Ça aurait pu être bien. Mais non.
Moon Knight, série Marvel sortie dernièrement, et adaptation des comics du même nom. Nous y suivons Steven, vendeur sans la boutique de souvenirs d’un grand musée, une espèce de weirdo attachant, passionné par la mythologie égyptienne. Steven a juste un petit problème : il fait du somnambulisme et se réveille souvent avec des douleurs inexpliquées. Sauf qu’un jour, il se retrouve en Italie sans comprendre comment ni pourquoi, une voix parlant dans sa tête, et des méchants qui cherchent à récupérer une babiole entrée en sa possession on ne sait comment… Qu’arrive-t-il à Steven ? Et dans quel pétrin s’est -il fourré ? Qui est cette voix ? Que se passe-t-il quand il blackout ? (tatatin)
Voilà pour le pitch de départ avec le moins de spoil possible.
Si on en parle aujourd’hui, c’est parce qu’en fait Steven a un TDI, enfin Marc. Enfin on y vient… Par curiosité, j’ai regardé. Je me disais “what wrong could happen ?”. Et bon, vous vous doutez bien que si on est là, c’est que ça s’est qu’à moitié bien passé. La série est sortie à raison d’un épisode par semaine, pendant six semaines. Je vous ai fait un magnifique livetweet avec des reacts à chaud, des bouts d’analyse à la fin de chaque épisode, et plus on s’approche de la fin, plus y a de sel et d’insulte. Comme le thread est devenu extrêmement long, je me suis dit qu’un article résumé des principales critiques ne ferait pas de mal (ça sera plus facile à partager). Je vous laisse quand même le thread, parce que ça peut être intéressant de voir l’évolution au fil du visionnage…
On va donc essayer de résumer et d’analyser ce qu’il en est de la représentation de la folie dans cette série. Ce sera plus concis, mais ne vous inquiétez pas, on garde le sel, et potentiellement les insultes. Parce que y a vraiment de quoi insulter les gens quand même… On va principalement se poser la question suivante : comment ce qui fonctionne cache un discours saniste extrêmement dangereux ?
Je préviens encore une fois : je me fiche de spoiler. (et ça me soule de devoir le préciser à chaque fois parce que les sanes supportent pas qu’on critique leur divertissement sur le thème de la folie)
Du potentiel
On va commencer par ce qui marche pas trop mal. Histoire qu’on vienne pas me dire que je fais du bashing gratuit, et parce que ça va aller vite… [NB : je ne suis pas capable de juger de la qualité du traitement de la mythologie égyptienne, que ce soit dans ses représentations formelles ou dans son interprétation. Du coup si vous êtes intéressé·es par une critique sur ces questions, je n’aurais rien de pertinent à vous en dire…]
Steven est attachant. On a envie de le soutenir. Personnage classique de weirdo un peu lunaire, dans sa bulle. Et surtout relatable pour les personnes folles : il a une façon de bouger un peu glitchée, une proprioception un peu foireuse qui le rend maladroit, un intérêt spécifique très marqué, des difficultés à comprendre les codes sociaux, des hyperfixations, des troubles du sommeil. Bref, plein de petites choses qui le rendent effectivement crédibles en tant que perso fou.
La question du trauma est aussi plutôt bien gérée. La série arrive à éviter les écueils du trauma porn, place ses ellipses et cuts aux bons endroits. On comprend aussi très bien pourquoi le système existe. Marc, l’original (on va y revenir plus en détail après, ça c’était nul, très nul), perd son frère alors qu’ils sont enfants. Sa mère le considère comme coupable, ce qui déclenche toute une série de maltraitance. On voit alors comment naît le système et pourquoi. On comprend alors la nécessité de ce système à la survie de l’enfant. La phase de trauma reveal est d’autant bien gérée qu’elle est nécessaire pour que le système retrouve un équilibre. En effet, Steven n’a pas accès à toute la mémoire, et pour avancer, il va bien falloir que si… Du coup, cette séquence a le mérite de montrer les liens entre les alters et leur nécessité respective. D’autant qu’on a pu voir qu’ils n’ont pas les mêmes compétences, pas les mêmes points forts, pas les mêmes capacités, et que pour avancer, il leur est nécessaire de fonctionner ensemble plutôt que de se battre continuellement.
