“Va voir un psy” ou la joie des injonctions

Dandelion
18 min readJul 14, 2023

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Je voulais faire un thread à la base, puisque ça semble être le sujet du moment, mais en fait ça brasse trop de trucs, donc on va faire un article.

Et on va partir du thread de la camarade MadFreaksPride qui pose déjà les bases :

On lui a reproché de tout confondre, de mettre dans le même sac les chiatres et les chologues alors que le problème est ici clairement posé : le problème c’est l’injonction. Et qu’à partir du moment où il y a injonction, il y a contrôle. Qu’il s’agisse de chiatre ou de chologue ne change rien à ça. Ça nous semble l’évidence. Mais apparemment pas pour tout le monde. Donc on reprend les bases…

On retrouve cette injonction à deux endroits : les milieux de gauche / féministes d’un côté, et les milieux de la santé mentale et déstigmatisation de l’autre. Ça n’a pas tout à fait le même sens et la même saveur des deux côtés même si ça se recoupe à différents endroits on va voir.

Différences d’échelle

On commence par le premier problème de cette injonction : elle individualise des problèmes collectifs. C’est d’autant plus drôle que combien de psys en arrivent à conclure que la plupart de leur patientèle irait mieux avec un revenu universel et la certitude de pouvoir se loger et se nourrir quoiqu’il arrive ? Les psys elleux-mêmes admettent donc leur inutilité face aux difficultés rencontrées par les gens dans leur cabinet. Comme le dit MadFreaksPride : les psys ne résolvent pas les problèmes des patient·es mais les aident à gérer leurs émotions / réactions face à ces problèmes. Ce n’est pas inutile en soi. Savoir qu’on va pas s’écrouler, qu’on peut faire face, qu’on a les outils persos pour, ça aide.

De même façon que mettre une rustine sur un trou aide.
Ça ne règle pas le problème et tôt ou tard la chambre à air va lâcher pour de bon.
Mais en attendant, ton vélo peut rouler. Encore un peu.
Et comme t’as besoin du dit vélo pour aller travailler
Et que t’as besoin du dit travail pour manger
Et que t’as besoin de manger pour pouvoir pédaler sur ton vélo pour aller travailler pour payer ton loyer pour pouvoir te reposer entre deux séances de pédalage…

… la rustine n’est pas inutile.
Mais elle ne règle rien.

C’est ça un·e psy.

Dans la forêt, un vélo rouillé, roue manquante, il date, il est là depuis longtemps, il est partiellement recouvert de feuilles mortes, oublié.
Si seulement ce vélo était allé chez le psy plus tôt… [Photo by Florian Olivo on Unsplash]

On a donc déjà un premier problème dans la compréhension de ce que fait un·e psy (du rafistolage).

Mais un·e psy, ça ne règle pas les problèmes de domination et de système d’oppression. Ça ne réécrit pas les règles du monde. À un moment, on a passé l’âge de croire que les gens sont méchant·es juste parce qu’ils sont pas gentil·les. Les gens ne profitent pas de système de domination parce qu’ils sont malheureux, ils le font parce que ça leur est possible. Soit parce que de toute façon ils n’ont pas conscience d’être du bon côté de la balance et que ce qu’ils pensent naturels, d’autres en sont privés. Soit parce que de toute façon, il n’y a pas de conséquences à leurs actions, parce qu’ils ont le pouvoir.

J’ai passé l’âge de croire qu’envoyer Darmanin chez un psy va le rendre gentil et qu’il suffit de lui chanter des chansons pour qu’il arrête les conneries en fait. C’est pas ça le problème.

Dans les milieux féministe, il y a sans doute aussi cette confusion puisque comme dans les relations hétéronormées, la balance est déséquilibrée, madame a souvent la sensation d’être aussi le psy de monsieur. (un jour aussi je prendrai le temps de revenir sur en quoi c’est un problème ce “on est pas le psy de ces potes” parce que pareil, ça confond trop de choses, mais bon c’est pas le sujet là…) La logique veut donc qu’à partir de là, si elles doivent porter la charge émotionnelle, la charge de l’entretien de la relation et le travail que ça demande, il est logique de penser que si on envoie monsieur chez le psy, ça rééquilibrerait les choses. Elles seraient logiquement libérée de cette charge-là.

Et si je peux comprendre l’épuisement et le ras-le-bol… non, ne faîtes pas ça. C’est pas comme ça que ça marche. Créer de l’injonction, c’est créer du contrôle. Remettre les clés du relationnel à une tierce personne, c’est un piège.

