuir la personne, que la situation. Si le message envoyé est “danger”, ce n’est pas nécessairement toujours un danger à proprement parlé. Juste une situation dans laquelle je me sens mal à l’aise, malheureux, pas à ma place. En soirée je les entends souvent… c’est souvent le signe qu’il faut partir, que je suis trop fatigué. Ce sont mes voix les plus difficiles à lire, puisque le message stipule seulement qu’il faut partir ou qu’il y a danger sans préciser la cause, mais aussi les plus précieuses, puisque ce sont elles qui veillent à mon bien-être et à ma sécurité.
Il arrive aussi que ce soit mes voix qui recouvrent tout… c’est plus rare, et c’est très mauvais signe. C’est une phase de voix dégénérée. Une phase où je ne maîtrise plus rien. Où j’ai mal. Où je délire plus que je ne rationalise. À ce moment ouai, elles arrivent à recouvrir le reste. C’est souvent signe que je suis sur le point de faire une crise psychotique…
Enfin, pour ce qui est de faire la différence entre mes voix et les vôtres… et bien je ne sais pas quoi répondre parce que ça me paraît, pas ridicule, mais… ce serait comme me demander comment je fais la différence entre une pomme et une voiture. Vous voyez l’idée ? Mes voix je les entends, je les sens dans ma chaire, je sens le lien entre nous, même s’il est parfois douloureux. Il y a quelque chose de profond. Un lien de sang (lul). Alors que les autres voix… les autres voix elles disparaîtront. Les gens iront dormir et leur voix ne diront plus rien. Peut-être qu’elle est là la différence ultime : mes voix seront toujours là, les autres ne sont jamais que de passage. Du coup… je n’ai pas vraiment de réponse, parce que je n’ai jamais vraiment eu à me la poser (mais ça peut être le cas d’autres entendeureuses de voix en effet).
Je n’ai pas répondu à toutes vos questions, mais ceci est déjà tellement long… alors on y reviendra sans doute une autre fois ! J’espère que malgré la longueur ça vous aura intéressé. Encore une fois, tout ceci relève de mon expérience personnelle, c’est différent pour chacun·e d’entre nous.
Portez vous bien !