La série a donc bien saisi comment fonctionnait un système, pourquoi il advenait, et comment les alters devaient apprendre à communiquer et fonctionner ensemble, les conflits qu’il y a parfois et qui entraînent des difficultés de fonctionnement, la nécessité d’assumer les actes du systèmes, et le fait que ça n’arrive pas au hasard.
Et voilà ça y est c’est bon j’ai fait le tour des éléments positifs à dire sur la série.
Et vous voulez savoir le pire ? C’est même pas qu’il y en a peu. C’est que ce sont des éléments importants, et pourtant, même avec d’aussi bons ingrédients, la série fait de la merde et présente un sous-texte immonde et dégoulinant de sanisme.
C’est parti pour le sel. On va tâcher de faire crescendo…
Des ficelles, tellement de ficelles
En soi, je n’ai rien contre les ficelles ou les tropes. Un trope bien utilisé, c’est comme un petit bonbon de l’enfance dont on retrouve le goût pétillant. Un trope mal utilisé, c’est ce nouveau bonbon à la mode qui prétend faire pareil que celui de ton enfance MAIS EN FAIT TROP PAS et c’est frustrant.
Utiliser des ficelles, pourquoi pas. Savoir pourquoi on les utilise, c’est mieux. Parce que si tu ne sais pas pourquoi tu utilises une ficelle, tu te prends juste les pieds dedans et tu te vautres lamentablement de tout long.
Et ça, c’est un énoooooorme problème de Moon Knight. C’est tellement un problème, que régulièrement je me suis retrouvé à dire “mais, y avait ça aussi dans Once Upon a Time, et c’était mieux fait…”. Et quand Once Upon a Time fait des meilleurs choix de scénario et de réalisation que ta série, faut se poser des questions, et vite.
Alors parlons peu, parlons miroir.
les
putains
de
bordel
de
foutus
MIROIRS
Pendant mon livetweet, sur l’épisode 2, je m’étais lancé à les lister tellement c’était devenu énorme et ridicule. De mémoire, pour un épisode de 45 minutes, j’étais arrivé à une grosse quinzaines de plan miroir / reflets (et en vrai j’ai pas compté les plans, j’ai compté les utilisations donc y en a PLUS). Le miroir est un gimmick récurrent dans le cinéma pour représenter la folie (surtout si ton miroir il est fissuré, such inventivité t’as vu). Sauf que… c’est un gimmick qui ne parle qu’aux non fols. Le pire,c’est que c’est même pas que c’est hors sujet, ou qu’il n’y aurait rien à faire avec des systèmes de miroir / reflet pour parler de la folie. C’est juste que les non fols tombent à côté de la plaque (et parfois iels en tombent même très très très loin)
Fun fact : les fols ont, pour la plupart, des gros problèmes avec les miroirs. Entre les hallucinations et/ou la dysmorphophobie (qui font que du coup on a une vision de son corps tordue), la dysphorie, les blackouts, etc.
Je n’ai pas vu mon visage pendant plus un an tellement j’ai évité les miroirs. Je supporte très mal les photos parce que je ne comprends pas qui est dessus et je ne supporte pas qu’on me dise que c’est moi. Quand je me regarde dans un miroir je vois régulièrement un gouffre immense, comme une plaie purulente qui fait la moitié de mon visage.
Bref c’est vraiment courant chez les fols d’avoir du mal avec son reflet…
Il y a donc masse de choses à faire autour de la folie avec un miroir. Hellblade a réussi par exemple : lors de son premier combat avec Hela, la déesse de la mort propulse Senua dans un gouffre et brise son épée au passage. Blessée, Senua se recroqueville dans le fond d’une grotte. Les voix l’insultent copieusement devant pareil échec. Lui reprochent son impuissance et sa lâcheté. Et finalement la poussent à se mutiler avec le tronçon de son épée brisée. La voix la plus ténébreuse, celle d’un homme, est la plus insistante. Senua se fixe dans le miroir pour appliquer le tronçon d’épée brûlant sur la plaie de son visage afin de la cautériser. La caméra tourne et on surprend le reflet de Senua dans le miroir, ses lèvres bougent pour former les mots que prononcent la voix d’homme ténébreuse. Toute l’ambiguïté de la scène et sa violence repose sur deux choses : la cautérisation de la plaie est nécessaire pour se soigner, mais est clairement pris dans un geste de mutilation où Senua doit être punie pour avoir échoué ; la voix d’homme que l’on entend fait partie intégrante de Senua.
