Transition F to Dévoreur de monde
En octobre, j’ai enfin pu faire ma mammectomie. Bye bye les boobs ! ENFIN ! FIOU ! Vingt ans à prendre le problème dans tous les sens, vingt ans à essayer “d’accepter” pour enfin vivre avec… avant de tilter qu’en fait, j’étais absolument pas obligé de souffrir avec ça et qu’il y avait des solutions. Genre les tej. C’est fou qu’il ait fallu aussi longtemps pour arriver à une conclusion aussi évidente. Je vous passe les galères sur le fait que ça a été sportif de trouver un chirurgien qui accepte sans que je sois sous testostérone (à part ça non non y a pas d’ordre officiel pour la transition) parce que c’est pas le sujet du jour…
Non le sujet du jour c’est quand même que je suis complètement taré, et que du coup, ce genre d’opération pose des petits soucis particuliers, et ce même si on était extrêmement sûr de toi et qu’il y a 0 regret.
Du coup oui, aujourd’hui c’est un article “témoignage”, et c’est tout.
Parce que pour utiliser les psychotiques comme gatekeeping de la transition y a du monde, au point qu’on ne peut plus vraiment raconter nos propres parcours en public.
Parce que du coup j’ai été pas mal seul avec ça ces derniers jours, alors je me dis que même si c’est différent d’une personne à l’autre, ça réconfortera ptet un·e trans fol qui passerait par là de savoir qu’iel est pas seul·e au monde avec ce genre de bails.
L’idée n’est absolument pas de vous dire “c’est comme ça que ça va se passer pour vous aussi”, mais plutôt de vous faire entendre un autre parcours que l’habituel. Un parcours où on compose avec la dissociation, la surcharge sensorielle, des hallucinations, et enfin une phase délirante…
Alors du coup, une mammec quand on est fol, ça implique quoi ?
[NB : je vais bien et je suis bien entouré, j’écris pas pour avoir du soutien et des bonnes ondes, vous allez grave me souler si c’est votre réaction è_é si je suis capable d’écrire ici en long format c’est que je gère. Again, c’est un lundi pour moi.]
From dissociation to surcharge sensorielle REAL F-ING QUICK
On commence au jour J ! J’imagine que ça peut varier d’un hosto à l’autre, potentiellement d’un·e chir à l’autre, peut-être c’est juste une histoire de procédure. Mais ! Toujours est-il que je suis me retrouvé à passer une heure, en blouse, à fixer le mur. Sans mes lunettes parce que sinon c’est quand même pas drôle. Si je le mentionne c’est parce qu’il y a quand même eu un côté bizarre à cette prise en charge. Pas qu’elle se soit mal passée ou quoi. Mais parce qu’à chaque étape, j’ai eu l’impression qu’on m’enlevait un truc (mes fringues et toutes mes affaires, mon amie qui doit partir, mes lunettes…) avec au final en échange peu d’infos. Juste de l’attente. Et des gens qui te reposent les mêmes questions à chaque étape au point que tu finis par te demander si on vérifie ton consentement ou si t’as pas déclenché un alzheimer foudroyant depuis ton entrée dans le service (on sait jamais !). Et perso, c’est vraiment le type de trucs qui me fait boucler. Parce que je repasse par les mêmes échanges en boucle sans que rien n’avance réellement. Ça me fait me sentir coincé. Et comme j’ai des lunettes sur le nez depuis bientôt trente ans (oua, déjà ???), bah quand je les ai pas, je me sens à poil. Genre bien plus que juste le fait d’être en blouse…
Heureusement, je maîtrise le super pouvoir de la Dissociation ! [tatatin] On va pas se mentir, c’est quand même pratique des fois. Se laisser engloutir par le marécage intérieur pour que plus rien t’atteigne, ça aide.
