Se survivre à soi-même

Dandelion
6 min readJul 19, 2020

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“Ma tête, c’était la dernière chose qui marchait chez moi.” Je me demande si toustes les psychotiques ne se sont pas fait cette remarque à un moment ou un autre de leur parcours… encore plus si on avait déjà d’autres soucis de santé avant.

On m’a adressé la question en MP sur twitter dernièrement. J’avais jamais prévu d’en parler, mais le voir formulé par quelqu’un d’autres, ça m’a vraiment rappelé la violence de cette sensation quand tout a commencé. Sensation que j’éprouve aujourd’hui encore quand les idées délirantes se font plus nombreuses, plus violentes, que ma mémoire ne suit plus, que je perds l’accès à la langue ou que mes pensées s’émiettent dès que je les approche. Et même si c’est pas toujours formulé de la sorte, c’est quelque chose qui revient régulièrement dans les conversations en non-mixité fol. Cette sensation que notre cerveau, notre tête, notre esprit (les termes varient) s’effritent, que bientôt, ça ne fonctionnera plus. Cette sensation, elle peut recouvrir plusieurs choses en fonction d’où on en est…

un désert vues de très haut, on distingue la silhouette d’une personne qui marche seule, les empreintes qu’elle laisse
Photo by Finding Dan | Dan Grinwis on Unsplash

Au début, j’enchaînais les crises psychotiques sans comprendre ce qui se passait, sans même pouvoir comprendre que c’était ça. La réalité éclatait, mais je ne m’en rendais pas compte. Tout était sur le même niveau, et c’était cauchemardesque. Quand on a commencé à m’expliquer, à parler hallucination, psychose, c’est pas tant une réaction de déni que j’ai eu (même si les soignant·es y tiennent beaucoup), mais plutôt ça “putain, ça aussi, ça va se casser la gueule”. Se casser un os, tomber malade, être ralenti·e par la fatigue, etc etc, c’est autant de petits bobos qui sont socialement acceptable. Il est admis que ce sont des choses qu’on peut vivre, qu’on traverse. Personne ne te prépare à voir la réalité, et donc par effet miroir, ton cerveau s’écrouler. Personne ne te dit que la réalité n’est pas acquise et qu’elle peut s’effilocher. Personne ne te prévient que ton identité peut être un mirage auquel tu n’arriveras plus à t’accrocher. T’es jamais prêt à admettre que c’est ton cerveau qui déconne. C’est pas nier en bloc que j’ai fait. J’ai été submergé par cette espèce de vérité insupportable : c’était mon cerveau qui déconnait. Le truc auquel je m’étais toujours accroché. Nul en sport, avec des soucis de santé, pas trop de compétence sociale… mais lire des livres, jongler avec les idées, inventer des histoires, faire des jeux de mots, etc etc… ça avait toujours été facile, toujours été là. Et là d’un coup, la vérité c’était que ça aussi, ça pourrait ne plus l’être. Et effectivement, c’est dur de créer, de faire des blagues, de rester concentré sur un livre, quand tu délires ou que tu enchaînes les crises. Et ça, cette chose-là, c’était terriblement douloureux. “Ça aussi on va me l’enlever ? Il va me rester quoi si je perds ça aussi ?”.

Et puis y a eu les traitements, et clairement, ça n’a pas aidé du tout du tout à ce niveau-là… Ralentissement, problème de mémoire, de concentration… de plus en plus, mon cerveau devenait une épave dont j’étais prisonnier. Et mon corps, n’en parlons même pas ! C’était insupportable. Je voyais la psychose d’un côté, et la psychiatrie de l’autre, prendre tous les morceaux de moi. J’étais terrifié, parce que bientôt, il ne resterait plus rien. Plus rien ne fonctionnerait. “C’était la dernière chose qui marchait.”

Un vieux carrelage sale, un panneau exit rouge, avec son câble d’alimentation, abandonné au milieu d’autres déchets
Photo by Kev Seto on Unsplash

Alors comment on sort de ça ?