L’usage du miroir dans le jeu Hellblade est réfléchi, il raconte quelque chose de Senua, de ses voix, de son rapport à son corps et à sa quête.
L’usage du miroir dans Moon Knight est… présent. Au point d’en créer des incohérences de mise en scène pour avoir de quoi offrir un reflet. Voilà voilà. De mémoire, sur la masse de plan miroir, y en a deux qui m’ont paru raconter quelque chose. Les autres sont justes présents.
Pire.
Lorsque Steven prend conscience de la présence de Marc, celui-ci lui explique qu’ils sont un système, et que du coup la plupart du temps, quand l’autre front, à part être une mouche sur le mur, ils peuvent pas faire grand chose. “Mais les miroirs aident.”
Est-ce que j’ai failli jeter mon ordinateur dans le mur ?
Oui.
Est-ce que cette connerie va être systématique du sanisme de la série ?
Oui.
“Les miroirs aident” says no one EVER.
Autant je veux bien croire qu’il y a forcément des fols qui ont un rapport relativement apaisé avec leur reflet, mais de là à dire que ça aide WOW. Who are you kidding ??? Et quand bien même… cette façon de prendre l’exception pour justifier la ficelle scénaristique ça m’énerve. Pire, justifier la ficelle scénaristique DE LA FLEMME avec ce genre de discours ? Vraiment, y a des baffes qui se perdent en writing room…
Et si je m’arrête autant sur cette histoire, c’est que c’est vraiment symptomatique de tout ce qui va pas dans cette série : un truc où “pourquoi pas à la limite”, mais comme c’est pas réfléchi, ça se jette dans le cliché saniste sans un regard en arrière. Et le miroir, c’était le moins toxique. Now off with the real shit.
Carpaccio d’alters et crescendo de violence
Qui dit TDI dit alters. C’est logique. La question cinématographique qui se pose est donc : comment les introduire au monde ? Et ça pourrait être une question passionnante ouvrant des tas et des tas de possibilités en fonction de ce que l’on souhaite raconter.
Mr Robot qui utilisent des acteurices différentes pour les alters pour mieux souligner leurs rôles respectives.
Legion qui dédouble le même acteur pour jouer sur la limite voix / alter / hallu / parasite.
Severance qui conserve les mêmes acteurices mais avec des comportements différents et insiste sur le switch pour montrer la mécanique de l’entreprise.
YuGiOh qui change légèrement le chara design pour insister sur le partage du corps.
Est-ce que je m’apprête à vous dire que YuGiOh gère mieux que Moon Knight ? Oui carrément. Once upon a time et YuGiOh ont mieux géré leur scénar que Moon Knight. That’s how BAD it is.
Si en tant qu’acteur Oscar Isaac s’en tire très bien. Vraiment, hein, c’est pas un sarcasme. De manière générale, les acteurices de la série sont bons, et ce cher Oscar s’en tire très très bien et campe parfaitement les différents alters. Non le problème c’est l’écriture de tout ça…
Comme expliqué au début, on ne sait pas tout de suite que Steven a un TDI. Certes, il est tout de suite présenté comme le fou du coin, mais il est inoffensif. Et puis Steven se retrouve pris dans un truc qui le dépasse. Il a un blackout, nous aussi, et quand il revient à lui, tout le monde autour de lui est KO et il a du sang plein les mains.
La couleur est ainsi donnée dès le premier épisode : ce sera ce genre de multiplicité.
Par la suite, on apprend donc que l’alter (violent) s’appelle Marc. Marc est pour le coup votre perso de héro mâle classique : il est secret, ténébreux, porte le poids du monde sur ces pôtites épaules, manque d’empathie, cache sa souffrance à la femme qu’il aime, mais lui fait bien payer quand même, etc. Classique quoi. Et d’habitude, on voue ce genre de persos aux nues. Mais là vous voyez, c’est un alter. Alors non, on le présente comme un parasite. Et effectivement, pendant le gros de la série, on nous donne peu d’éléments pour entrer en empathie avec Marc. D’autant plus que même Layla, sa femme donc, le critique régulièrement (et comme il l’a plantée sans nouvelle il y a des mois, franchement, fair enough). Marc est donc le parasite qui empêche Steven de vivre sa vie tranquillement. Deux gros problèmes : on entretient le mythe de l’alter violent + celui de l’alter parasite que l’hôte subit.
