À mes proches qui disent que je ne suis pas fol…

Dandelion
7 min readApr 24, 2020

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Je le suis. Mais c’est pas grave.

“C’est plus facile d’écrire à tous, plutôt qu’à un, et d’avoir le mot de la fin” comme dit Zazie. Donc, voici une lettre ouverte. À mes proches, et peut-être à celleux d’autres fols.

Quand ça va mal, quand il y a des polémiques crasses qui ressortent comme ça, et qui réveillent en moi le sentiment dégueulasse et poignant d’être un monstre, que je suis terrifié à l’idée qu’en vrai toustes mes ami·es ont peur de moi, parfois, certain·es pour me rassurer me disent “non mais toi t’es pas fol”, “toi c’est différent, c’est pas comme les fous dangereux”, et autres variantes.

Si je vous écris cette lettre, ce n’est pas pour vous jeter la pierre ou un quelconque blâme. Ce n’est pas un acte de rancune. Je sais que vous pensez bien faire. Et vous faîtes avec ce que vous avez. Le problème, c’est que ce vous avez est problématique… et si vous m’aimez vraiment, il est important que vous le sachiez.

Cette assertion, elle pose plusieurs problèmes. Déjà, elle est basée sur une représentation faussée de la folie. Une représentation qui associe intrinsèquement violence et folie. Comme si les fols étaient plus violents que les autres. Est-ce qu’il y a des fols violents ? Oui. Mais statistiquement, pas plus que dans la population non folle. Pourtant, nous sommes considéré·es violent par défaut. On considère aussi que la violence des fols est dépourvue de sens. En vérité, ce n’est pas parce qu’on y a pas accès qu’elle n’a pas de sens, qu’elle ne prend pas racine dans quelque chose. La réalité c’est plus compliquée que vous ne le croyez… c’est pas un truc d’un bloc, c’est un système de couches. Le problème avec la folie, c’est que les couches se mélangent et que parfois, on ne sait plus sur laquelle on est, laquelle est la bonne. La violence elle a une racine, une cause, le fait que vous ne la connaissiez pas, ne puissiez pas la voir, la comprendre, ne change rien à ça.

Et je veux bien que vous ayez toustes croisez au moins une fois ces gens qui parlent seul dans la rue, qui spasment et se comportent bizarrement. Voire même que vous puissiez avoir eu peur, et que pour certain·es, vous ayez même pu être menacé·es par ces gens. Mais déjà, ayez l’honnêteté de vous rappeler de tous les non fols qui vous ont fait peur dans cette même rue. Allez, vous et moi, on s’est suffisamment raconter d’histoires de harcèlement de rue et d’agression pour savoir que la violence n’a rien à voir avec la folie non ? Qui plus est, ne faîtes pas l’erreur de croire que je ne suis pas comme ces gens-là : je le suis. Vous n’avez simplement jamais été témoin de ces moments. De ces moments où j’ai trois voix, ou plus, dans la bouche, où mon corps se tord, où je mords mes mains au sang pour qu’elles n’arrachent pas mon visage, où le ciel se fissure et c’est ma faute. Vous n’avez pas vu ça. Et vous ne savez pas ce qu’il s’est passé à Nantes. Mais c’est arrivé. J’ai fait peur aux gens tout comme vous avez eu peur de ces gens. Je suis cette personne qui fait peur dans la rue.

J’en suis pas fier. Mais je peux pas nier que c’est arrivé. Que ça arrive encore, même si moins souvent. J’ai hurlé tant et tant. À l’époque j’espérais désespérément qu’à force de hurler, les gens seraient suffisamment agacés, ou auraient suffisamment peur, pour faire quelque chose, envoyer quelqu’un, m’arrêter. Aujourd’hui, I know better. C’est pas une idée. Vous imaginez pas la douleur et l’angoisse quand vous en arrivez à ce stade, à vous dire que si vous pourrissez suffisamment la vie des voisin·es, iels vont bien être obligé·es de réagir.

Je suis fol… c’est ni bien ni mal. C’est comme ça. Et y a pas à chercher d’échappatoire ou de façon de me prouver que je le suis pas, ou pas vraiment. J’entends des voix, j’hallucine, je suis persuadé que je n’existe pas, et donc que je peux pas mourir, je sens mes organes pourrir, je me dis régulièrement que si j’arrachais tel bout de corps alors tel problème serait réglé, il y a des périodes où le moindre mail me semble une attaque, où quand on me parle j’ai l’impression qu’on cherche à me bouffer, des fois je vois le ciel se fissurer et c’est ma faute, etc etc. Je suis fol. Point barre. Y a pas de négociation possible.