Après, peut-être tous les services sont pas organisés pareil ou quoi et c’est pour ça que je rentre pas dans les détails, mais je pense qu’il faut se préparer à cette espèce d’attente, de temps un peu suspendu où on est laissé à soi-même sans rien d’autres que ses dix doigts, sans trop d’info, et sans trop de contrôle sur le temps qui va devoir passer comme ça. Après, peut-être vous allez tomber sur un service turbo organisé où ce temps est réduit au minimum possible, mais avoir conscience qu’il peut exister et s’y préparer tranquillement (typiquement, j’étais très heureux que mon amie soit plus maligne que moi et n’ai pas fait que me déposer à l’hosto mais ait fait en sorte de pouvoir rester avec moi jusqu’à la dernière minute possible) ça me semble pas déconnant.
I don’t mind being alone, no no
I’m not afraid of what enters my mind when I’m solo
I’m fully capable of taking advantage of this time
No I don’t mind being alone with my thoughts
I’m totally fine alone with my thoughts
Là où ça a été plus dur, ça a été la soudaine surcharge sensorielle qu’a été l’entrée dans la salle d’opération. Et encore, j’avais eu de la chance, parce que j’ai re-eu un temps en solo avec le chir (ouai il avait des dessins à me faire sur les boobs)(il les avait en violet, les voix ont considéré que c’était un bon signe) et qu’il a pris le temps de m’expliquer qui allait être dans la salle d’opération. Sauf que ça ne prépare pas à l’effet ruche de la salle d’opé, et quand tu viens de passer une heure à regarder dans le vide, tranquillement englouti par le marécage interne, avoir six personnes qui te tournent autour, trois qui posent des questions, trois qui te branchent des trucs, trois qui se parlent, etc etc, et bah ça fait BEAUCOUP.
Et donc une partie de ton cerveau a très, très, trèèèèèèèèèèèès envie de retourner dans le marécage vite et bien et ne plus en sortir. Voilà, monsieur le chirurgien j’ai changé d’avis je vais faire une transition F to Shrek ce sera fort bien.
Sauf que… avant de t’envoyer faire la sieste (j’avoue en tant qu’insomniaque, j’étais serein face à l’anesthésie générale, vas y envoie le dodo sans effort !), le chirurgien a encore besoin de toi (wesh mec, je te paye 2 000 balles et faut encore que je fasse un effort ? è_é laisse moi à ma sieste !). Car oui, les tatoué·es le savent : bien placer ton corps quand quelqu’un doit bosser dessus, c’est une étape essentielle. Et la rater, c’est le regretter fort… Donc oui, le chir il te demande de rebrancher les neurones parce que tu as un dernier boulot important : placer correctement tes bras. Et donc alors que tu veux t’en aller dans le marécage pour être à l’abri de tous ces gens qui s’agitent et font du bruit et OMG c’est mon coeur qu’on entend dans le dehors de ma tête non mais ça va pas de faire des choses comme ça déjà ça m’énerve de l’entendre dedans on est obligé de le mettre en stéréo ???? …
… alors que tu veux faire tout ça donc, il faut t’obliger à te concentrer FORT pour positionner correctement tes bras / épaules afin que ton corps ne souffre pas et que t’aies pas de douleurs à ton réveil. (sachez que j’ai réussi l’épreuve, merci l’expérience du tatouage donc qui m’a permis de pas lâcher un genre “oui oui là c’est bon” juste pour que ça finisse plus vite et d’avoir fait l’exercice pour de vrai)
Le réveil a été archi compliqué pour moi, pour… diverses raisons… tout s’est bien passé et tout, mais dans l’hosto où j’étais, pour pas que tu ais froid en salle de réveil, on te met un chauffage qui souffle du chaud sous tes couettes. Sauf que mon corps supporte très mal la chaleur. Ce qui m’a donc rendu malade. Sauf que forcément, ayant la tête (et le reste) complètement das le pâté à cause de l’anesthésie, j’ai mis des plooooooooombes à comprendre ce qu’était le problème tandis que mon corps hurlait “TROOOOOP !!!!” ce qui pour ma défense n’est pas le message le plus clair qui soit on plus. L’autre raison, c’est que je me suis réveillé en ayant mal… à la gorge. Ce qui n’était pas prévu ! Non parce que j’avais un peu mal au torse, et j’étais là “oui bon bah voilà, normal”, MAIS LA GORGE ??? j’étais un brin scandalisé alors que j’avais pas mal avant. J’ai alors appris (apparemment c’était évident pour tout le monde mais moi j’avais pas du tout calculé) qu’il était fréquent qu’on intube pour ce type d’opération, ce qui laisse des douleurs de type angine. Donc bah voilà, je vous le dis, comme ça vous saurez, et vous serez pas surpris vous !
