Y a quelques temps, il y a eu les “journées de la schizophrénie”. Un événement dans la mouvence de la déstigmatisation™, avec tous les ingrédients du genre : des psys qui te rappellent l’importance du diag et le manque de moyen, des proches qui souffrent, et des concerné·es qui souffrent mais qui grâce au système psychiatrique s’en sortent et tout ce beau monde voudraient que vous arrêtiez de confondre TDI et schizophrénie, parce que comme chacun sait, c’est l’essence du problème. [sarcasme] J’en parlais notamment ici (oui le ici c’est sur masto maintenant…) de la façon dont ces discours sont parfaitement photocopiés, par un poil qui dépasse, le tout à la gloire du système, et toujours en jetant les fols les moins propres sous le bus. Rien de bien nouveau sous le soleil.
Sauf qu’à force de lire des articles qui répètent des éléments de langage à l’envie, je me suis retrouvé avec cette phrase ancrée dans la tête “la schizophrénie c’est décrocher de la réalité”, sans jamais de définition de ce fameux décrochage. Vous me direz, ça se saurait si la psychiatrie prenait la peine de définir quoi que ce soit (si vous me croyez pas, je vous invite à faire attention quand ça part en liste de symptômes comme ça : à quel moment on vous explique vraiment ce que sont ces symptômes, c’est assez fascinant)(je sais pas à quel moment le mot fascinant a changé de définition pour vouloir dire “déprimant” but here we are.). Et vous aurez raison. Ce qui m’a interrogé, c’est que c’est une phrase toute faite qu’on retrouve aussi chez des concerné·es, qui se retrouvent tout aussi incapables de définir ce que c’est. Parce que oui, 1/ quand tout le monde te dit que tu peux pas penser par toi-même 2/ qu’on t’offre uniquement des phrases toutes faites et des médocs mais pas d’outils critiques pour t’emparer de ce qui t’arrive 3/ d’ailleurs que de manière générale, on ne te laisse pas poser tes propres mots sur ce qui t’arrive… et bien à la fin tu ne peux pas faire autrement que recracher les discours. Et c’est logique. Et on est toustes (plus ou moins) passé par là. Le problème, c’est que si l’angoisse de décrocher du réel peut être réelle et justifier, le penser comme ça ne sert absolument à rien, si ce n’est à maintenir le pouvoir psychiatrique…
On va donc tâcher de décortiquer ceci : décrocher du réel ça veut dire quoi ? pourquoi le formuler comme ça maintient le pouvoir psychiatrique sans offrir d’aide aux concerné·es ? et du coup comment on gère pour de vrai ?
La réalité, c’est quoi ?
Histoire de commencer logiquement, faut qu’on commence par le début, à savoir : définir la réalité.
Qu’est-ce donc que la réalité ?
Et bah j’en sais rien. Parce que je suis fou, c’est le concept de base.
Mais si vous êtes honnête… vous non plus. Ça fait partie de ces trucs où tout le monde considère que c’est évident, et en fait quand tu creuses, pas tant que ça. Un peu comme le genre. De là à dire que la notion de genre n’est pas réelle il n’y a qu’un pas (dans le doute nous on est parti en rando, histoire de). Mais c’est pas tellement le sujet. Hormis pour cette base : si on vous demande comment vous savez que vous êtes X genre, que vous soyez cis ou trans, c’est pas si évident de répondre. À part pour les Jean-Michel-Ragnar qui envoient des dickpics en réponse à tout et Marie-Mélissandre grandes défendeuses du féminin sacré…
Pour définir la réalité, si on y réfléchit pour de vrai, et honnêtement avec soi-même, c’est complexe. On peut partir de ce qu’on perçoit grâce à nos différents sens. Bon le soucis c’est que quand vous rêvez vous percevez tout pareil. Idem quand vous hallucinez. Le cerveau est incapable de faire la différence entre une perception réelle et une perception hallucinée. C’est si stupide un cerveau. Et c’est bien ça qui fait que quand on hallucine, surtout les premières fois, et bah absolument personne ne se dit “et bien diantre, qu’est-ce à dire que ceci ? Sans doute mon cerveau qui me joue des tours, les cerveaux sont si stupide. Mais moi je suis si malin, haha ! je suis tellement plus un grocervo que mon cerveau !”. Bien sûr, il y a toujours des gens pour faire les petits malins et vous dire que sisi, elleux sauront direct qu’iels hallucinent et ne tomberont pas dans le panneau. Un peu comme ces gens qui vous disent “non mais moi je vomis jamais quand je bois” avec un air fier, et il faut répondre tout pareil, en hochant la tête avec un air gêné parce que vraiment c’est pas la take que tu crois que c’est chouchou. Chouchou n’a juste jamais atteint les limites de son estomac et considère donc que l’estomac en question n’a pas de limite, de la même façon, la majorité des gens n’a jamais atteint les limites de sa perception de la réalité, et considère donc qu’elle n’en a pas. Je suis à peu près autant inquiet pour les deux.