Qui plus est, dans une société profondément sexiste et patriarcal, vous croyez que les psys vont leur dire quoi à ces hommes ? Vous voulez vraiment prendre le pari que des psys formé·es dans ce même système d’oppression vont en être magiquement dépourvus et dire à chouchou de ranger ses chaussettes et de vous considérer comme une personnes entière existant en dehors de lui ? Ou bien dire que “oh bah oui vous savez pas gérer votre colère c’est normal que vous fassiez des bêtises et il faut que vos proches le comprennent et vous aident” ? Parce que spoiler alert, on a déjà la réponse. On sait déjà ce qui se passe. Et c’est pas ce que vous croyez.

On voit déjà des abuseureuses brandir les dires de leurs psys pour justifier et excuser leurs merdes. Et ce toujours sans remise en cause ni réparation pour les victimes.
On voit déjà des psys et des services sociaux spécialement dédiés à s’assurer que les couples sont des bons couples™… ou conséquences.

C’est. Déjà. En. Route.
Leur filez pas le flingue pour vous tirer une balle dans la tête bordel.

NEW INMATE: I should be home by now… Someone will come for me…
DR. STOCKILL: It was they who sent you to our fine institution. You’re difficult, we are the solution God, didn’t you know, didn’t you think, didn’t you see? Fool!
DOCTORS: Look to your neighbors, to your friends. Look to your daughters, to your wives. You must release them to our care. You are endangering your lives. Let us relieve you of your burden, from the fear you’re living in. Protect yourselves from their corruption, from their wickedness and sin.

Présupposé saniste

Il faut vraiment comprendre que la distinction psychiatre — psychologue n’a plus aucune pertinence à partir du moment où vous êtes dans de l’injonction. Parce qu’à cet instant, c’est du contrôle. Et il se passe quoi dans une société oppressives quand on a des outils de contrôle ?

On en abuse.
Et c’est à peine de l’abus parce que c’est dans les règles du jeu.

Si “aller chez le psy” devient la solution à tous les problèmes, vous croyez qu’il va se passer quoi quand vous direz “non merci très peu pour moi ça ne me convient pas” ? Encore une fois, il n’y a pas besoin de chercher loin, ça arrive déjà.

Mais reprenons… le problème de cette injonction, c’est qu’elle n’a pas l’air d’en être une. Bah oui, dire aux gens d’aller voir un psy, c’est pas les envoyer casser des cailloux en plein cagnard. C’est les envoyer apprendre à être de meilleures personnes, à gérer et exprimer leurs émotions. C’est bien d’apprendre à être de meilleures personnes. Therefore, ce n’est pas une mauvaise injonction. [insérer smiley plein de coeurs tout fondus]

Sauf que…
non seulement, dans beaucoup de cas, ça confond les niveaux d’interventions nécessaires (il faudrait au mieux changer la société mais en attendant on va juste rustiner les gens)(ce qui est déjà bien parce que changer la société prend du temps et des générations et il faut que les gens de maintenant survivent mais ce n’est pas les rustines qui changent le monde pour les générations futures), mais c’est surtout rater l’essentialisation du mal… Je sais, la marche elle est haute, mais c’est quand même ça au bout de l’escalier. Quand on considère que la solution à tous les problèmes sociaux, c’est que le fait que les gens sont intrinsèquement déconnants, on considère que c’est parce qu’il y a quelque chose dans les gens de pourri que le système dysfonctionne. C’est ce qui permet par exemple les discours de type “c’est juste un flic pourri, c’est une exception”, alors que l’on sait que l’institution en elle-même est basée sur des fondements racistes, sexistes et LGBTphobes. Ce qui est mauvais serait dans les individus, et si on apprend à tous les individus à être de bonnes petites personnes (en les faisant s’assoir sur les bancs de l’école de 8h à 18h sans respect pour leurs besoins physiologiques, ou en les enjoignant à aller voir un psy) alors tous les problèmes seront résolus. Et si vous êtes toujours des mauvaises personnes après tout ça, et bah c’est bien la preuve que vous êtes la graine du mal. L’injonction à aller chez le psy en réponse à des problèmes systémiques, c’est le doigt dans l’engrenage de l’essentialisation des difficultés.

Est-ce que vous réalisez ce que ça implique de dire “il faut envoyer les violeurs les casseurs les tueurs les absuseurs et les gens quotidiennement nuls chez le psy”, c’est dire “le problème est dans ton être même” ? Vous le voyez ça quand même ? C’est quoi l’étape d’après ? La pilule qui rend magiquement gentil ?