Et après tout ça, sachez que j’étais bien content d’avoir embarqué dans mes affaires une peluche pour le retour en chambre parce que vraiment, pouvoir me coller du fluff sur la gueule à peine revenu en chambre MEILLEURE CHOSE. Everything sucks but there’s fluff.
Je t’ai dans la peau (et ça fait chier)
Les choses ont doucement commencé à se compliquer pour moi à ce moment-là.
Déjà, y a eu la réalisation que je n’allais avoir qu’une seule cicatrice tout en travers du torse, et non pas deux. C’est con hein ? Y a une part de moi qu’était là “meh, ça en fait qu’une seule en plus” et un autre qui était attristé parce qu’encore une fois, je ne vais pas correspondre au chemin habituel (c’est quand même ironique de ne pas correspondre à la norme des gens qui correspondent déjà pas à la norme). Et my bad hein. Potentiellement le chir me l’avait dit et juste j’ai pas enregistré. Mais bah le jour J l’info m’est tombée dans l’estomac façon brique, parce qu’on a beau dire, c’est pas le même imaginaire.
Donc oui, camarade transmasc, tout le monde n’aura pas les classiques deux cicatrices sur les côtés. Notamment si vous avez des gros seins et qu’ils sont proches. La mienne va de sous l’aisselle à gauche à sous l’aisselle à droite. Et en plus elle remonte au milieu, un peu comme les tatouages ornementaux que certaines personnes se font sous les seins. Soit un truc qui dans ma tête est hyper féminin. JE VOUS LAISSE IMAGINER LES NOEUDS DANS MA TÊTE JE LA DÉTESTE RIGHT NOW THAT WAS NOT THE POINT. C’est pas grave, ça va passer. Surtout que je vais faire tatouer dessus (et que je sais déjà ce que je vais faire)(et j’ai même une idée d’à qui demander). Du coup, since day 1, j’ai cette espèce d’ambivalence à être si heureux si soulagé (l’espace mental qui s’est libéré dans ma tête maintenant que j’ai plus régulièrement les envies de tout arracher ni les pulsions ???? mais c’est une dinguerie ???!!! ça bouffait autant de place que ça ???? j’ai saturé mon disque dur à cause de ces seins de merde pendant vingt ans alors qu’à 15ans je savais déjà mais personne m’a aidé à craquer ma coquille d’oeuf back then ???)(vraiment ça tabasse la tronche de le penser comme ça, de penser à tout le temps et l’énergie perdue juste parce que j’avais des parasites sur le torse et que comme ils rendaient tout le monde heureux somewhat fallait que je me démerde avec) et en même temps avoir une cicatrice qui me fait des noeuds dans le cerveau.
Mais voilà, je me dis, c’est important de vous dire que fatalement, faut bien adapter à votre corps et que ce sera ptet pas l’imaginaire classique. D’autant plus si comme moi vous êtes incapable de vous projeter…
[ce n’est absolument pas par ça que tu devais commencer cette partie c’est censé être un article court et c’est déjà le bordel, tu fatigues]
Stubborn aphrodite
You got me in the tits
I thought I was alien
Found out I was a twit
My body is a prison
But how can I escape?