DONC. Nos perceptions seules ne suffisent pas, justement parce qu’elles sont terriblement faillibles. Heureusement (ou pas), l’humain est animal social. Un animal qui a besoin de ses congénères pour (sur)vivre, et ce pour plein de raisons différentes. C’est là que ça devient rigolo. Parce que pour vivre ensemble, il faut qu’on se mette d’accord sur ce qu’est la réalité. Et pour que nos réalités individuelles tiennent, il faut que l’on ne soit pas trop isolé·e. À partir des perceptions individuelles, le groupe va donc définir ce qu’est la réalité, et il va le faire inconsciemment (certaines choses vont sans dire, si tout le monde voit la haie devant, y a pas besoin de se dire qu’il y a une haie devant) ou consciemment parce que les perceptions ne suffisent pas, non seulement parce que faillibles, mais parce qu’en plus, il faut les interpréter. Si on est toustes d’accord pour dire qu’il y a une haie devant, en revanche, certain·es vont trouver plus important de les tailler régulièrement que de s’assurer du bien être des petites bêtes qui vivent potentiellement dedans. Le groupe va donc mettre des règles comme quoi il ne faut pas tailler ses haies sur telle période parce que sinon ça tue les potites bêtes, et tuer les potites bêtes c’est mal. Parce que la réalité c’est que les oiseaux nidifient et se reproduisent sur des périodes précises. Ce sont des faits qu’on a pu observer et confirmer. Donc sur lesquels nous devons décider comment agir : est-ce qu’on priorise le taillage de haie ? ou de préserver la vie des autres espèces ? La réalité c’est que les écosystèmes ont besoin de compter le plus d’espèces possibles, sinon on fout tout en l’air. C’est un fait qu’on a pu déterminer de nos observations. Mais ça se saurait s’il suffisait de déterminer des faits et de se mettre d’accord dessus pour que ça fonctionne. Parce que voyez-vous, si on est beaucoup pour qui la réalité consiste à faire au mieux pour préserver les autres bêtes dans notre entourage, et donc notamment à ne pas tailler les haies sur les périodes incriminées. il y a des gens qui vont vous dire que la réalité c’est qu’il y a trois branches qui dépassent et ça fait débraillé et c’est mal d’avoir l’air d’avoir un jardin débraillé ça fait jaser les voisins et ces jaseries c’est la base de leur réalité.
C’est fragile la réalité.
Tu peux sortir toutes les études que tu veux pour rappeler que le COVID est toujours là, ce sont des faits prouvés et avérés, on a les chiffres, on a la méthodo pour évaluer tout ça (et donc se faire une idée de si c’est fiable), mais tout ça, ça se heurte à la réalité des perceptions individuelles, et aux efforts nécessaires à fournir par rapport aux bienfaits ou inconvénients perçus. “Les statistiques ne veulent rien dire pour les individus.” Dire “y a une personne sur 100 qui chope un covid long”, ça veut rien dire pour la plupart d’entre nous parce qu’on est pas capable de se le représenter. Parce que notre capacité à se représenter la réalité est non seulement faillible, mais aussi limitée.
Si on récapitule :
- notre perception de la réalité est faillible, fragile
- il est nécessaire d’interpréter les perceptions en question et de le faire correctement
- puisque nous vivons en groupe, nous devons nous mettre d’accord sur ce qui est réel
- mais aussi sur la façon de se comporter face à cette réalité
- que dans le fond, pour beaucoup d’aspect, on se représente très mal
Au final, décrocher de la réalité, ça arrive si souvent. Si quotidiennement. Et à tellement de gens (à peu près tout le monde, un jour ou l’autre)(si vous avez la prétention d’être l’exception, je vous invite à passer en revue TOUT ce que vous considérez comme un fait, comme une réalité, et à vous demander comment vous êtes arrivé·e à la conclusion que oui oui c’était réel.)(je vous préviens ça peut être vertigineux, faîtes attention à vous).