Est-ce que vous voyez les mécanismes sur lesquels ça repose ? “Tu fais du mal parce que tu es malheureuxse / parce que tu as subi des choses / parce que tu es malade et donc tu reproduis.” Vous le savez que c’est nocif ça quand même comme discours ?

Ça me sidère de voir des féministes balancer “qu’ils aillent voir un psy pour apprendre à gérer leurs émotions”, quand littéralement la misogynie repose en bonne partie sur l’imaginaire comme quoi les femmes sont des êtres d’émotions bouillonnantes incapables de se gérer. Que cet imaginaire continue de nous hanter. Qu’on continue d’en payer le prix. (I mean… avez-vous vu Gone girl ???? on fait rarement plus sexiste…) Et hoplà, on va reproduire la même.

So I guess, y a une part de vrai… on reproduit ce qu’on a subi. Et un jour j’aimerais qu’on puisse vraiment avoir cette conversation sur les émotions, sur la violence, et les liens à celle qu’on a subi. Mais pas comme ça. On ne peut pas reproduire bêtement l’injonction qui sert à nous tenir en laisse en espérant que si on refile la laisse à d’autres ça règle le problème.

Ça règle que dalle.

Une chaîne prise dans trois cadenas à la suite, avec des jolis couleurs arc en ciel projetées dessus
Est-ce que si on met des jolies couleurs à la chaîne ça règle nos problèmes d’attachement ? [sarcasme] [Photo by FLY:D on Unsplash]

Surtout qu’on se berce d’illusion. L’injonction féministe / de gauche d’aller voir un psy n’est pas celle des milieux de la santé mentale. Il y a un caractère punitif derrière et on le sait. Vraiment, ça serait se voiler la face de prétendre le contraire. On ne cherche pas à envoyer ces gens chez un psy pour qu’iels aillent mieux, on le cherche à le faire pour qu’iels ne nous fassent plus de mal. C’est quand même pas tout à fait la même. Et c’est bien le problème : la plupart des gens bénéficiant des systèmes d’oppression vont bien. Ou en tout cas pas mal. Ou en tout cas moins mal que les victimes.

Alors c’est quoi le job du psy dans ce cas ?
psy : c’est pas gentil d’être méchant, vous le savez
personne envoyée chez le psy : oui, mais si je le fais pas je vais aller mal.
psy : ha oui c’est embêtant ça. Je vais quand même pas vous encourager à aller mal.
personne envoyée chez le psy : non.

On va aller loin.
Mais en même temps, on est de gauche, on est les gentil·les, alors on va pas exiger d’envoyer son mec en prison parce qu’il a explosé la vaisselle quand il était en colère.
Mais on peut exiger qu’il aille chez un psy pour se rendre compte des conséquences de ses actions. Ça ça passe.

Ça n’a aucun sens ni aucune pertinence politique, mais ça passe.

From light control to control everything real quick

Et c’est bien un problème, parce que c’est pas comme si les personnes balançant ces injonctions étaient dans des situations de rêve. Bien au contraire. Sauf qu’on ne peut pas enfermer un système en prison, ni l’envoyer chez le psy. Tout ce que les individus peuvent faire c’est éventuellement agir sur les individus face à elleux. Et si iels y arrivent, c’est déjà bien.

Envoyer les gens chez le psy, c’est donc la solution de facilité. Une solution qui ne serait, à première vue, pas punitive, mais qui se voudrait aidante pour l’autre.

Mais c’est une solution de contrôle.
Et même pas de damage control.

C’est une stratégie d’externalisation des problèmes.
Ou pour le dire plus vulgairement : passe la patate chaude à ton voisin.

Et bien sûr que les victimes n’ont pas à gérer leurs abuseureuses
Ou que les meufs hétéros n’ont pas à tout gérer de leurs mecs
C’est pas ça qu’on dit.

Mais si le problème de base est déjà “on individualise les problèmes sociaux en en faisant des problèmes mentaux”, avoir pour solution de refiler la patate chaude, et bien c’est toujours obéir à cette logique finalement. C’est continuer de fonctionner en remettant toute la responsabilité sur les individus.

C’est complexe parce qu’on ne peut pas enlever la responsabilité de leurs actes aux individus. Et qu’il ya quand même des marges de manoeuvre à travailler et à créer. Mais on ne peut pas non plus avoir une solution individualisante. Tout en devant trouver des solutions pour les individus.