Doesn’t matter what I do I’m filled up with a hate […]
Stop the ridicule
À la base, j’étais censé vous parler pansement. Parce que la suite, c’est des pansements et tout. Là encore, chaque chir a un peu son protocole, donc je rentre pas nécessairement dans le détail. MAIS, dans tous les cas, pendant un temps, ça veut dire infirmier·e à domicile tous les jours pour changer les pansements. Ce qui implique donc de laisser un·e inconnu·e se pointer chez soi tous les jours. Inconnu·e devant laequelle on va se foutre à moitié à poil. Tous les jours. Et schrooooooouic les trucs qu’on décolle. Et schlap les trucs qu’on recolle. Et ziiiiiiip le binder qu’on referme. [NB : les premiers jours j’avais pas assez de force dans les bras pour le fermer tout seul] Tous les jours. Et encore le temps suspendu parce que comme c’est des gens qui font du domicile et donc beaucoup d’aléas et de déplacement on te donne une fourchette plus qu’une horaire précise, ce qui est normal, mais quand tu es du genre “hum, il est 11h, j’ai un rdv à 14h, je ne peux rien faire je suis bloqué” c’est pas toujours évident à gérer.
Et puis les choses ont tout doucement commencé à se compliquer. Parce que mon cerveau a très vite tenu à me rappeler que j’étais handi dans un monde validiste. Tout doucement, ont commencé à apparaître les angoisses de pas être autonome. De pas pouvoir lever les bras. D’avoir besoin d’aide pour tout et pour rien. D’être bloqué dans mes mouvements. Puis y a les noeuds dans la tête. Être à moitié à poil devant quelqu’un tous les jours, quelqu’un qui va avoir le nez et les mains sur ton torse. Et la partie intellectuelle du cerveau elle sait que c’est juste des soins, mais tout le reste du cerveau qui a littéralement transitionné pour désexualiser autant que possible cette partie de son corps, il a pas encore eu le temps DU TOUT de switcher dans son interprétation de cette situation. Donc y a une espère d’angoisse latente qui remontait des tréfonds de la mémoire traumatique et du corps qui a appris à devoir bouger dans l’espace publique avec cette contrainte inéluctable.
Cette sensation d’être soumis à l’autre a été amplifié par les sensations désagréables qui me restaient de l’opération, suivi du fait que je pouvais pas dormir comme je voulais… ça ça a été une torture. J’ai déjà d’énormes problèmes de sommeil de base, mais là être coincé sur le dos, c’était si horrible. J’étais épuisé et aller m’allonger relevait de la torture parce que savais que je serai piégé, pas libre de mes mouvements. Du coup dur de dormir. Dur de se reposer alors que t’es censé rien faire d’autres. Juste être coincé piégé prisonné dans un corps qui veut pas marcher comme je veux. L’envie de hurler sur l’infirmier qui me dit de me reposer que je PEUX PAS parce que je peux pas me rouler en boule, ni même me pencher pour faire des bisous à mon chat, et que donc, se reposer était une option difficilement accessible.
Ça veut dire qu’il faut réussir à calmer le corps et la tête qui panique tout seuls. Se rappeler que quand l’infirmier demande si ça va, c’est pas du small talk, c’est une vraie question à laquelle il faut répondre avec des vraies infos. C’est un peu ce qui m’a sauvé à ce moment je crois. Devoir se raccrocher aux vraies infos. Donc décrire des sensations précises, des douleurs, des façons dont le corps réagi, et avoir un écho extérieur pour s’assurer que oui oui c’est normal, ou pas. Rester sur du purement descriptif.
Ce qui revient à dissocier in a way. Je crois que dans ma tête c’était la logique du “je peux pas gérer l’esthétique de la chose maintenant [j’ai eu des pansements très longtemps, dont certains qu’on a pas eu le droit d’enlever pendant 20 jours !!!][l’odeur bordel !!!] donc je gère que la logistique, le reste attendra”. De même que les noeuds autour de ma sexualisation ou non ou ce que j’en fais ou pas (et on s’en parlera prochainement je pense)(enfin j’avais commencé l’article ! et puis j’ai commencé à délirer sévère donc celui-ci semblait plus utiles et puis je me contente de raconter donc pas à réfléchir AHAH !). Fragmenter les étapes. Ça fait pas disparaître les grondements et les vagues en dedans, mais s’obliger à se concentrer sur les choses objectivement surveillables, contrôlables, et maîtrisables, ça permet de les garder à distance, au moins un temps. Puis bon accessoirement ça permet de pas perdre de vue la Première Urgence à savoir : la convalescence et les soins et tout.
