Gérer la paranoïa

Dandelion
20 min readApr 11, 2022

--

blablabla mais on peut pas communiquer avec les délirant·es blablabla on peut pas les laisser décider pour elleux-mêmes blablabla et si iel est paranoïaque et veut pas nous écouter on est bien obligé·e de forcer

blablabla
blablabla

bla

Oui bon d’accord, je suis peut-être un peu énervé. Faut dire que j’en ai un peu marre de voir partout justifier les violences de la psychiatrie parce que sans ça “mais qu’est-ce qu’on va faire des fols délirants parano qui veulent pas se laisser faire olala ça fait peur mais hein bon on va dire que c’est pour leur bien”.

[prend une grande inspiration]

Promis, le reste de l’article va être plus constructif. Si j’avais envie de commencer par là, c’était plutôt pour remettre la faute au bon endroit et pour signaler que la façon dont on traite les paranoïaques est un non sens qui vient valider la paranoïa. La paranoïa étant un délire comme un autre, les paranoïaques, comme tout délirant·es, se voient priver de leur agentivité au titre que “iels ne sont pas capables de prendre des décisions pour elleux-mêmes”. Alors que si. Vous savez juste pas nous parler, ni vous comporter avec nous.

Que trouverez-vous dans cet article ?
D’abord, un récap sur ce qu’est la paranoïa, à quoi elle sert, et surtout en quoi elle est plus souvent qu’on ne le croit politique.
À partir de là, on commencera à parler de comment la gérer au quotidien, en partant du plus urgent (donc le moment où on est le plus submergé et le moins apte à penser) jusqu’au moment où on peut se poser pour réfléchir. Et on terminera par quelques conseils pour les proches.
Certaines pistes pour gérer sont sommaires, tout simplement parce que c’est compliqué (impossible) de faire quelque chose d’exhaustif et qui soit généralisable. C’est une base, à partir de la quelle construire en fonction de votre situation. J’espère quand même que pourra vous donner des idées ❤

Like a face that I hold inside A face that awakes when I close my eyes A face that watches every time I lie A face that laughs every time I fall (And watches everything) So I know that when it’s time to sink or swim That the face inside is here in me Right underneath my skin

It’s like I’m paranoid, looking over my back It’s like a whirlwind inside of my head It’s like I can’t stop what I’m hearing within It’s like the face inside is right beneath my skin

La mécanique paranoïaque

Autant commencer par le début, on va tâcher de comprendre ce qu’est la paranoïa.

En fonction des gens, elle peut prendre des formes différentes. On en discute souvent entre concerné·es : la paranoïa, mécanisme ou émotion ? J’avais fait un long thread il y a quelques temps sur la question. On va prendre un chemin légèrement différent aujourd’hui, afin de rappeler encore une fois à quel point la folie n’est pas en dehors du réel, mais bien en prise avec et dans le réel.

En tant que mécanisme, la paranoïa va chercher des signes de danger. Et bon, quand on cherche, on trouve. C’est un mécanisme de défense, quelque chose qu’on a appris. Parce qu’à un instant T (qui n’est potentiellement pas fini), on en avait besoin pour survivre. Par exemple, ayant subi quinze ans de harcèlement scolaire, j’ai appris que les marques d’affection et les invitations étaient en fait des pièges tendus pour m’humilier, ou pour exiger une rétribution après. J’ai appris que les gens qui riaient étaient un danger. Idem pour les gens qui jouent au ballon. J’ai appris qu’on ne m’offrirait jamais d’affection sans exiger un paiement en retour, potentiellement sexuel, mécanisme accentué par la culture du viol dans laquelle on baigne. La liste s’allonge à chaque abus, chaque trauma.

Ce sont aussi les personnes non-blanches qui ont intégré le racisme de nos sociétés et ne peuvent de fait plus faire confiance aux personnes blanches, parce que sans ça elles s’exposent à des dangers. Ce sont aussi les personnes psychiatrisées qu’on médique de force et qu’on prive de droit, et quand on annonce qu’il faut se faire vacciner pour le COVID vont traîner des pieds et refuser, parce qu’elles ont appris que le soin n’est pas un choix, que les médicaments quels qu’ils soient sont une violence et s’accompagnent de perte de droit.

La mécanique paranoïaque est considérée comme pathologique, ce qui remet (encore) la faute sur l’individu. Or, comme on peut le voir avec ces quelques exemples, sans ça, les individus en question n’auraient pas survécu. Voire, ne survivraient toujours pas. Un ami m’a dit “paranoïa is clear-mindedness” et il avait clairement raison.