Alors à partir de quand ça devient un symptôme ? Voire même Le Symptôme™ de la Schizophrénie ?
La réalité, ce truc sacré
Je vous arrête tout de suite, parce que je vous vois venir : je ne suis pas en train de dire que tout le monde est un peu fol dans le fond. On a quand même un peu plus de conscience politique que ça ici… non ce qu’on est en train de dire, c’est que les fols ne sont pas une espèce à part de l’humanité, et que les (dys)fonctionnements qui régissent nos vies existent déjà, dans une moindre mesure, et de façon moins handicapante, chez le premier venu. Et même le second.
Ce qu’on veut dire, c’est que certains écarts de la réalité vous vaudront d’être bien intégré·es, tandis que d’autres vous mettront au ban de la société et/ou vous handicaperont au quotidien.
On a déjà pu se parler de la valeur sociale de ce qu’on considère comme délirant ou non. Aujourd’hui c’est donc bien cette question d’intégration à la société et de handicap qu’on va creuser.
Restons concret. On l’a dit, la pandémie de covid n’est pas finie. On sait aussi que la meilleure façon de la garder sous contrôle c’est la vaccination + le port du masque dans les espaces fermés et publiques. Ça limite la contagion et diminue la charge virale, et donc les risques. Ce sont donc les mesures qui ont été mises en place en début de pandémie. Et puis un jour, on a dit “voilà c’est bon ça y est c’est fini”. Alors que c’est fini que dalle. Ce que les chiffres indiquent. Mais comme on aime pas la contradiction on a arrêté de mesurer. Parce que comme ça HAHA ! Ha plus covid. La preuve on a plus besoin de mesurer. Téma comme on est malin ! Et ainsi, à force d’affirmer que comme on mesure plus y a plus rien à mesurer, masse de gens au concert de Taylor Swift sont mystérieusement malade. Isn’t it very balo ? Pendant ce temps, quand je prends le train, si on est trois avec le masque c’est un record. Non seulement c’est un record, mais en plus on te regarde de travers, et on commence à pathologiser les gens qui portent encore le masque comme hypocondriaque et/ou délirant.
Vraiment cette gestion de la pandémie c’est un cas d’école incroyable pour parler de ce qu’on estime délirant ou décrochant de la réalité.
Les chiffres n’ont pas changé (quand ils existent). Les effets du covid non plus. Sa transmissibilité, ses conséquences, sa prévention n’ont pas changé. Ce qui a changé, c’est que collectivement, il a été décidé que la pandémie était finie. Voilà. Parce que c’est comme ça que ça marche comme chacun sait. Si vous voulez vous intégrer socialement, il est effectivement plus facile de faire comme si c’était bien le cas. Et donc de ne pas porter de masque. Oooooh, ça vous expose au virus et ça vous transforme en vecteur de contagion, mais hé ! les gens ne vous regardent pas bizarrement en vous jugeant fort et en sous-entendant que vous êtes chiant, voire malade de la tête.
Au cas où vous vous poseriez la question : déformer la réalité des faits en faisait porter la culpabilité de ne pas comprendre la dite réalité sur l’autre, ça s’appelle du gaslight. La gestion de la pandémie de covid, c’est du gaslight collectif.
You make sick
You make me turn my insides out onto the bricks
I could never train a bitch like you
Click click click click (woof)
Alors c’est bien beau c’est bien joli de présenter “décrocher de la réalité” comme un symptôme, comme si c’était un truc qu’on pouvait aussi facilement observer qu’un os cassé, le tout alors qu’on est même pas foutu de définir la dite réalité, et que même quand on y arrive, on est quand même capable, individuellement et collectivement, comme si non non c’est pas ça. Source : tkt frère.
