[Article à l’arrache, vidage de sac]
[TW : mutilation évoquée crûment et sans euphémisme…]
Des fois, à vouloir tout voir en noir et blanc, avec des gentils des méchants, on rate complètement le problème, le vrai. On pose les mauvaises questions. Et on fonce dans les murs qu’on prétendait éviter. C’est drôle non ?
Des fois, on dit qu’on prend la mauvaise décision.
On oublie juste que des fois, y a pas de bonne décision.
I really want you to hate me / I really want you to find / That I’m the ugliest girl / And I will never be a bride
There’s no love for the wicked / There’s no love to survive / There’s no love, can you listen? / There’s no love and
I’m feeling high
I wanna die
L’autre jour, mon ami me parle de ses tendances à se brûler avec un briquet. Je lui explique comment soigner les plaies. De jour en jour malgré toutes les stratégies de damage control, la crise monte. “C’est normal que j’ai envie de me brûler le visage ?”
Qu’est-ce que j’en sais ?
Les brûlures ça a jamais été mon truc, trop associées à des boulots de merde. Pas une sensation qui m’attire. Et puis la cicatrisation c’est chaud (pun intended).
Par contre s’attaquer le visage… tous les jours. Me trouer les joues au couteau, lacérer la langue et les cordes vocales, déchirer les lèvres.
Dans la liste du chose recovery,comme raison de pas replonger, y avait “parce que vous ne voulez pas de nouvelles cicatrices”. Et c’est vrai. Des fois. Des fois la honte et la haine de son corps. Et mes jambes qu’ont pas vu le soleil pendant plus de dix ans (alors que j’habitais sur la côte…). Et ce moment étrange d’intimité quand vient la mise à nue et que tu te rappelles que merde, la peau de tes cuisses c’est de la dentelle. Et les questions gênantes parce que toute façon tout l’est, le silence comme ne pas les poser. L’été qui revient et la chaleur et la sueur qui brûle les marques fraîches et l’éternel débat de cacher ou couvrir où chacun·e se démène avec les aléas de son propre corps. Les tâches de sang qu’il faut expliquer. Se demander ce qui est le pire quand ton mec te prend la main : qu’il se rende compte des lignes sur tes doigts ou qu’il passe complètement à côté ? Quand les cicatrices sont devenues tellement nombreuses et normales que tu les cherches sur le corps des autres pour réaliser que non, y a rien. Non c’est pas normal. Les insomnies à compter, à s’en donner le vertige et la nausée. Les soirées en rond où chacun·e raconte l’histoire, drôle touchante inspirante absurde, d’une cicatrice et toi tu voudrais que la terre s’ouvre et t’avale. Des histoires t’en as plein, mais pas de celles qu’on raconte en public et en plein jour.
Est-ce qu’on peut en vouloir aux gens de ne pas voir ce qu’on leur cache parfois si mal ?
Alors c’est vrai, des fois on se dit “non, pitié, pas une de plus, assez”. Parce que les cicatrices sont déjà trop lourdes. Parce que tout est déjà trop lourd.
I really want you to hate me / I really want you to find / That I’m a pitiful girl / That I’m the phoniest alive
There’s no love for the wicked / There’s no love to survive / There’s no love, can you listen? There’s no love and
I’m feeling high
I wanna die
Mais des fois… des fois oui putain, on les veut les marques. Et on les veut visibles. En plein jour et en plein air. Que mon visage porte le stigmate, enfin arrêter de faire semblant.
Parce que plus de surprise plus de mensonge plus d’histoires à inventer to fit in.
Devenir cette chose ouvertement détestable et méprisable, cette bête crasse et dégueulasse qu’on renferme, et qu’enfin enfin plus personne n’approche ne demande n’existe prétende aimer. Plus rien fini nichts nada.
Plus personne n’exigera que ma bouche fasse des mots si je la lacère mets hors d’état de nuire. Plus personne ne voudra plus jamais la voir bouger si j’en fais une béance purulente. Plus personne n’attendra de moi que je sois fonctionnel alors que clairement, tout s’écroule à l’intérieur, parce qu’au moins là, ça sera visible au grand jour.
Je n’aurai plus l’impression constante de mentir sur la marchandise. On ne viendra plus m’expliquer que je ne suis pas si fol pas si handi puisque je porterais très clairement les signes de la folie. Why so serious qu’iels disaient… une fois que je serai devenu la caricature, une fois que comme iels le disent je porterai ma folie en drapeau, est-ce qu’enfin enfin je serai débarrassé du masque ?