“En survivant” ont répondu les voix… C’est un peu cash (elles font pas trop dans la dentelle en ce moment), mais y a une logique derrière… Déjà, on ne pourra constater que notre esprit s’écroule que si on tient pour le constater. Donc, faut tenir, ne serait-ce que pour voir si notre hypothèse se vérifie. Oui mes voix sont terriblement terre à terre, mais c’est aidant des fois… sais pas si ça peut servir en dehors de ma tête. Ceci dit, on peut développer la logique. C’est-à-dire que pour survivre, il faut apprendre à vivre avec ce nouvel état de fait. En fonction de ce qu’on traverse, ça peut être apprendre à : gérer ses crises psychotiques, ses hallucinations, digérer l’annonce du diagnostic et/ou le faire accepter aux autres (encore d’autres ressources ici), s’habituer à son traitement (en changer, l’adapter, ou se rendre compte qu’on vit mieux sans), trouver des groupes de paroles (GEM, entendeurs de voix, AA, etc…), discuter avec d’autres qui vivent la même chose (Twitter, groupe FB, discord sont des bons endroits pour ça), trouver les bons soigant·es pour vous entourer, etc etc. La liste elle peut être vraiment longue.

Parce que c’est pas tant que notre esprit arrête de fonctionner. Il déconne, on va pas se mentir… mais il fonctionne. Seulement son fonctionnement ne rentre pas dans les clous. Alors il faut apprendre. Et c’est dur parce qu’on a pas de mode d’emploi, parce que c’est pas censé arriver bla bla bla. C’est un peu comme si on devait apprendre à se servir d’un ordinateur dont il n’existerait qu’un seul exemplaire dans le monde. Son inventeurice ne peut plus répondre à nos questions pour une raison X ou Y. Tout le monde nous dit que notre ordinateur déconne à mort parce que bah ouai il fonctionne pas comme les autres. Y a des pop ups partout, l’emplacement des touches du clavier change tous les jours, il fait des bruits chelous plutôt qu’afficher des messages d’alerte, d’un coup il se met à hurler avant de s’éteindre brusquement, le lendemain il te dit bonjour tout sourire et le soir il pleure par les ports USB parce que tu l’as cogné dans le mur en le transportant. Bref, c’est le bordel. Et franchement, ça paraît logique de vouloir fracasser un tel ordinateur dans le mur… Mais y a pas le choix, c’est le seul qu’on a. Alors va bien falloir apprendre. C’est dur. C’est long. Mais c’est faisable. Et y a que en apprenant à s’en servir qu’on va pouvoir prouver qu’il fonctionne.

Pour la folie, c’est pareil. Y a que en apprenant comment elle fonctionne, qu’on peut trouver comment fonctionner avec… Quelles sont les règles du jeu ? Les trigger ? Le code ? Plus on peut décrypter, plus on peut repérer les règles, plus on retrouve un peu de contrôle, et plus cette sensation de perdre son esprit s’amenuise. Pas pour toujours, mais en tout cas on est moins désespéré, moins démuni.

Plusieurs images d’un visage superposées, expression calme, pleurant, ou hurlant, mains sur le visage
Photo by Camila Quintero Franco on Unsplash

Après… je suis désolé, je peux pas te dire que cette angoisse elle disparaît complètement. Je suis même pas sûr de pouvoir te dire qu’elle est déraisonnée… J’aimerais. Quand on en parle entre nous, ce qui revient souvent, c’est que le côté handicap cognitif de tout ça, c’est le pire. Pire que les hallus ou les délires (beaucoup plus gérables une fois que tu as trouvé la clé). Mais bien ça… la mémoire qui s’abîme, la concentration qui s’effrite, la capacité d’apprendre qui parfois se perd, la langue qui devient un mystère parfois, etc. C’est difficile de l’accepter. Là dessus les parcours diffèrent complètement. Y a des pentes descendantes, des moments où ça se stabilisent, des moments où ça repart. Et y a tellement de facteurs à prendre en compte… les médicaments, les habitudes de vie, l’entourage, type de travail / études / loisirs / intérêt… Y a donc autant de parcours que de personnes. D’où l’importance de parler à d’autres, d’échanger. Justement pour voir toutes ces possibilités et mieux comprendre son propre parcours.

On peut apprendre à vivre avec. Moins il y a de zones d’ombres, moins il y a de moments où on ne comprend pas ce qui se passe. Quand on comprend ce qui se passe, on a moins tendance à verser dans le pire scénario possible.

Voilà ce que les voix veulent dire par “en survivant”.
Courage à toi donc. C’est un long chemin, mais on peut dompter cette angoisse-là aussi… et je nous souhaite que ça ne soit rien d’autre qu’une angoisse.

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Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.