Dandelion
7 min readApr 22, 2019

On pourra pas sauver tout le monde.

[un article bordélique et assez sombre et amer sans doute]

J’ai tellement de choses à dire et je sais pas par où commencer. Pourtant les mots tournent en boucle dans ma tête depuis mercredi. Trop désireux de sortir. Et moi je peux plus les contenir. (en plus j’écris ça sur tablette avec une pauvre barre de wifi vacillante parce que fin fond de la vendée alors c’est juste le summum du pas pratique)

“On pourra pas sauver tout le monde”

Répète la voix en boucle depuis mercredi. Dans les milieux militants, la question de comment on fait pour se protéger soi, pour éviter le burn out, pour pas mettre sa santé mentale en danger. C’est gentil c’est mignon. C’est légitime. Mais tu fais ça comment quand la base de ton militantisme, quand ce qui vous a rasssemblé, c’est justement que tout le monde s’en foutait de votre bien-être ? de votre santé ? Ca veut changer le monde, ça veut croire au futur. C’est mignon. Mais faudrait commencer par assurer le présent. Tu peux rien construire sans fondation correcte. Pas de futur si maintenant ne tient pas la route.

Je ne crois pas au militantisme.

Je ne crois pas qu’on puisse sauver le monde, ni même qu’on puisse le changer un tant soit peu.

Et je m’en fous. C’est pas mon but. Ca n’a jamais été mon but. Il est délicieusement paradoxal qu’on voit en moi un militant alors que je n’y crois pas.

Moi tout ce que je voulais, c’était ne laissser personne derrière. Ca a toujours été le cas. Rien d’autre n’a de sens pour moi. J’ai commencé à écrire parce que je ne savais que trop bien la solitude. Il n’y avait eu personne pour moi. Depuis mes 8 ans, j’ai ramasssé les potes battu-es par leur père, les violé-es, les suicidaires, les anorexiques, les alcooliques et j’en passe et des meilleurs. Pendant ce temps-là je sombrais tranquillement dans la folie sans qu’on s’en rende compte (je suis un pro de la dissimulation). On m’a laissé de côté, et celleux que je ramassais avaient aussi été mis-es de côté. Finalement, la solitude crasse, je la connais depuis longtemps.

C’est à elle que j’en veux. C’est elle mon ennemi. Bien plus que la patriarcat et toutes ces choses-là. Combattre le patriarcat, ça n’a de sens que si tu penses qu’un autre futur est possible. Y a belle lurette que j’y crois plus. J’ai plus aucune foi en l’humain. Pour tout te dire, moi je veux que le monde brûle. Je veux un eugénisme ultime et total où il ne resterait plus la moindre trace de notre espèce et où la planète pourrait reprendre le cours de sa vie, enfin débarrassser de son pire parasite.

Sauf que c’est pas moi et mes deux petites mains qui allons réduire l’humanité en la bouillie qu’elle mérite d’être. Ca serait risible et ridicule. Alors faut bien que je fasse quelque chose.

Je ne peux pas laissser les gens toustes seules avec ça. Ca m’est insupportable. je sais la solitude et la douleur et la colère et le vide et le désespoir et le silence. Je suis devenu militant par la force des choses, un peu malgré moi. Pas parce que je pensais pouvoir changer quoi que ce soit, mais parce que je ne pouvais me résoudre à laissse des gens dans leur solitude et tout ce qu’elle draine avec elle. J’ai commmencéà écrire pour leur dire qu’iels n’étaient pas seul-es, qu’on était d’autre, plein, pareil. Avec les mêmes blessures. J’ai rien d’autres à offrir que d’écouter, rien d’autres que des mots parfois à donner, rien d’autres que raconter celleuxqu’on ne veut plus écouter ou ne sont plus capables de raconter. Je sais rien faire d’autres que ça moi : des mots et des histoires.

“On pourra pas sauver tout le monde.”

Je m’en branle complètement moi tu sais du futur, j’y crois pas. Je suis pas doué pour penseer le politique parce que ça demande d’avoir cettecroyance en l’avenir que j’ai plus. Parce que ça demande de pouvoir espérer. Parce que ça demande d’être capable de dire qui sera malheureux et de l’assumer. Moi je peux pas. Moi je traîne dans le dernier wagon du train militant à ramassser celleux qu’on oublie. Parce que parlent pas bien, pas dans les cases, pas brillants comme il faudrait, parce qu’on va perdre des points face aux dominant-es. Ou juste parce qu’il faut bien avancer et qu’on ne peut pas attendre éternnellement que les autres puissent suivre. Je sais pas faire ça.

Alors je propose rien. Rien du tout. Je le sais hein. Pas la peine de vous fatiguer à me le signaler. C’est pas mon but. Je sais que j’ai pas cette compétence.

Tu crois que ça leur sert à quoi aux gens de leur expliquer que c’est systémique ? J’ai pas besoin d’un grand concept pour le savoir. Tous les trois mois on viole un-e pote. Tous les trois mois j’héberge caline console écoute pleure avec suis en colère. Tu crois que ça va lui faire quoi à la pote qui te réclame de la glace à la mangue en novembre parce que y a rien d’autre à faire pour panser la plaie si je lui dis “c’est systémtique tu sais, culture du viol” ? Que dalle.