Des fois oui. Tout déchirer. Des fois oui, les marques on les veut. Et des fois, on les veut très visibles. Qu’on ne voit que ça. Parce que tout le reste est invisible.
Parce que malheureusement, si je me lacère la bouche comme dans mes rêves les plus fous, on ne verra que le jour (ou plutôt la nuit plus vraisemblablement) où je me suis lacéré la bouche. Et pas les autres centaines de marques dispersées bien à l’abri.
À force de répéter que le self-harm c’est mal (ce qui n’est pas faux), on oublie complètement sa valeur communicationnelle. On oublie que les personnes qui le pratiquent le font parce qu’elles n’ont pas d’autres recours pour exprimer ÇA.
Si je me défonce la bouche au cutter pour qu’enfin on arrête d’attendre de moi que je parle, mon but premier n’est pas de me faire du mal. Mais bien de me sauver la peau. C’est l’ultime recours pour me soustraire à la parole, pour me retirer de la société des discutants. Malheureusement, c’est un recours qui passe par la mutilation. Et bien sûr que quand je vais bien, j’ai d’autres solutions.
Mais quand il n’y a plus d’énergie
quand j’ai usé toutes les langues à ma disposition
quand le silence a mangé toutes les chansons
quand aucun gif ne traduit ce qu’il me faut
quand en face on ne respecte ni mes limites ni mon refus
quand les questions se multiplient même si j’affiche tous les signes que je suis en crise
quand l’aphasie et le mutisme ont dévoré tout ce qui restait
il n’y a plus d’autre option.
Alors oui, dans ces moments-là, quand je commence à jouer avec l’idée et un cutter, me défoncer la bouche a des allures de salut.
Quand la maison brûle tu sauves les meubles, et donc tu sacrifies le reste.
Quand la langue s’écroule je sauve les grammaires, et donc sacrifie la bouche.
Finalement c’est logique.
Ça n’a aucun sens de parler de self-harm, de mutilation, comme juste le fait de se faire du mal.
L’opposé du self-harm n’est pas le self-care, ni de s’aimer soi-même.
C’est mal comprendre l’urgence.
I don’t feel a thing
I don’t feel a thing
I don’t feel a thing
Somebody comes and gives me faith
’cause I don’t feel a motherfucking thing
Alors sans doute que la plupart des gens qui s’attaquent eux-mêmes n’ont pas une estime d’eux-mêmes particulièrement élevée. Mais c’est pas ça la question.
La question c’est à quel moment les choses ont déraillé de telle sorte que ça devienne la seule solution ? la seule planche de salut ? le seul moyen d’expression disponible ?
À quel moment je suis passé de “je veux dormir” à “si jme coupe je dors” ?
En plus tu sais, c’est comme les drogues, tu t’habitues. Alors tu montes en puissance.
À quel moment j’ai tellement niqué mon rapport à la douleur que mon cerveau est devenu incapable de la percevoir comme un signal d’alarme ?
À quel moment j’ai arrêté de considérer que parce que mon corps avait mal, ça voulait dire que je devais agir pour résoudre le problème ? M’en occuper ?
À quel moment je suis devenu complètement indifférent à ma propre douleur ?
Des fois y a pas de bonne solution.
Quand t’es précaire et que t’enchaînes les tafs sans aucune sécurité de l’emploi, que tu fais bien plus d’heures que tu peux, que tu vois la santé se dégrader, finalement c’est du self-harm non ? Du self-harm socialement validé. C’est bien beau de juger les cicatrices des gens quand on encense les gens en train de se cuisiner un burn out à coup de semaine de 60heures.
Le monde entier refuse de reconnaître la douleur comme un signal d’alarme, et il faudrait que je comprenne comme par magie que non, me défoncer la bouche au cutter ne va pas résoudre mon problème ? On est en pleine pandémie depuis bientôt deux ans, on continue d’entasser les travailleureuses dans les transports et de pas faire tourner les vaccins comme il faudrait, mais le problème c’est qu’on porte pas de manche longue pour couvrir les plaies ?
Bitch please.
Est-ce que le self-harm est un mode d’expression de ses émotions sains ? Bien sûr que non.
Guess what ? on est au courant. C’est littéralement ce qu’on cherche. Se faire du mal. Parce que la boussole est cassée. Parce que se faire du bien ou du mal, ça n’a plus de sens pour nous. Les limites sont floues cassées tordues déchirées et nos corps en lambeaux au milieu cherchent encore une raison.
Je suis fatigué de lire qu’on se mutile pour se faire du mal.
Ça
ne
veut
rien
dire.