[sarcasme]Heureusement, nous sommes doté·es d’une institution psychiatrique qui nous permet de déterminer à partir de quand c’est maladif de décrocher de la réalité ! Quelle chance on a ! [/sarcasme]
On pourrait se dire que c’est le travail de la psychiatrie de déterminer à quel moment on décroche de la réalité, mais les humain·es qui gèrent la psychiatrie ne sont rien d’autres que des humain·es, avec une capacité à percevoir, définir, et interpréter la réalité toute aussi faillible que les autres. Or, puisque c’est être malade que de décrocher de la réalité collective partagée™, il revient en bonne partie à l’institution psychiatrique de soigner ces malades, et pour ce, de définir la ligne à partir de laquelle on est malade, et donc… la réalité. Ça en fait des responsabilités pour des potites épaules humaines ! Ce qui fait que les individus à l’intérieur de la psychiatrie, vont avoir tendance à se conformer au discours collectif. Vraiment c’est bien foutu comme truc…
Et c’est bien ça le soucis. C’est bien foutu. Ça fonctionne en boucle fermée, avec très peu d’air, et cette boucle est considérée comme la Réalité™ puisqu’adoptée par l’ensemble de la société. Vouloir sortir de la boucle, c’est vouloir sortir de la société. se dire que ne pas partager la même réalité c’est peut-être pas si grave, ou bien que c’est significatif, c’est considérer comme vouloir sortir de la société. Et c’est mal. Et ce même si à la base, la société ne voulait pas de toi.
De fait, quand les militant·es fols, quand les psychiatrisé·es viennent dire “bah en fait, en soi, sortir du réel n’est pas un problème” on est aussitôt classé comme problématique pour avoir simplement commis cet écart.
La logique du soin versus la logique du contrôle
Et on en revient donc, encore et toujours, à l’éternel même point : on va nous parler de soin, alors qu’il s’agit de contrôle, ni plus ni moins.
On est pas en train de dire aux gens que délirer c’est complètement safe, que ça ne crée pas des problèmes. On dit que ce qui est proposé en face comme du soin n’en est pas.
Pour plusieurs raisons, dont certaines qu’on a déjà longuement évoquées dans ces pages. Notamment la première, mais la pédagogie c’est répéter : les délires, le décrochage du réel, ça n’arrive pas sans raison. Vouloir résorber un délire juste parce que c’est un délire non seulement ça n’aide pas, mais ça peut en plus nous mettre en danger.
Pour la faire courte, les délires surviennent quand la réalité ne parvient plus à faire sens, quand elle devient trop dangereuse, ingérable. C’est le rôle de la folie de refaire du sens. Le problème, c’est que certains des moyens qu’elle utilise sont tout aussi dangereux pour lae délirante, en bonne partie parce que c’est ça que la folie a appris. Ça ne sort pas de nulle part.
Alors voilà, dire “il faut arrêter le délire / la folie / la maladie mentale pour aider la personne”, ça n’aide rien du tout. Tout simplement parce que les ingrédients sont déjà, bien imprégnés à nous.
Par exemple, les voix peuvent être extrêmement violentes avec moi parce qu’on a subi quinze ans de harcèlement scolaire, et c’est ça qui leur a appris à interagir avec moi, puisque c’est comme ça que beaucoup de gens du monde interagissait avec moi. Elles continuent de l’être encore aujourd’hui parce qu’elles ont depuis absorbé tous les discours sanistes validistes sexistes et transphobes qui traînent. Et elles me les resservent avec une violence dont vous seriez surpris·e. Et elles entraînent des comportements dangereux.
Mais faire taire les voix ne règlerait pas le problème. Ça ne réparerait pas ce que j’ai vécu. Et ça ne règlerait pas non plus les problèmes d’oppression qui régissent notre société.
Soigner une personne délirante, ce n’est pas faire taire le délire à tout prix mais plutôt : comprendre pourquoi il s’est mis en place, et quelles sont ces conséquences réelles ?
Parce que, comme toujours, quand la psychiatrie érige un truc en symptôme, elle en fait rien du tout. Si ce n’est dire “c’est un symptôme, il faut faire disparaître les symptômes ou les contrôler pour aller mieux”. Sauf que quand tu demandes aux gens pourquoi iels ont peur de décrocher du réel (une peur qui peut complètement être légitime), iels sont incapables d’aller plus loin. Parce qu’on a posé cette dérive de la réalité comme étant le truc à surveiller. Ce qui est stupide, puisqu’on a 0 contrôle dessus, contrairement à la psychiatrie qui pourra nous dire ce qui relève ou non du délire. Ce sont elleux qui dessinent la ligne.
Travel ‘round in packs School bullies wanna watch their fucking back Never think that a girl could be so mad? Mix that with the years I don’t react To the shit that you pulled when I was young The best weapon is behind my microphone But part of me just wants to take the whole control Part of me just wants to fucking show you all
WE GONNA TAKE THE POWER BACK
Or, il existe des façons pour les délirant·es de reprendre contrôle sur ce qu’iels vivent.