La série veut jouer la carte du plot twist. En effet, lors du trauma reveal, on apprend qu’en fait c’est Marc l’original, et que Steven est l’alter créé pour lui permettre d’échapper aux violences que Marc encaissait enfant. On peut voir Marc essayer désespérément d’empêcher Steven de découvrir la vérité, là encore, pour le protéger de cette horreur là. Mais là encore, alors qu’on nous donne enfin de quoi avoir de l’empathie pour Marc, on commence tout d’abord par nous montrer tous les meurtres qu’il a commis alors qu’il était mercenaire, histoire de bien enfoncer le clou de sa violence.
Mais toute façon le mal est fait parce que tout ça arrive beaucoup beaucoup trop tard. Les éléments d’empathie envers Marc n’arrivent que… à l’avant-dernier épisode. On a donc peut-être un épisode et demi sur six où on peut considérer Marc comme un être humain et pas juste comme un parasite violent pourrissant la vie de l’hôte. Ça ne peut pas marcher. Tu ne peux pas défaire un trope oppressif en le jouant quasi tout du long pour au final dire “et bah non”. Tout ce que t’auras fait, c’est l’entretenir.
Dans Mr Robot et Legion, Elliot et David finissent par faire des conneries. Et je veux dires des énoooooooormes conneries hein (Elliot drogue quelqu’un pour lui faire rompre son abstinence et la faire chanter, David viole quelqu’un). Mais avant que l’histoire les amène à commettre ces crimes, on a eu le temps d’apprendre à les connaître et à voir ce qui les amène à ça. Et c’est pas pour dire que c’est excusable et que c’est bien, mais que rendu là, on peut pas dire “ils font ça parce qu’ils sont fous et toute façon les fous sont violents”. Parce qu’on a eu au moins plusieurs saisons pour les connaître, les comprendre, avoir de l’empathie, et ainsi pouvoir les juger en fonction de leurs actes et de leur parcours, pas de leur diag.
Moon Knight condamne son héro avant même qu’il ait pu faire quoique ce soit, passe quatre épisodes et demi à accumuler les preuves, pour finalement nous dire “et bah non !”. C’est beaucoup trop tard le mal est fait.
Surtout si c’est pour finir ton épisode six sur une scène post générique qui te montre un alter ENCORE PLUS VIOLENT, qui avait déjà été annoncé en utilisant la même ficelle que pour Marc (je vous ai dit que cette série aimait les ficelles…) sauf que cette fois c’est Marc qui blackout, nous avec, et quand il revient, plein de gens morts et encore plus de sang.
La série se fait chier à montrer un système, à en comprendre son fonctionnement, son importance pour la survie de l’enfant, et elle vise juste… pour mieux te faire passer la pilule de l’alter assoiffé de sang qui pourrit la vie de l’hôte.
La quête de l’original
Comme beaucoup de fictions sur la multiplicité écrites par des non fols, Moon Knight saute à pieds joints dans le trope de la quête de l’original. Pour le coup, c’est le même problème que les miroirs, mais en pire (yes I know “mais enfin Dandelion, la barre était déjà si haut, comment ça peut être pire ???”, accrochez vous à vos slips).
Petit point vocabulaire de la communauté multiple. Aujourd’hui, les multiples, notamment avec un TDI (oui un jour je vais écrire ce fameux article que j’avais promis à l’époque sur comment c’est quand on multiple pas TDI mais chut), parlent “d’hôte”. L’hôte, c’est l’alter qui front le plus souvent, et qui doit donc en bonne partie gérer le corps et les relations avec le monde extérieur. Pour les non fols, cette notion est souvent confondue avec celle de “l’original”. L’original serait l’alter qui est là depuis le tout début début (aka : la naissance). Hors, cette notion d’original est finalement très peu pertinente pour les systèmes, et d’ailleurs beaucoup font sans… Non, ce sont généralement les non fols qui y tiennent le plus.
L’intérêt de la notion d’hôte, c’est que ça permet de savoir qui est le plus au contact du monde extérieur, qui gère le plus souvent les relations (peros, pros). Savoir qui est l’hôte permet donc de s’organiser et de gérer le quotidien. Tous les systèmes n’en ont pas besoin, ou ne la trouvent pas pertinente bien sûr, mais elle a quand même son intérêt.