Tu crois que ça les aide les psychiatrisé-es qui ont connu la contention et l’isolement et “les chaînes dans la chair et la merde sur les murs”qu’on leur dise que la violence est systémique et non puni car outil de contrôle ? Tu crois que ça répare ? Que ça efface ? Que dalle.

Tu crois que ça les aide à avoir moins mal les suicidaires qui en ont trop vu trop vécu et qui ne voient pas d’autres issues tellement ielss ont mal et tellement on écoute pas ? Que dalle.

C’est pour ç que j’y crois pas au militantisme. J’en ai rien à battre de faire un meilleuir futur. Je voudrais qu’on puisse aider celleux-là maintenant. Qu’on puisse leur rendre ce qu’on leur a pris, leur offrir une compensation décente. Mais tu vois c’est pas possible. Rien n’effacera les violences les humiliations les agressions les mutilations les viols qu’iels ont vécu. T’auras beau mettre tous les mots que tu veux dessus, ça changera rien, ça ne résoud pas le problème.

On pourra pas sauver tout le monde, et pour certain-es d’entre nous, c’est déjà trop tard. Iels le savent. Iels le disent. Iels ne s’y retrouvent pas dans le militantisme. Exclu-es parmi les exclu-es. Et la colère grossit et la colère est légitime. Si même nous ne pouvons pas l’entendre, alors à quoi est-ce que tout ça sert ?

Le militantisme ne sert à rien car nous reproduisons les échelles et hiérarchies du monde extérieur. C’est humain, c’est normal et largement documenté. Mais ça me désespère. C’est bien pour ça que j’ai un mal fou à m’engager dans une démarche collective et politique. Parce que je vois les mêmes mécanismes se monter et l’impression d’avoir échoué me prend à la gorge. Ce matin une membre dans un groupe a exprimé sa colère sur ça avec toute la violence qu’elle pouvait, et ça prend à la gorge parce qu’elle avait tellement raison. On a merdé.

Aucun espace ne sera jamais safe. Et on ne peut pas construiire sur du vide. Alors on fait avec ce qu’on a. Et ce qu’on a, c’est franchement pas la panacée.

Avant de vouloir “protéger notre santé” il faudra qu’on admette qu’on ne pourra pas sauver tout le monde. On le doit à celleux qui ne sont plus parmi nous. On le doit à celleux qui ne peuvent pas être parmi nous. On le doit à celleux qui tomberont et ne se relèveront pas. On le doit car quand l’un-e de nous tombe, c’est nous toustes qui tombons. On le doit parce qu’il faudrait pouvoir pleurer nos mort-es, mais qu’il n’y a pas de teemps pour ça.

Uun ami s’est suicidé. J’ai perdu un frère. Mais je l’avais à peine appris qu’il fallait soutenir un-e autre, au bord du suicide, parce que violé-e en début de semaine en plus de tout le merdier qu’iel avait déjà à gérer. Par ricochet, pensée à toustes celleux qui luttent avec ces démons-là et prise de nouvelles en masse. Nous n’avons même pas le temps de pleurer nos mort-es car déjà il faut retenir les autres.

Et faudrait que je pense un futur meilleur ? Désolé, j’ai pas le temps. J’ai déjà à peine le temps d’avoir un passé, alors un futur… Je m’en fous… Je voudrais me dire que ce qui s’est passsé la semaine dernière est une exception, que j’aurai plus à revivre ça. Mais c’était pas la première fois, çasera pas la dernière. Je m’en fiche du futur. Je veux que celleux qui souffrent MAINTENANT puissent ne plus souffrir, qu’on les entende, qu’on leur tende la main. Qu’on arrête de les oublier en se disant qu’on mise sur l’avenir. Qu’est-ce tu veux que ça leur fasse le futur quand leurs corps ne seront plus jamais les mêmes à cause de ce qu’iels ont subi ? Qu’est-ce tu veux que ça leur fassse l’avenir quand on leur a retiré leurs gosses parce que trop pauvre ou trop malade ? Qu’est-ce tu veux que ça leur fassse l’avenir quand on les a convaincu qu’iels étaient des êtres immondes méritant à peine de vivre ? Franchement, quel valeur il a cet avenir si on le regarde pour mieux ignorer la souffrance qui se vit MAINTENANT ? L’avenir, c’est les oeillères du militantisme… bien sûr qu’il faut le penseer, le rêver, l’imaginer… mais à quoi ça sert quand tant de nos adelphes souffrent encore sans certitude de le voir cet avenir ?

Je me sens vide et inutile. L’impression que mon cynisme ne suffit plus à me protéger de quoi que ce soit., Je me sens petit, incapable d’agir pour aider les gens que je vois souffrir autour de moi. Powerless. J’ai rien d’autre que des mots, et je le sais que çz sert à rien.

Je sais qu’on pourra pas sauver tout le monde. Et ça me rend malade. Depuis jeudi j’arrive à nouveau plus à me lever le matin, à m’investir dans les quelques projets militants dont je suis membre. Je sais pas si ça passera.

J’aimerais qu’on se demande plusse comment arrêter la souffrance et la solitude de nos adelphes, car il n’y aura pas de futur qui vaudra la peine si nous ne faisons pas cet effort pour iels maintenant .

“On pourra pas sauver tout le monde…”

Dandelion
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Written by Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.

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