Il y a un équilibre à trouver entre “nothing is ever anyone’s fault” et “va voir un psy”. Il y a un équilibre entre “les victimes doivent gérer leurs abuseureuses” et “va voir un psy / les flics / [insérez ici autre forme d’autorité produite par le système]”. On ne va rien résoudre des problèmes sociaux si on ne recrée pas du tissu social derrière en fait…

Et encore une fois (parce que vraiment on va jamais insister assez là dessus), c’est la porte ouverte à toujours plus de contrôle. Vraiment le pattern est bien présent. La question n’est pas de savoir si c’est chiatre ou chologue… C’est une logique de pyramide.

Reprenons la pyramide des violences :

Pyramide des violences. À la base, les biais culturels (racisme, sexisme, homophobie, etc). Juste au dessus, les actes individuels (plaisanteries haineuses, micro agressions subtiles, intentionnelles, inintentionnelles). Au dessus, discrimination (exclusion sociale, invisibilité culturelle). Encore au dessus, violences (atteintes aux biens, agressions physiques, sexuelles). Et enfin, tout en haut mort (suicide, meurtre, génocide).

Comme toutes les représentations, elle a ses limites bien sûr. Mais elle permet d’expliquer comment les oppressions systémiques ce n’est pas seulement la violence spectaculaire (tout en haut de la pyramide), mais bien un système complexe (c’est dans le nom), et que ce qui se passe en bas de la pyramide permet de justifier les actions qui petit à petit arrivent tout en haut de la pyramide.

Dans la situation qui nous intéresse, on peut faire le parcours dans l’autre sens : le haut de la pyramide va en prison, parce que c’est très mal. Le milieu en suivi psychiatrique, parce que bon quand même ça craint mais hé, c’est pas encore illégal. La base de la pyramide va chez un psychologue parce qu’elle a encore rien fait du tout, mais ça pourrait.

C’est là dessus que les psychiatrisé·es nous alertent. Sur ce glissement qui finalement a exactement le même fondement. Et si on sait où mettre un meurtre sur la pyramide de la violence, dans notre pyramide inversé, les paliers sont bien plus flottants et glissants… mais ont le même fondement.

Ce fondement be like : c’est la faute des individus qui se doivent d’être fonctionnels et productifs pour avoir le droit d’exister en société. C’est bien du contrôle. Et comme pour la pyramide des agressions, si vous mettez le doigt dedans à la base, rendu en haut vous vous serez fait arracher le bras.

Si on envoie les gens voir un chologue pour le principe et par pure injonction pour les “soigner / réparer”, on accepte le principe comme quoi il est normal que la mission du soin soit de rendre les individus bien conformes à la norme qu’on a décidée. C’est ça l’idée. Et plus l’écart à la norme sera grand, plus on montera d’un cran dans l’artillerie psychiatrique. Le chologue deviendra un chiatre.

Et c’est pour ça que quand on critique cette injonction à aller voir un·e psy, on s’en fiche qu’il s’agisse de chiatre ou chologue, ça n’a aucune pertinence dans le débat présent. Les deux se placent dans la même dynamique, mais à des niveaux divers.

On critique l’injonction et la dimension de contrôle qui en découle. Pas les gens qui vont voir un·e chologue parce qu’on ne peut pas attendre que le monde change pour aller mieux, c’est un fait.

Un petit squelette en plastique avec un joli potit bonnet rouge en train de faire les lacets de ses jolies pitites converses rouges
Quand tu te prépares à aller voir ton psy et que tu mets tes chaussures qui courent vite, juste au cas où. [Photo by Ekaterina Kuznetsova on Unsplash]

La santé mentaaaaaaaalhan

(Pardon je me retiens depuis le début mais sachez que j’arrive plus à écrire cette expression vide de sens sans faire cette voix désabusée)

Tout ceci était beaucoup tourné autour de l’apparition de cette injonction dans le militantisme, mais c’est pas beaucoup mieux dans le camp des défenseureuses de la santé mentale.

Dans le camp de la santé mentale, on enjoint un peu tout le monde à aller voir un psy, un peu comme d’autres vous conseillent systématiquement de manger de l’ail parce que ça guérit tout, et puis ça nous parle de “plus on dépiste tôt plus on a de chance”.

Et c’est compliqué de commenter tout ça sans fracasser mon clavier (ce qui m’embêterait parce que j’ai une thèse et trois romans à finir d’écrire). C’est compliqué parce que là pour le coup c’est des gens qu’on pourrait supposer dans notre camp… et non. C’est compliqué parce que si on dit “mais en fait c’est un peu de la merde”, on se fait aligner parce que “comment ça c’est de la merde que les gens aient une bonne santé mentale ???”