Alors que la notion d’original… ne sert pas à grand chose. Saviez-vous qu’il existe des systèmes où l’original·e n’est même plus présent·e ? Ou bien l’original·e est en dormance ? Au quotidien, à quoi ça sert de savoir du coup ? Ce qui va être pertinent, c’est de savoir qui se souvient de quoi, qui gère quoi, qui réagit à quoi. Pas “qui est là depuis le début”. Parce que même quand la question se pose de savoir “qui est là depuis le plus longtemps”, ça veut surtout dire “qui a le plus d’infos / le plus d’accès à la mémoire ?”, et c’est pas tout à fait la même chose.
Le problème de la quête de l’original telle que posée par les non fols, c’est qu’elle entretient cette idée que les alters sont une chose qui arrive à l’original, et c’est une mauvaise chose. Que l’original irait mieux sans ça. Le concept de l’hôte a déjà tendance trop souvent à donner un statut différent à l’alter-hôte (qui serait du coup plus important que les autres, j’insiste sur le conditionnel), mais alors celui d’original, c’est encore PIRE. Parce que du coup, on lui donne le statut d’essentiel là où les autres seraient facultatifs. Ce qui n’a aucun sens, puisque des alters ont été créés justement parce que l’original NE POUVAIT PAS survivre seul.
Moon Knight ayant été écrit par des non fols, on tombe en plein dedans. Le fait que Marc soit l’original est présenté comme un énorme plot twist (alors qu’en vrai on peut le gauler dès l’épisode 2 parce que la timeline présentée fait que tu ne peux pas croire que Steven est l’original). On donne une importance incroyable à ce reveal alors qu’au final, si vous prenez le temps de vous arrêtez cinq minutes et que vous vous posez la question “qu’est-ce que ça apporte ?”, la réponse est décevante. Un plot twist est censé renverser ta façon de voir l’histoire.
Dans Hellblade, Senua se fait harceler par une voix masculine extrêmement violente tout au long du jeu. Elle l’humilie l’insulte constamment. Gaslighting 101. Plot Twist : cette voix est apparue après la découverte de son village massacrée par les vikings et du corps de l’amour de sa vie mutilé. Sans cette voix, Senua n’aurait jamais pu se relever et se serait laisser mourir. (version longue de l’explication ici) Pendant les trois quarts du jeu on subit la violence de cette voix qui paraît 100% mauvaise, et puis on nous amène à réaliser pourquoi cette voix est apparue, son rôle, et comment elle a participé à sauver Senua. On est obligé de reconsidérer que peut-être les choses sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air au premier abord.
Severance perturbe un peu la notion d’original puisqu’on est pas face à un TDI “traditionnel” : la dissociation est artificiellement créée par un système développée par une compagnie afin de créer un alter pro, et un alter de la vie perso. Les deux sont parfaitement séparés et n’ont pas accès aux souvenirs de l’autre. Les alters intérieurs cherchent à comprendre pourquoi leurs alters extérieurs ont crut que tout ça était une bonne idée, tandis que les alters extérieurs cherchent à fuir quelque chose. Les plot twists diffèrent pour chacun·e, les enjeux étant différents. On apprend au fil des épisodes ce que chacun·e fuit, à quel point les deux alters sont proches ou différents, à quel point certain·es vivent ça comme une mutilation / suicide à long terme, etc. Les plot twists suivent donc les changements de position de chaque personnage.
Dans Moon Knight, on nous présente Steven comme l’original qui subit son alter violent Marc qui lui pourrit la vie. PLOT TWIST : en fait c’est Marc l’original… qui subit Steven, son alter boulet qui sert pas à grand chose à part lire des livres et qui a monopolisé le front pendant un an, pourrissant ainsi le mariage de Marc. Oua.
Faut croire qu’à force de faire des plans miroir / reflet on a perdu en skill au jeu des 7 différences.