Partir du principe que je dois cacher au monde que je suis schizo parce que la psychophobie est réelle, c’est ce qui m’a, entre autres, permis d’arriver là où j’en suis. Cacher certaines choses aux soignant·es parce que les voix hurlaient qu’il fallait pas leur faire confiance, c’est ce qui m’a, entre autres, permis d’éviter le pire de la psychiatrie. Repérer les moments où quelqu’un monnaye son affection, c’est ce qui me permet d’avorter très tôt des relations toxiques.

Pour les personnes non blanches, être paranoïaque dans un monde de blanc est presque une question de survie sine qua non. (Threads ici et aussi ici, je ne m’étends pas parce que c’est pas à moi d’en parler. En revanche, il est important qu’on en ait conscience, car même dans nos groupes de pairs, on accusera de paranoïa ou d’exagération les personnes non blanches qui nous mettrons face à notre racisme. Donc nous aussi on doit faire mieux.)

Et si j’ai ouvert cet article sur un n’importe quoi de colère, c’est parce que les mêmes soignant·es qui reprochent aux paranoïaques d’être insoignables créent elleux-mêmes la paranoïa qui pousse à ça. La psychiatrie en tant qu’organe de contrôle scrute tout. Ce n’est pas un délire de le dire, c’est un fait. Tout ce que vous faîtes dites mangez épilez lavez ménagez gérez tout tout tout est passé au crible pour s’assurer que vous faîtes bien et selon les normes. Si vous n’étiez pas dingue avant, vous le serez après. C’est quelque chose dont témoigne fréquemment les personnes qui subissent l’institution dans ce qu’elle a de plus pernicieux : au-delà de l’internement, il y a les logements thérapeutiques, les visites à domicile, les tutelles et curatelles. Bref, tout un enfer de contrôle social qui se déplace chez toi pour vérifier que t’as bien lavé la poignée du frigo (exemple RÉEL, c’est pas une exagération). La prochaine fois qu’on vous vantera les bienfaits de l’ambulatoire, pensez-y (à laver vos poignées de frigo donc).

Donc bon, quand j’ai des soignant·es qui débarquent dans mes mentions pour me dire que non on peut pas laisser les délirant·es choisir parce qu’iels leur font pas confiance, donc faut les forcer, j’ai envie de leur demander en quoi leur prouver qu’iels ont raison de pas leur faire confiance va aider…

La mécanique paranoïaque s’ancre donc dans du RÉEL. Qu’il soit passé ou encore présent. Comme tout délire, la paranoïa cherche à protéger. Et c’est la première chose à comprendre pour vivre avec.

On présente deux images à une femme. L’une dit “un vrai compliment” l’autre dit “une attaque en bonne et due forme”. On lui demande de faire la différence entre les deux. La femme répond “ce sont les mêmes images” avec l’air d’être fière de pas être tombée dans le piège

D’abord l’urgence

La paranoïa est un mécanisme, et comme on disait plus tôt, c’est aussi une émotion. En fait le problème n’est pas tant le mécanisme (ça c’est la partie facile, on va y revenir plus tard), que la partie émotion. Justement parce que c’est celle-ci qui va déborder et rendre le monde invivable. C’est elle qui va faire qu’on perd complètement de vue la racine, et donc les causes qui ont rendu nécessaire la présence d’un délire. Donc avant de parler de comment gérer le mécanisme, on va essayer de comprendre la partie “paranoïa déferlante”, celle qui fonctionne en crise et empêche de réfléchir, de bouger, de faire confiance aux gens que pourtant on connaît bien, etc.

Il y a des moments comme ça où la paranoïa prend tout. Elle s’imprègne dans tous les éléments de la vie quotidienne. Tout devient espion qui surveille. Tout devient agression (potentielle). Tout est dangereux. Tout est une attaque personnelle.