Le truc, c’est que le concept de santé mentale est de base foireux (c’est fou le nombre de concepts foireux qu’il y a dans ce champ quand même, on dirait presque un champ foireux finalement). Vous avez remarqué que tout le monde n’en avait pas ? Si si. Pendant les confinements, on avait nombre de discours sur l’isolement c’est dur et ça ronge les gens, et puis être enfermer chez soi, et blablabla. C’est marrant, mais quand les personnes incarcérées disent la même chose, d’un coup l’isolement et l’enfermement c’est normal, et mérité, et pas grave. Même chose quand les personnes psychiatrisé·es font le même constat. Et quand au bout de trois ans de pandémie les personnes à risque signalent qu’elles sont toujours confinées et qu’elles n’ont plus aucune vie depuis trois ans, tout le monde s’en bat la race. Et que dire de la santé mentale des personnes non blanches face aux événements de ces dernières semaines, et qui doivent constater encore à quel point c’est toujours les mêmes qu’on protège ?

Au final, la santé mentale c’est un concept fumeux qui permet en théorie de s’éloigner de la psychiatrisation et pathologisation à outrance, mais qui au final est tellement confus qu’il en devient diffus et flou. Où s’arrête la santé mentale et où commence la maladie mentale ? À ne pas vouloir le dire “parce qu’on est toustes concerné·es”, au final, on est surtout toustes fliqué·es. Tout finit par relever de la santé mentale, donc tout est à surveiller. Et puisque tout relève de la santé mentale, finalement c’est un peu toujours la faute de l’individu puisque hé ! tous ces points sur lesquels les gens pourraient agir !

Avoiding all the heartbreak
By holding my heart close
‘Cos I end up hurting
People that i love the most.
You know my father said don’t give your trust away
I learned my lesson long ago, now all I’ve got to say is

Ooo, you say I’ve got an attitude
Just ‘cos i love a little solitude
And ooo you say I’m callous and I’m numb
But I’m not going to be dragged down by anyone

Et on rajoute à ça les difficultés et inégalités d’accès (pas remboursé, prix variables, CMP et autres structures gratuites saturées), des chologues formés avec exactement les mêmes défauts que leurs camarades chiatres (donc : sexisme, LGBTphobie, racisme, transphobie, sanisme, validisme, élitisme…) ce qui peut revenir à jouer au loto. Ha oui, et vous vous rappelez ce qu’on disait sur le fait que les psys peuvent juste vous aider à apprendre à gérer vos émotions face à la vie (ce qui est déjà pas mal) mais pas régler les problèmes à l’origine de cette souffrance ? Et bien vous avez un nombre non négligeable de psys qui considéreront que le problème c’est bien vos émotions face au monde. Pas parce que le monde les a causées. Juste que bah, vous devriez pas réagir comme ça. Donc à partir de là, non seulement y a pas de solution magique, mais en plus c’est bel et bien votre faute. Ça arrive plus souvent qu’on le croit…

blablabla on peut en changer blablablabla

Sauf si t’es dans un désert médical où deux psys se battent en duel tous les matins à l’aube pour savoir qui part en weekend cette semaine.
Sauf si tu es institutionnalisé·e auquel cas en vrai y a longtemps que t’as plus vraiment voix au chapitre.
Sauf si les tarifs font déjà une sélection pour toi.
Sauf si tu sors un tant soit peu légèrement de la norme dominante ce qui t’expose à des risques.

Enjoindre les gens à aller voir un psy sans prendre en compte toutes ces dynamiques, c’est juste les jeter sur un champ de bataille et “good luck with that mais t’inquiète ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort !”. C’est pas parce que ça marche pour vous que vous pouvez présenter ça comme une solution magique.

Faire une thèse, ça m’a apporté énormément de choses point de vue compréhension de ma propre folie. Est-ce que je vais aller recommander ça à toustes les fols que je croise ? Hell no. On peut pas effacer les défauts d’un truc juste parce que pour nous ça a marché.

Aller j’ai même envie de troller jusqu’au bout :
Est-ce que vous me voyez recommander la mutilation pour gérer ses émotions ?
Bah non.
Et pourtant des fois c’est ce qui marche le mieux pour moi.