Puis bon, une Vanya pour surveiller les infirmiers, ça aide aussi !
Now I am the common death, the devourer of worlds
C’est maintenant que les choses se corsent vraiment. En tout cas pour moi. On m’avait prévenu qu’il fallait s’attendre à une dépression post-op, et ça me paraissait assez logique. Certes, j’ai toujours détesté ces seins, mais ça reste un morceau de corps avec lesquels je vis depuis vint ans. Et bon, déjà que les nouveaux tatouages j’ai toujours une phase de “what the hell ? pourquoi j’ai fait ça ?” (sauf mon dernier, mon dernier est tellement canon), alors je partais du principe qu’effectivement, me faire enlever 2,5kg de seins (pas une exagération, le chir a pesé OO)(je vous ai pas dit mais alors le centre de gravité ça a été chaotique la première semaine !) ça n’allait pas être sans conséquences. Je m’attendais à les chercher, à avoir la sensation d’un truc qui manque. Sauf que c’est pas ça qui s’est passé.
Au contraire, j’ai même plutôt eu la sensation inverse, c’est-à-dire la sensation d’enfin ne plus être constamment gêné dans le moindre mouvement, d’enfin pouvoir positionner les choses comme il fallait. Alors forcément, quand j’ai récupéré la possibilité de dormir sur le côté, je pensais naïvement être sorti du bois…
Parce que je suis BÊTE voilà
et naïf
même après plus de vingt ans de folie hahahahaha
mais surtout je suis si stupide quand je m’y mets bordel !
Vous vous rappelez que j’ai donc qu’une seule et unique cicatrice ? avec une forme à la con ? (oui c’était là que j’étais censé expliquer mais hé hein bon, je vous ai dit que ça faisait des noeuds dans le cerveau, depuis quand les noeuds c’est en ligne droite ?)
Moi on m’a beaucoup parlé des douleurs. Blablablabla les douleurs. Oui bon ok. Mais pourquoi personne parle des micros sensations toutes neuves ??? T’es là du haut de tes bientôt 35 ans, et ton cerveau il se fend en deux quand t’as plus les pansements et que tu mets enfin ton Tshirt direct sur ta peau [NB : ma peau est en PLS à cause des collants des frottements de la contention, donc je porte mon boléro par dessus mon Tshirt pour lui donner une chance de survivre] et juste… TROP DE SENSATIONS. Et ça va être ça en boucle. Le moindre contact devient une nouvelle sensation et d’où à mon âge c’est une nouvelle chose de mettre un Tshirt ??? Même chose pour la douche. Et pourtant, je l’ai attendue cette douche… Sérieux j’avais mon rdv de contrôle avec le chir à J+20, il m’a demandé comment ça va j’ai répondu que je vendrais ma mère pour une douche. (ça va il a ri) Alors du coup la première douche, quand j’ai enfin pu la prendre… ça a été un mélange d’extase et de WHAT THE FUCK IS HAPPENING.
Puis les choses ont commencé à se gâter. Drôlement. Toute la bande du torse étant rigide (c’est normal), ça crée plein de micros mouvements ou absences de mouvements, micros sensations ou absence de sensation. Et mon cerveau il aime bien les explications claires et logiques. Et apparemment, “on a été opéré y a trois semaines” n’est pas une explication claire et logique. Cerveau drama queen putain.