Souvent, quand on dit qu’on a peur de décrocher du réel, c’est parce qu’on a peur des conséquences possibles, dont on va tenter une petite liste (non exhaustive bien sûr, mais je me dis que vous donnez une liste de base ça peut vous aider à la compléter de votre côté une fois que vous aurez l’idée) :
- achats compulsifs
- isolement social
- auto-mutilation (sous toutes ses formes)
- consommation (abusive) de drogues
- comportements agressifs
- incapacité à tenir un emploi dont on a besoin
- comportements violents avec des proches
- problèmes d’hygiène (de soi, de son lieux de vie)
- problèmes avec la nourriture
- etc etc
Qu’est-ce qui se passe concrètement quand vous partez en steack ? Vous rangez maladivement tout votre appart à 3h du matin ? Vous dîtes à votre patron d’aller se faire cuire le cul en pleine réunion ? Vous cherchez à vous amputer des morceaux ? Vous ne mangez plus ne parlez plus à absolument personne et gravez des signes dans une langue inconnue sur les murs ?
Qu’est-ce qui se passe vraiment ? Quels sont les impacts ? Quelles sont les conséquences ? C’est ça qu’il faut repérer. Parce qu’en faisant ça, vous pouvez alors développer des stratégies de réduction des risques au moins pour limiter les dégâts. Stratégies que vous pouvez affiner au fur et à mesure. Qui plus est, repérer ces conséquences précises, ces comportements, ça permet aussi de savoir quoi chercher comme aide. C’est pas la même chose de risquer de défoncer le stockage de la fibre de votre immeuble que de se gaver de tous les gâteaux que vous voyez passer. Les deux peuvent être des conséquences de “décrocher du réel”, mais leur gestion est différente. C’est ça qu’il faut comprendre, ça qu’il faut repérer. C’est ça qui vous dit quelque chose sur comment reprendre le contrôle.
C’est ça le truc. L’important n’est pas tellement d’être du bon côté de la réalité, mais comment on fait pour s’assurer que l’absence de réalité partagée ne nous met pas en danger. C’est ça qu’il faut viser.
Et c’est bien pour ça que ça m’énerve quand on se contente de répéter ad nauseam que la folie c’est “décrocher du réel” parce que ça veut rien dire, que ça recouvre une multitude de scénarios possibles, et que ça ne permet pas aux gens de s’armer correctement pour reprendre le contrôle de leur vie. Justement parce qu’encore une fois, ça fait comme si, parce que c’est délirant, ça n’est pas réel, donc pas digne d’attention. Or, la folie, les délires, ont des racines dans le réel, et ont des conséquences tout aussi réelles. C’est bien pour ça que les fols peuvent en avoir peur. Parce que la conséquence d’avoir défoncé toute ta vie, elle est bien réelle. Et quand tout ce qu’on t’offre pour t’aider c’est “et oui, ça fait ça décrocher du réel”, ça te permet pas de penser le truc pour pas que ça recommencer.
Alors que :
1/ repérer quels ont été les principaux éléments qui ont causé du dégât.
2/ créer des stratégies de réduction des risques pour pouvoir limiter la casse la prochaine fois, et se faisant, rebâtir un peu de confiance en soi
3/ quand ces stratégies sont assez fonctionnelles, commencer à voir si on peut repérer les éléments déclencheurs, et ainsi commencer à consolider la réalité
Bien sûr, il faut faire des aller-retours entre les différentes étapes, affiner. Surtout que bon, la folie ça bouge aussi avec le monde autour, donc des fois faut recommencer. Mais c’est comme un sport, plus on pratique, plus on maîtrise le geste. Et même si ça n’empêche pas de se tordre la cheville à l’occasion, ça permet quand même de savoir quels gestes éviter et comment réagir au mieux.
Dans le fond, délirer c’est un sport. Qu’on a pas choisi de pratiquer, certes. Mais qu’on peut apprendre.
Pour conclure, on dira donc simplement que pour des gens qui veulent se prétendre les grands garant·es de la Réalité™, la psychiatrie a quand même vachement tendance à la simplifier à outrance. Et si simplifier les choses à outrance, ça aide bien à favoriser que le savoir reste dans les mêmes mains, ça n’aide pas les gens à reprendre le contrôle de leur vécu.
Peut-être que si les délirant·es le restent, c’est bien parce que ça en arrange certain·es dans le fond. Sinon, j’imagine qu’on leur filerait les outils adéquats…
Mais après, peut-être je suis juste un paranoïaque ultra salé, allez savoir.