Quand quelqu’un recommande à tout va l’homéopathie, ça hurle à la lune.
Pourtant y a des gens pour qui ça marche.
Y a des gens que la religion sauve.
Et d’autres qui trouve leur salut dans le sport ou les échecs

etc
etc

Les options sont si multiples et riches et complexes… qu’il est intéressant de se demander pourquoi “va voir un psy” est une injonction socialement acceptable en forme de “one fits all”, alors que pourtant, la solution “psychologue” a autant de défauts que toutes les autres. Et je sais pas vous, mais moi quand on glorifie une solution par rapport à toutes les autres, je me méfie un brin…

Encore une fois, c’est ça qu’on critique. C’est l’injonction. Le recours systématique. Avant même d’interroger les besoins et les circonstances particulières d’un individu, on répond “va voir un psy”. Après ça se rattrape aux branches en disant “oui non mais ça convient pas à tout le monde”. Mais alors dans ce cas là, soyez cohérent·e ? Commencez par ne pas la proposer d’office… On peut dire qu’une chose nous a aidé sans la vendre comme absolue en fait.

Une pièce plongée dans l’obscurité, la lumière passe à peine par la fenêtre. On devine la silhouette d’une femme tassée sur elle-même, faisant les cent pas en bredouillant. Le sous-titre dit “Alerte, nouveau symptôme. Sensation de vindicte grandissante.”
Parce que tout confier aux psys, c’est aussi tout pathologiser… [image : Legion]

Quant à cette putain d’idée que “gnagnagna faut diag tôt gnagnagna”.

Je vous hais. J’ai pas envie de le dire gentiment. J’ai pas envie de mettre de l’eau dans mon vin. Je vous hais.

Y a pas besoin de diag pour apporter de l’aide à quelqu’un en souffrance. Y a besoin d’être là et de mettre des choses en place. De faire du lien. Communauté. D’entourer. Bref : ne pas individualiser la souffrance. Or le diagnostic, c’est la panacée de l’individualisation.

Et vous voulez ça pour des gosses et des ados. Tu sais l’âge où t’as le plus besoin d’être entouré·e ? Bah hé, y a pas d’âge pour te rentrer dans le crâne que c’est toi le problème \o/ Vas y choupi, au cas où t’aurais pas été (assez) harcelé·e à l’école, laisse les adultes t’expliquer avec des grands mots scientifiques pourquoi c’est ta faute \o/

Pourquoi ça fait campagne pour diag des gosses plutôt que faire campagne pour s’assurer que les gosses aient des conditions de vie dignes et saines ? Ce qui implique d’interroger le fonctionnement de l’école. Ce qui implique de s’assurer que leurs parents ne se tuent pas au taf. Ce qui implique d’offrir de la culture du sport des infrastructures pour les pratiquer pour créer du lien. Pour réagir pour de vrai quand les gosses font remonter un problème ? Pour les considérer comme de véritables entités pensantes et capables de réflexions ?

etc
etc

Non non. Faisons campagne pour déstigmatiser les troubles pour diag le plus tôt possible \o/ Individualisons le problème \o/

Et surtout, faisons rentrer les gens dans le système le plus tôt possible. Le fichage c’est important.

Nique la santé mentale.

I’m mad
You fuck my life up then you say “my bad”

Too long don’t read…

Définitivement, le problème n’est pas, et n’a jamais été, que vous alliez voir un psy pour vous-même. Si ça vous aide, good for you. Le monde est un endroit compliqué, si vous avez un truc qui marche pour vous sans vous détruire, franchement tant mieux, keep going. Survivez. Prenez soin de vous.

Le problème c’est l’injonction. Parce que l’injonction individuelle ne résout pas les problèmes collectifs. En revanche, elle fait pencher la balance du côté de “toujours plus de contrôle”. Et plus de contrôle, c’est forcément la merde.

Le problème c’est pas gnagnagna psychiatre et psychologue c’est pas pareil gnagnagnagna parce que tant qu’on pense le soin comme un moyen de régler les problèmes de société en les individualisant, ça reviendra de toute façon au même. Tout ça, c’est un continuum. Et l’injonction aux soins, quel qu’il soit, en effacera toujours le caractère salutaire et mettra toujours les mêmes en danger.

Le problème c’est que les psychologues, comme les psychiatres, et n’importe quels soignants, ne sont pas magiquement exempts de tous les systèmes d’oppressions, en plus de pas nécessairement être accessibles.

C’est pas nous qui mélangeons tout. C’est que la situation est plus complexe qu’elle n’y paraît, et refuser de le voir, c’est nous retrouver à entretenir des dynamiques que nous sommes censé·es détruire.

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Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.