On le fait pour le soulagement le répit la punition dormir manger ne pas manger les marques le temps les limites vérifier gérer
et j’en passe et des meilleurs.
Bien sûr que confusément au milieu de tout ce bordel émotionnel, on se dit que c’est pas la réponse, que c’est pas censé être la réponse, que tout ça c’est pas terrible. Parce que même si on sait plus décrypter la sensation douleur comme il faut, il y a ce vieux système dans le fond de nos esprits qui continuent à sonner pour dire qu’il y a un problème.
Mais le mode d’emploi est perdu, il a pris l’eau, plus personne ne parle cette langue, alors personne dans ce corps ne sait décrypter le signal correctement.
Et pourtant on le cherche. Peut-être c’est pour ça qu’on recommence. Parce qu’il y a ça aussi, la preuve que t’es encore humain, que quelque chose marche encore.
S’arrêter à dire qu’on se fait du mal, ça sert à rien.
Nous dire qu’il faut pas qu’on se fasse de mal en espérant que ça va régler le problème, c’est stupide et naïf.
Si c’était si simple, je serais pas en souffrance devant l’absence d’alternative. Parce que je suis quand même pas con au point de croire que mon corps veut avoir mal. C’est pas ça qu’il réclame. Mais j’ai rien d’autres d’aussi efficace.
I want to be elastic / I want to go / Out of my way for you / I want to help you
Where is the line with you
Where is the line with you
Where is the line with you
Where is the line with youI want to have / Capacity over you / And be elastic / To be elastic, elastic
Where is the line with you
Where is the line with you
Comment tu fais quand la boussole est cassée défoncée et tout ce qu’on te donne c’est une définition toute pétée de ce qui est bien mal. Quand je parle self-harm et qu’on me répond self-care c’est comme si on m’éclatait un parpaing de silence dans la gueule. How ironic.
C’est cool les bains. Mais ça me rendra pas mes limites. Ça n’enlèvera pas la pourriture qui me gangrène. Ça éteindra à peine l’incendie dans la chair. Ça ne me ramènera pas dans le cour du temps de force. Ça ne laissera aucune preuve à montrer au monde extérieur tout le déchirement qui m’empêche de dormir.
Quand je m’enfile les quatres saisons de The Handmaid’s Tale en un weekend, je sais très bien que j’appuis sur tous les boutons pour trigger mes traumas. Je le fais quand même. Parce que pour le moment j’ai rien d’autres pour me prouver encore et encore que je peux survivre à ça. So I beat myself up to death and hope I’ll get to live another day. C’est pas jouer avec une balle en mousse qui va m’offrir ça.
Quand tu veux déchirer le corps pour qu’il ressemble enfin au chaos à l’intérieur, tu crois que colorier un mandalas ça suffit à rendre compte de l’enfer ? Que faire du sport bien ordonné ça suffit à dompter la bête enragé dans les os ?
Des fois oui.
Mais oui uniquement si tu sais d’où vient la bête.
Oui uniquement si t’as la carte de l’enfer.
Le self-care c’est pas l’opposé du self-harm. C’est un pansement sur une gangrène.
Et oui, un jour, avec un peu de chance, des pansements ça suffira. En attendant, c’est pas ça la réponse. C’est pas comme ça qu’on reconnaît les patterns, pas comme ça qu’on les démonte.
Je suis fatigué, et j’ai pas d’alternative.
Quand t’es obligé de te mettre minable pour enfin accepter de prendre soin de toi c’est qu’il y a un problème. Quand t’es pas capable de comprendre avant d’en être à ramper qu’il faut faire attention à toi, y a un problème.
Et comment tu fais du coup ? Si ton mieux c’est la self-indifference, que tu te laisses dépérir, à un moment t’es bien obligé de précipiter ta chute pour enfin agir et redresser la situation ?
Where is the line with you ?
Where is the line with you ?
Where is the line with you ?
Where is the line with you ?
Et j’aimerais bien savoir où est la ligne. J’aimerais bien que ma boussole interne soit réparée. J’aimerais bien que mon rapport à la douleur fonctionne à nouveau normalement et pas uniquement quand je suis à l’agonie (au point que mes proches flippent quand je commence à me plaindre d’avoir mal…).
Vraiment j’aimerais bien.
mais ça prend du temps.
Et j’en peux plus des discours qui veulent limiter tout à “se faire du mal” alors que putain, j’ai pas d’autres options pour sauver ma peau à l’heure actuelle.
It might destroy me, but I’d sacrifice my body, if it meant I get the Jack part out. OUT