La vraie différence entre moi et ces gens dans la rue qui vous ont fait peur, ce n’est pas qu’elleux seraient vraiment fols et pas moi. La différence, c’est que j’ai eu de la chance. Parce que malgré les hurlements, personne n’a jamais appelé les flics quand j’étais dans cet état. Parce que mes parents ont choisi de me laisser le temps plutôt que de me faire interner. Parce que j’étais pas suicidaire alors ça passe mieux auprès des soignant·es. Parce que j’étais doué à l’école, alors cliché oblige, je pouvais pas être vraiment fol, et pas conséquent on m’a épargné nombre de choses qu’on leur impose. Etc etc. Plein de petites cartes chances comme ça qui m’ont évité que la situation dégénère, et surtout m’ont permis d’apprendre à vivre avec tout ça.

Moi aussi quand je vois ces gens dans la rue, j’ai un peu peur. Pas parce que j’ai peur de leur hypothétique violence (toute façon je considère tout inconnu comme potentiellement dangereux jusqu’à preuve du contraire u_u), mais parce que je sais que c’est une version possible de moi. Que c’est un avenir possible pour moi. Qu’on m’abandonne. Que je perde mon appart. Mes revenus. Et qu’il ne me reste plus que la folie pour me tenir chaud. Oui, ça ça me fait peur. Énormément. Cet avenir, ça reste un possible pour moi. Parce qu’il suffirait que la prochaine fois, quelqu’un appelle les flics… ça tient tellement qu’à un fil la vie.

Et enfin, dernier problème avec cette assertion : les fols sont des êtres humains. Pourtant, on les enferme, et on les laisse pourrir. On considère que c’est normal si iels se font tirer dessus par les flics. On considère que les gaver de médocs jusqu’à ce qu’iels puissent plus bouger c’est la bonne solution. “parce que iels pourraient être violent vous comprenez”.

Dîtes, vous en entendez souvent parler de la détresse des fols ? De leur souffrance ? De ce qu’iels ont subi ? Vous avez l’impression qu’on leur offre beaucoup d’avenir ? Vous pensez vraiment que tout ça c’est pour leur bien alors qu’on les prive de tellement de choses qui vous paraissent essentielles ?

Quand vous me dîtes que je suis pas fol, pas comme elleux, ce que vous faîtes, inconsciemment, c’est créer une hiérarchie, avec d’un côté les bons malades mentaux, et de l’autre les mauvais fols. Encore une fois, c’est l’échelle que la société vous donne, alors je vous jette pas complètement la pierre. Mais cette échelle elle n’aide personne. Ni les fols qui n’arrivent plus à connecter avec la réalité, ni moi. Il n’y a pas de différence entre elleux et moi, si ce n’est un parcours de vie et l’image que vous avez de nous. Je présente bien (enfin à peu près), je parle bien, je suis en thèse, j’ai un boulot validé socialement. Et comme ma folie obéit à la loi du silence, la plupart ne voit pas la folie quand elle leur crève les yeux (sérieux la moitié de ma thèse est délirante as fuck hein OO). J’irai pas mieux parce qu’on enferme les gens avec plus de difficultés. Je veux qu’iels aient les mêmes chances que moi. Je veux qu’on les écoute. Leur parole doit être entendue. Au même titre que la mienne.

Qu’iels aient plus de difficulté, passent moins bien, soient plus violent·es ne les rend pas moins humains. Cette hiérarchie, elle ostracise, et elle pénalise tout le monde. Et au final, elle donne l’impression que c’est normal qu’on les oublie ou qu’on les enferme, qu’iels avaient qu’à faire “les efforts” (mais lesquels ???).

Pour toutes ces raison, non ça ne me rassure pas quand vous me dîtes que moi je suis pas vraiment fol. Je le suis. Les gens ont peur de moi, c’est un fait. Et maintenant ? Maintenant que vous savez qu’il n’y a pas tant de différences entre moi et ces gens qui vous effraient dans la rue, vous allez détourner les yeux ?

Moi, c’est ça qui me fait peur. Que vous ayez une vision déformée de ce qu’est vraiment la folie, je comprends. On fait toustes avec ce qu’on a. Mais si vous n’apprenez pas, vous ne comprendrez jamais la réalité qui est la mienne, et tôt ou tard, vous me blesserez. J’ai accepté que j’étais fou (enfin en tout cas j’y travaille), c’est à votre tour de l’accepter maintenant. Vous êtes ami·es avec un fou. Ça fait partie du package.

With love,
Dandelion

Tell me no stories
and I’ll tell you no lies
no one wants to hurt me
but everybody tries
and if you think that I’ve been waiting for my planet to align
it’s time you go on
get your things, get up, get out !
I’m doing fine…

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Dandelion
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Written by Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.

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