Le but du jeu va consister à reprendre pied petit à petit. On commence par la base. Dans un premier temps, le but du jeu c’est de respecter les besoins primaires : manger, boire, dormir. Minimum. Certains délires paranoïaques peuvent rendre ça compliqué. (typiquement les “on essaie de m’empoisonner” ou “on va venir me tuer dans mon sommeil”)

Si jamais vous êtes trop loin pour que raisonner vous soit accessible : ok d’accord, peut-être qu’il y a un risque imminent, dans ce cas, hope for the best and prepare for the worst. Live to fight another day. Vous avez besoin de manger, et si vous vous laissez mourir de faim pour ne pas être empoisonné·e, au final, c’est contre-productif. Avez-vous la possibilité de vous cacher des choses ? Ne serait-ce que du pain de mie que vous auriez acheté vous-mêmes ? La possibilité de faire des courses mais alors vraiment juste pour manger là maintenant tout de suite ? De partager un repas avec quelqu’un d’autre qui pourrait alors vous servir de goûteur ? Pour dormir, vous pouvez aussi bricoler des systèmes d’alerte : des miettes de biscottes sur les zones de passage (ça craquera quand quelqu’un passera), une clochette à un endroit stratégique (genre celles qu’on file pour que les chats jouent, ces foutus grelots de ces morts là), tendre une ficelle dans le cadre de la porte, etc. Ça fait très Maman j’ai raté l’avion, mais c’est des petites choses que vous pouvez facilement mettre en place et qui vous permettront de dormir en sachant que si quelqu’un arrive, vous serez immédiatement alerté·e.

Le but de ces stratégies c’est trouver un équilibre : il faut bien gérer le délire de manière à vous apaiser un minimum, mais en faisant en sorte de limiter les dégâts (sur vous ou votre environnement).

des pions de Scrabble qui forment le mot “safe” (en sécurité)
Photo by Clarissa Watson on Unsplash

Et la violence ?

Personnellement, j’ai aussi toujours eu peur d’attaquer. Quinze ans de harcèlement scolaire ça t’apprend que la meilleure défense c’est l’attaque… et puis phobie d’impulsion. Je fais donc des plans. C’est-à-dire que quand je vais bien, je réfléchis : à partir de quel moment je peux considérer qu’il faut effectivement que j’attaque (potentiellement violemment) ? L’idée est un peu de repérer le pire scénario possible. Attention, ça nécessite de regarder le délire paranoïaque dans les yeux, ça peut être effrayant (et du coup trigger…), donc à faire de préférence quand vous êtes dans un moment où ça va bien.

Si je donne cours et que j’ai peur que les étudiant·es m’agressent parce que y en a au premier rang qui joue avec une paire de ciseaux, à partir de quel moment il est legit de se défendre ? La paranoïa veut répondre “là maintenant tout de suite danger”. C’est à moi de réfléchir : si tout peut être une arme, à quel moment ça le devient vraiment ? Si la paranoïa considère tout comme une attaque, un danger, alors je dois m’obliger à chercher des preuves. En cours, tout le monde joue avec ce qu’iel a sous la main. À partir de quand je peux vraiment considérer ça comme une menace ? Et là en général je me rends compte que pour qu’il y ait attaque, il faut que l’étudiant m’adresse ses gestes, ce qui veut dire engager des mouvements du corps dans ma direction. Or sa table va le gêner, donc, je peux guetter les mouvements en question. Je vais donc obliger la paranoïa à guetter ces mouvements-là, et interdiction d’agir tant que : l’étudiant n’est pas dégagé de sa table, avec une posture d’attaque.

Ça permet deux choses :
1/M’obliger à me contenir et donc ne pas attaquer et faire du mal pour rien
2/ Savoir comment me préparer en cas d’attaque effective

J’ai donc pris en compte mon délire, et j’ai limité la possibilité de danger pour moi et les autres. Essayer d’être concret, définir un seuil à partir duquel il y a une réelle menace qui nécessite une réaction. Et décider de la réaction à avoir. De sorte qu’on contrôle un minimum les dégâts qu’on peut causer, et qu’on sait qu’on saura réagir au besoin.

Ça nécessite effectivement d’être déjà assez apaisé, et honnête avec soi-même. Et malheureusement, il est difficile de parler concrètement de ce genre de pensées avec nos soignant·es sans risquer l’internement forcé. Parce que c’est bien connu, exposer quelqu’un à la violence, ça lui apprend à gérer sa propre violence (non). Rappel supplémentaire s’il en fallait un que la psychiatrie ne sert à rien, et même pas à protéger les gens qui “se mettent en danger elleux-mêmes ou les autres”. Merci pour rien.

C’est un rapide détour, parce que TMTC j’ai pas envie de m’étendre là-dessus en public (parce que la paranoïa justement !)(t’as vu c’est bien fait. démonstration par l’exemple), mais oui, la violence déclenchée par la paranoïa, ou son risque, on peut aussi à prendre à le gérer.