PIRE
(j’en ai marre d’écrire ça et je sais que le vrai pire est à venir)
La conclusion c’est toujours qu’il faut se débarrasser de l’alter surnuméraire. La scène du trauma reveal se fait car Marc vient de se prendre deux balles dans le coeur et qu’il faut donc peser leur âme pour savoir s’ils iront dans le grand champ de roseaux ou s’ils seront ensevelis dans la rivière de sable. La déesse Tawaret doit peser leur coeur et l’enjeu de l’épisode c’est d’équilibrer la balance, d’où la nécessité de révéler leur passé à Steven. Et d’abord j’étais “oh mais c’est génial, elle se pose même pas la question, elle pèse les deux coeurs en même temps car ils sont une seule âme !”. Et j’aurais tellement voulu m’arrêter là. Mais la série a décidé que j’allais hurler tout mon soul so here we are : la balance ne s’équilibre que lorsqu’en voulant protéger Marc, Steven tombe dans la rivière de sable, ce qui offre à Marc son ticket pour le grand champ de roseaux.
Le message est clair : tu vivras mieux et le coeur plus léger sans tes alters.
La violence de cette fin d’épisode je vous jure… et oui, l’épisode suivant Marc retourne chercher Steven et ils font la paix etc. Mais encore une fois : c’est trop tard. T’as déjà envoyé le message que pour trouver la paix fallait abandonner ces alters derrière. T’EN AS MÊME FAIT UN MESSAGE DIVIN.
T’imagines t’es là, t’es scénariste, tu fais tout un épisode pour expliquer comment le système s’est constitué, comment c’était la seule façon de survivre, tu as travaillé à montrer comment le système pouvait évoluer positivement quand ils utilisent leurs qualités et compétences respectives, et ta conclusion c’est : la paix c’est que si tu te débarrasse des alters.
I hate you. SOOOO bad.
Le feu à l’hôpital
Et on arrive bien tranquillement au pire du pire du crade.
Lorsque Marc se prend deux balles dans le coeur, il se réveille en HP. À ce moment, on ne sait pas encore trop : délire hallucinatoire déclenché par le choc ou retour forcé dans l’innerspace du système (toujours à cause du choc) ?
Qu’est-ce que l’inner(space) tu te demandes peut-être. L’inner c’est un espace mental dans lequel les alters en dormance se replient, où iels peuvent se croiser, discuter, etc. Sur l’image juste au dessus, tu peux voir l’inner de David dans Legion, qui consiste simplement en sa chambre d’enfant. Inner qui évolue et change de forme au fil des saisons et donc de l’état mental de David (j’en parlais ici). C’est donc un lieu important, un lieu de repli, de refuge, un lieu où chacun doit pouvoir se sentir bien et à l’abri.
Retenez bien ça.
Parce que la série va joyeusement chier dessus.
Dans l’ordre…
Dans un premier temps, qu’il s’agisse d’un délire hallucinatoire ou de l’inner du système ça revient au même : c’est de la merde. Je l’ai déjà dit et je le redis : les délires ne sortent pas de nulle part, ils ont du sens et ils se construisent en fonction de ce qui se passe dans nos vies. Or… Marc n’est jamais allé en HP.
Pour bien comprendre la violence de ce choix scénaristique, on revient encore à Legion. Dès le premier épisode de la saison 1, on apprend que David est en HP depuis ni plus ni moins que SIX ANS suite à une tentative de suicide. Le premier épisode nous montre à quel point il y pourrit, les sédations forcées, l’ennui, le vide, le fait de ne pas être écouté par sa soeur, ni par les soignant·es, etc. C’est aussi là qu’il rencontre Lenny, son acolyte, qui va y mourir à cause de lui, et Syd, la fille qu’il aime. Biographiquement parlant, l’HP a une importance évidente dans son parcours de vie, que ce soit par la durée du séjour ou les marques que ça a laissées. Si bien que quand dans l’épisode 6, le Shadow king qui le possède piège tout le monde dans une delusion collective où iels se retrouvent toustes dans ce même HP, ça a du sens. C’est un environnement familier à David. L’épisode permet aussi une critique de la psychiatrie puisque tout le monde se retrouve avec un diag au cul, et tout ce qui leur permettait de fonctionner dans le monde réel est ici pathologisé. Fun fun fun. Ça marche d’autant mieux que le Shadow king voulait une prison. Alors un HP, ça faisait sens.
L’utilisation de l’imaginaire psychiatrique est réfléchie et chercher à raconter quelque chose.
Encore une fois, Moon knight utilise la ficelle sans se demander pourquoi, et du coup c’est pire que tout. Marc n’a jamais été en HP. Il n’y a aucune putain de foutue raison que son esprit le renvoie dans cet espace.