Très vite donc, il y a eu la sensation que la cicatrice allait se rouvrir. La sensation de dents en dedans. Et s’il y a des dents c’est ce qu’il y a des monstres. La seule conclusion logique (j’ai dit logique, pas rationnelle) c’était donc que mon torse abritait des monstres divers qui ne demandaient qu’à sortir. Et si je faisais pas attention, j’allais tous les libérer.
Donc il fallait à tout prix, genre vraiment à tout prix, garder la cicatrice bien fermée. Ce qui dans le fond m’arrangeait hein, c’était l’objectif de tout le monde. Sauf que ça rajoutait une couche d’angoisse au moment de la visite des infirmiers. Et puis l’envie d’agrafer le tout pour être SÛR que ça tienne en revanche c’était déjà un peu plus craignos. C’est le moment où je me suis retrouvé à devoir faire des choix que seul le handicap / la folie t’offre : soit je retirais le boléro à l’occasion pour sauver la peau qui s’abimait de plus en plus à son contact mais ça enlevait une sécurité pour tenir les monstres sage, soit je gardais le boléro et j’avais plus à penser à la faille interdimensionnel dans mon torse mais ma peau s’abimait drôlement. Toujours un bonheur ce genre de choix.
Et puis la culpabilité. Parce que si je me ratais j’allais lâcher sur le monde des monstres absolument terribles. Je pouvais sentir les dents, alors je savais à quel point ils étaient dangereux. Je sentais les fissures se répandre, et de la même façon que les fois où je devais tenir le ciel, il fallait que je reste hyper concentré pour tenir toutes les fissures fermées pour que les monstres mangent le monde. Et du coup j’étais complètement terrifié parce que d’où j’avais pris un risque PAREIL aussi égoïstement ??? Peut-être que si je mourrais, ça allait résoudre le problème et refermer pour de bon la fissure…
The next thing I knew
I was falling fast
Lightning hit my wings
Heard thunder crack
Pride had infected the depths of me
Oh I love these courts
I loved that royal family
You know it could have been you
So don’t you dare judge the things that I do
Am I far from god?
Morning star?Lucifer falling from the heights
Lucifer…
etc etc
le charme de la boucle délirante donc.
Alors comme toujours, on fait sa réduction des risques… on s’oblige à demander à l’infirmier ce qu’il faut surveiller. On oublie l’esthétique, on oublie les dents. Il faut se concentrer sur les points suivants : il faut pas que la cicatrice suinte, surveiller qu’elle soit pas anormalement douloureuse (sensible is ok et normal, mais douloureuse à surveiller). On surveille la fièvre. On passe le boléro par dessus le Tshirt ce qui protège la peau. On écoute le même album en boucle (et fort) pour aider à tenir le monde. Et on demande la confirmation aux infirmiers en partant du principe que c’est leur travail et que du coup ils peuvent confirmer. (et on a pas besoin de leur parler des dents et des montres et les dimensions cosmiques et tout le bordel)
Bref, toutes les stratégies qu’on a apprises pour gérer n’importe quel délire… et qui bien sûr diffèrent selon les gens. Encore une fois, l’article avait pas la prétention de présenter un truc universel, juste de faire entendre un autre son de cloche. Je me suis senti très seul avec ma folie parce que c’est pas trop parlé tout ça… Donc voilà, pour les fols qui s’apprêtent à passer par là, ça peut être une phase compliquée, mais si ça peut vous rassurer : perso je le comprends plus comme un mélange fatigue — trop de nouvelles sensations, ainsi qu’un petit saupoudrage de transphobie / antitransmasculinité qui fait boomerang. Même si c’est pas encore totalement dissipé, je reste si soulagé et enchanté de l’avoir enfin fait ! Alors juste, si vous aussi cette partie vous inquiète, hésitez pas à inclure dans votre préparatif de convalescence les stratégies de réduction des risques qui vous semblent pertinentes, ou de réfléchir à des gens / espaces où vous pourrez discuter de ces aspects précis.
(quoi ? certes je dois maintenant chanter cette chanson au passé BUT STILL, quel banger. c’était terriblement relatable)