Quant à la violence auto-infligée… Je sais pas vous, perso j’ai toujours tendance à la considérer comme moins grave. Genre agresser les autres c’est mal, mais m’agresser moi-même, franchement OSEF. Toutefois, là aussi, on peut essayer de faire en sorte de limiter les dégâts.

Dans le cas où vous vous retrouveriez avec un membre qui ne vous appartient pas (ça craint hein ?), le découper peut être tentant. Gagner du temps. Ok, c’est l’enfer et extrêmement désagréable et flippant. MAIS, est-ce que ce membre est une menace ? Là aussi essayer de voir. Avant de le découper, il y a des moyens de limiter ses mouvements, histoire qu’il aille pas faire n’importe quoi.

Idem si vous avez un micro implanté dans la tête. Avant d’aller vous arracher la puce violemment, si vous pouvez, commencer par juste rendre ce truc inutilisable. Musique forte, ou un espace de vacarme qui viendra couvrir vos pensées. (ici on pense en trois langues et tout se mélange et devient insensé) Bref trouvez des moyens de brouiller les pistes. Souvenez-vous : live to fight another day. Si vous vous rendez mort en voulant vous libérer, au final vous avez perdu (et donc “ils” ont gagné). Essayez de gagner du temps jusqu’à trouver une solution qui ne vous mette pas en danger.

Si des mutilations doivent arriver, ça sert à rien de se culpabiliser. C’est bon vous êtes déjà puni·e, inutile d’en rajouter une couche. Parfois il vaut mieux céder à “moins” que d’attendre qu’on en puisse plus et faire pire. (genre : si je me retiens indéfiniment et que je finis par péter les plombs et risquer les coupures au cou, c’est ptet mieux que je cède plus tôt quand je peux me contenter d’une zone moins dangereuse) Minimiser les risques, c’est déjà bien. En revanche, prévoyez de quoi soignez : compresses, désinfectant, de quoi faire des pansements, biafine si vous êtes du côté brûlure de la force (à défaut, une crème hydratante ça fera déjà le job). Les pansements doivent être faits de façon à protéger les plaies, c’est-à-dire limiter les frottements, mais ça doit respirer, donc faîtes pas des trucs archi serrés non plus. Si possible évitez de recouper / brûler sur des blessures non cicatrisées.

Capture d’écran de Legion, épisode de multivers. David en version junkie, le visage plein d’ecchymoses, les yeux cernés qui révèlent une légère angoisse, dans un diner miteux. Il explique la théorie des univers parallèles où chaque décision qu’on fait ouvre un univers entier. À cet instant, il se stoppe dans son explication, soudain effrayé par l’immensité de la chose “ça fait un max de branches.”
Moi qui me trigger tout seul comme un con à vouloir englober autant de délires paranoïaques que possible. C’est fou ce qu’on est des gens imaginatifs quand même !

Remonter à la racine

Maintenant qu’on a géré nos besoins vitaux, et notre éventuelle violence, on va ptet pouvoir commencer à pouvoir démêler les fils. Jusque là, on a fait en sorte de laisser le délire gagner, dans une version acceptable. Maintenant, se nourrir de pain de mie, réinstaller ses grelots le soir et se mutiler tous les jours, c’est quand même pas l’idéal. MAIS, ça permet d’atteindre un point où on va se sentir un peu plus en sécurité. C’est de ça qu’on a besoin pour commencer à prendre un peu de recul. (à noter : vous n’avez bien sûr pas attendre d’être en crise pour revenir en arrière ! si vous êtes déjà en état de raisonner, faîtes le, attendez pas que ça parte en steack. Comme indiqué, plus vous aurez pu prévoir des plans de crise, moins y aura de dégâts)

On va pouvoir commencer à s’interroger un peu : pourquoi on mettrait autant de moyen pour vous supprimer ? Non parce que, la plupart d’entre nous, faut bien l’admettre, on vaut pas grand chose. Nous supprimer n’est pas particulièrement un enjeu. Et si vraaaaaaiment, on a de bonnes raisons de le croire (parce que bon, on vit quand même bien dans un monde transphobe raciste validiste psychophobe et tout le bordel, donc des fois oui, c’est légitime), est-ce qu’on utiliserait un moyen si compliqué pour se faire que l’empoisonnement ou débarquer la nuit pour vous tuer ?

Pourquoi est-ce qu’on s’embêterait à remplacer tous les meubles et objets de votre chez vous par d’autres, identiques ? Y compris le chat ? C’est quand même vachement de boulot non ? Pourquoi un plan si complexe, digne d’un méchant de Totally Spies ? Quel est le but ? Pourquoi vous ?

Pourquoi ces inconnus dans la rue vous en voudrait personnellement ? Pourquoi on vous enverrait des mails de menace déguisés en spam ? Pourquoi vous pensez que c’est à vous qu’on en veut précisément alors que ces spams sont reçus par tout un tas de gens ? et qu’il y a plein d’autres gens dans la rue ?

La liste des questions peut s’allonger et varier en fonction de votre délire. À vous de voir (et éventuellement dans discuter avec des personnes de confiance qui pourront vous aider à poser les bonnes questions). Le but n’est pas de juger, mais de trouver des éléments concrets pour expliquer la paranoïa. Quels indices, quelles informations permettent d’arriver à cette conclusion ? Comment cette pensée paranoïaque s’est construite ? Sur quoi elle s’appuie ? Trouver les indices et remonter la piste. Prenez votre temps. C’est important de le faire, mais il faut le faire en respectant vos limites. N’oubliez jamais qu’au handicapante et dangereuse que soit la forme de votre paranoïa, à la base, elle voulait vous protéger. Le but du jeu consiste à comprendre de quoi elle veut vous protéger, et pourquoi elle a pris cette forme. C’est ok de pas y arriver du premier coup. Dites vous que chaque indice trouvé, c’est une piste de plus pour la fois suivante. En bref, même si vous ne comprenez pas tout tout de suite, ne vous jetez pas de cailloux (ça fait mal), gardez précieusement ces indices pour plus tard. Ce travail réflexif c’est un muscle à entraîner, et plus vous allez le faire, plus vous allez obtenir de résultat.

À partir de vos indices, deux possibilités vont se dessiner.

There’s so much in the rearview Hard to see what’s going on It hasn’t been this blurry before Something feels wrong

Where do I go? Who do I follow? Who bring me joy? Who bring me sorrow? How do I make sure I don’t go through this again?

Glued myself together So that you can’t see That I don’t know any boundaries Impossible to read

Do I even know the way? I need space so I can make mistakes Confidence will be my best revenge So I can start to live again

Even a broken clock is right twice a day.

Possibilité 1 : Vous délirez. Cette main est bien la vôtre, votre yaourt avait un sale goût parce qu’il était périmé, les étudiant·es menaçant·es sont juste des étudiant·es stressé·es qui envoient des mails sans avoir lu les consignes, en fait si, c’était bien vos affaires, les gens dans la rue rigolaient parce que c’est ce que font les gens dans la rue des fois, non le formulaire de la CAF ne vise pas à vous planter vous, il est mal fait de base, etc etc. C’est pas grave, ça arrive même aux meilleurs d’entre nous. Cette paranoïa-là, c’est souvent des restes. Des choses dont on a appris à se défendre et maintenant, nos capteurs sont bousillés et s’emballent d’un rien. LA BASE VIRALE VPS A ÉTÉ MISE À JOUR. TMTC.

Ces formes là se déclenchent soit en réponse à un trigger particulier, soit parce que votre état d’esprit du moment s’y prête. En gros, c’est un peu le default mode quand on perd pied : je suis épuisé·e / je me sens impuissant / je suis perdu / il y a trop de choses à gérer en ce moment / je comprends pas [rayez les mentions inutiles, rajoutez celles qui manquent]. L’esprit ne sachant plus comment se défendre devant la masse, décide donc de passer en mode défense ultra vénère “si je considère tout comme un danger alors je vais pouvoir m’en sortir”. Ce qui est chiant parce que techniquement, si on est dans cet état d’overwhelmed, on peut pas le résoudre par définition… En revanche, on peut déjà en avoir conscience et ça permet de gérer le mécanisme plus facilement, de l’empêcher de s’emballer trop, et ça aide à se raisonner et se réancrer dans le réel. Ça peut permettre aussi de réfléchir (et donc de continuer à remonter la piste): qu’est-ce qui cause cet état d’esprit ? Est-ce qu’il y a eu trop de nouveautés ? Trop de choses à gérer dernièrement ? Trop de mauvaises nouvelles ? Manque de socialisation ? Événement particulièrement douloureux ? S’il y a un trigger particulier, il y a sans doute un trauma particulier à résoudre, et donc déjà, une possibilité de repérer ce trigger pour l’éviter dans un premier temps, et par la suite résoudre le trauma. Retrouver la cause ça va vous permettre de savoir à quel moment il faut agir. Et surtout, ça va vous donner des billes pour lutter contre les idées toutes faites de la paranoïa

parce qu’on va pas se mentir, souvent la paranoïa s’embête pas trop de raisonnement scientifique…

à moins que…

Possibilité 2 : Vous avez raison. Comme on l’a dit dans la première partie de cet article, ignorer le caractère politique de la paranoïa (et de la folie en général) c’est mal comprendre ce qu’elle est vraiment.

On peut comprendre que les personnes non blanches soient paranoïaques quand elles sont les premières victimes des violences policières et que leurs problèmes de santé (psy comme physique) ne sont pas pris au sérieux par les soignant·es.
On peut comprendre que les personnes trans soient paranoïaques quand on balance régulièrement des slogans transphobes et essentialisant dans les milieux féministes alors qu’elles ont déjà averti du danger de ces trucs-là. On peut le comprendre d’autant plus quand on voit le chemin prix en Grande-Bretagne et aux US.
On peut comprendre que les personnes fols soient paranoïaques quand on voit que ce qui est proposé comme du soin est en fait de la violence et de la privation de droits humains.
On peut comprendre que les personnes intersexes soient paranoïaques quand la médecin leur a imposé des opérations et mutilations dès le plus jeune âge alors qu’il n’y avait pas de danger pour leur santé.
On peut comprendre que les personnes vivants dans un foyer abusif soient paranoïaques quand elles ont été soumises à des patterns de violence dès le plus jeune âge.

etc. etc.

C’est une paranoïa nécessaire à la survie de ces populations. Parce que la confiance est un luxe qu’elles ne peuvent pas se permettre.

Le problème finalement c’est quand cette paranoïa prend le pas et nous empêche de mener nos vies. C’est-à-dire qu’on anticipe tellement que finalement, on va pas chercher de taf, de logement, de soins, etc. (c’est pas un reproche ni une culpabilisation) Donc à ce stade, la question n’est pas de considérer ça de façon pathologique (ça ne l’est pas), mais là encore de penser de façon concrète… et de se faire un plan d’attaque.

Je vais pas nécessairement rentrer dans le détail, parce que là ça dépend trop de votre situation et de l’oppression en question. Mais il me paraissait nécessaire de signaler que cette forme existe, et qu’elle est legit.

Lire les témoignages d’autres qui ont pu vivre des choses similaires, lire des choses sur les oppressions systémiques, ce sont déjà des éléments pour remettre de la compréhension là-dessus, et notamment comprendre que c’est pas soi personnellement qui est en cause, que c’est un mécanisme et une situation extérieur à nous mais dans laquelle on est prise. Ça ne résout pas tout, mais des fois je trouve que ça aide de prendre de la hauteur de voir que c’est pas soi qui est visé mais la position dans laquelle on est.

Joindre des (groupes de) pairs, qui justement pourront vous fournir des outils pour gérer votre situation et les complications qui y sont liées. Des outils concrets pour vous protéger correctement, parce que la paranoïa certes elle lance bien le système d’alerte, mais elle propose pas toujours une solution adaptée. L’idée, c’est d’être paranoïaque de façon intelligente et qui vous serve vraiment. Déjà parce que ça sera moins overwhelming, et puis parce que ça sera plus efficace.

Pour les fols, on peut par exemple citer ce guide pour éviter l’hôpital psychiatrique en cas de psychose.

Dans un noir et blanc stylisé, un danseur et une danseuse en sous-vêtements. Il la porte, mais sans utiliser ses mains, elle repose en fait sur son dos courbé, de sorte que les deux sont dos à dos. Lui est du coup face vers le sol, ses bras crispés sous l’effort. Tandis qu’elle lève bras et jambes vers le ciel. Le tout donne une impression d’équilibre aussi solide que fragile.
Photo by Robert Collins on Unsplash

Et nos proches ?

Vous n’êtes pas paranoïaque vous-mêmes, en revanche, vous avez un·e proche qui l’est et vous vous demandez comment aider correctement.

1/ Ne cherchez pas à nier le délire. Rappelez vous : il est là pour une bonne raison, et notamment protéger la personne. Si vous enlevez le délire sans rien avoir à proposer, c’est un peu comme si vous retiriez la planche sur laquelle on marchait pour traverser le gouffre. La personne tombera, et c’est tout. Pas super aidant. Qui plus est, dans le cas des délires paranoïaques, vous risquez en plus d’être considéré·e comme l’ennemi à faire ça. Alors on laisse tomber d’office.

2/ N’essayez pas d’être plus malin, vous ne le serez pas. Donc non, on essaie pas d’outsmart la personne, c’est un coup à ce que ça se retourne contre vous parce que la folie ira plus loin pour avoir raison, et si la personne s’en rend compte, vous perdrez sa confiance. Donc non, vous n’êtes pas plus malin parce que vous avez les deux pieds dans la réalité. Vous êtes au même niveau que l’autre : vous ne savez pas. Donc partez du principe que votre rôle, c’est aider à limiter la casse, et permettre à l’autre de faire son enquête.

3/ Votre première urgence doit toujours être de vous assurer que les besoins primaires de la personne sont respectées : est-ce qu’elle mange ? dort ? boit (de l’eau) ? est-ce qu’elle s’est blessée ? C’est là déjà que vous pouvez aider. Essayez de voir si déjà manger et boire c’est possible. Est-ce que la personne a juste zappé parce que trop prise dans son truc, ou est-ce qu’il y a déjà un problème là ? Pouvez-vous aider à régler ce problème ? Même chose pour dormir. Si nécessaire, on propose d’aider pour les soins.

4/ Répondre à nos questions. Beaucoup de paranoïas peuvent générer des problèmes au quotidien, problèmes que vous pouvez aider. Ne jugez pas les questions posées, répondez si vous pouvez, sinon essayez de vous renseigner. L’ami qui a pris le temps de m’expliquer pourquoi on envoyait des militaires dans les centre de vaccination a bien plus aidé qu’il le croit. J’ai des potes à qui j’ai expliqué comment fonctionnait une administration de l’intérieur. D’autres où j’ai dû chercher des infos sur les composants d’un produit. Mes proches relisent régulièrement des mails ou DMs que je reçois parce que je sais pas les interpréter, et donc par défaut je n’y réponds pas. Si vous ne pouvez vraiment pas répondre, que vous ne savez pas, ayez l’honnêteté de le dire. Soyez toujours sincère. Si vous ne savez pas, vous ne savez pas. Et oui il faut le dire.

5/ Verbalisez. Dans une période où on est paranoïaque, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous, mais tout ce que vous ne dîtes pas ENCORE PLUS. Donc on dit les choses. On dit quand on ne sait pas gérer, quand là on est pas en état d’aider. On ne laisse pas la personne se faire sa propre idée. On essaie autant que faire se peut d’expliquer ce qu’on fait. Essayez de repérer s’il y a des triggers à éviter, des comportements qui automatiquement mettent votre proche mal.

6/ Désamorcez. Si nier le délire c’est à ne pas faire, si vous sentez que la personne est en mesure de l’entendre (donc pas en crise aigüe), vous pouvez poser des questions. Pas pour juger, mais pour aider la personne à réfléchir et comprendre comment tout ça fonctionne. (je vous laisse remonter l’article pour trouver un peu comment on peut procéder) Rappelez vous toujours : vous n’avez pas les réponses, vous permettez juste à l’autre de pas être seul·e pour faire face à ça.

7/ Aidez à constituer le plan de crise : quand la personne commence à repérer comment tout ça fonctionner, vous pouvez alors l’aider à dresser des procédures à suivre quand tout ça se met en branle. Comment se rassurer ? Comment se raccrocher au réel ? Comment s’apaiser ? Et si le danger est réel, comment vous pouvez éventuellement protéger la personne ?

des pics de fumée épaisse et colorée qui forment un arc en ciel, on dirait presque que les fumées vont se mettre à bouger
Photo by Pawel Czerwinski on Unsplash

Je crois que c’est déjà bien assez long, donc je vais vous laisser là-dessus. J’avoue que je suis explosé et que je me suis trigger tout seul comme le teubé que je suis. C’est bien sûr impossible d’être exhaustif sur un tel sujet, mais j’espère que vous aurez déjà suffisamment de pistes pour avancer ! Je complèterai peut-être à l’avenir…

En attendant rappelez vous : on est pas fol par hasard, et la folie quelle que soit sa forme a des choses à nous dire.

--

--

Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.