Et encore moins à un moment où il a besoin de se sentir à l’abri et d’être protégé.
La seule raison à ça elle est pas à chercher à l’intérieur de la fiction, mais bien, encore une fois, du côté des scénaristes : c’est l’incapacité générale de la société à imaginer les fols en dehors d’un HP. L’incapacité à nous imaginer avoir une vie, des passions, des proches, un métier, un savoir, une expertise. Les fols ça va à l’HP. Point final.
Vous croyez que j’exagère ?
La série va clairement nous le dire. De manière répétée. D’abord le faux psy nous parle de “principe organisationnel de l’esprit” : face à un trauma, l’esprit se fracture, cherche à créer un lieu pour se protéger et éventuellement reconstituer la mémoire.
Harrow : it can be a library, a museum, some kind of maze
Marc : a psych ward ?
Harrow : yes
On nous dit donc clairement, directement dans les dialogues, qu’on est bien au coeur de l’inner du système.
Et au cas où ça suffisait pas, on en remet une couche. Tawaret la déesse leur explique qu’elle est là pour les guider dans leur voyage vers l’au-delà, mais comme ce voyage est trop difficile à comprendre pour l’esprit humain, il prend souvent la forme d’un lieu familier à la personne :
Steven : but why would we imagine this realm as a psychiatric hospital ? Marc : because we’re insane
Voilà. Il n’y a aucune autre putain de raison. Les fous ça va à l’hôpital. Point final. La série se fout de te dire une minute que principe organisationnel ou voyage vers l’au-delà prennent la forme de lieux dans lesquels la personne se sent bien, un lieu qui a du sens pour elle. Ça résiste pas cinq minutes au sanisme du scénario.
Le pire, c’est que ça aurait demandé si peu d’effort pour faire exactement la même chose SANS passer par la case HP. Y a littéralement tous les outils dedans pour se faire. C’est juste là. MAIS NON. Fallait mettre le taré en HP parce que où tu veux le mettre sinon ???
Qu’importe que Steven ait littéralement un putain d’intérêt spé pour l’Egypte antique
Qu’importe que Marc se soit fait tirer dessus dans une pyramide
Qu’importe que Steven soit tiré d’un film façon Indiana Jones version wish que Marc regardait en boucle enfant
Qu’importe qu’ils voguent dans un bateau sur une rivière de sable
Qu’importe qu’ils reconstituent leur mémoire en traversant les pièces de leur maison d’enfance
Qu’importe toutes ces options, les fous ça va à l’hôpital POINT FINAL.
C’est littéralement là mais non, c’était impossible de dépasser ça.
Non seulement la série utilise des ficelles énormes sans les interroger, mais en plus elle baigne tellement dans son sanisme qu’elle noie complètement les bonnes choses qu’elle met en place.
[insérer long hurlement de rage à la lune]
Mettre des bâtons dans les roues et la gueule des fols
On peut donc résumer ainsi : pour chaque bonne chose apportée, Moon knight la démonte dans la foulée et fait reculer le tout quitte à être incohérent avec ce que la série vient juste de raconter.
Scène A : voici comment la folie de ce perso l’a sauvé
Scène B : la folie c’est maaaaaaaaaaal, il faut pas faire ça !
Scène A : donnons des passions et des compétences à notre perso pour montrer comment il surmonte les obstacles
Scène B : non mais en vrai il est fou et basta, end of the story
God I hate you !
Six épisodes à se bouffer cet enchaînement, avec toujours le carton final à la fin du générique pour te dire que si tu as des questions sur les problèmes de santé mentale, il faut consulter le site de la NAMI. I seriously cannot with you…
Je n’arrive pas à comprendre que tu puisses dire des choses juste, mais avoir tellement la tête enfoncée dans ton sanisme que tu te retrouves à montrer exactement l’inverse de ce que tu voulais raconter. Il y a si peu de réflexion autour des questions de la folie, de sa fonction, de comment on la représente, de ce que vivent les fols au quotidien, que ça nous fout dedans puissance 1000.
Tu ne peux pas espérer offrir de l’empathie pour des personnes discriminées IRL en passant les trois quarts de ta fiction à leur taper dessus dans l’attente du plot twist, surtout quand au final, tu continues de dire la même chose après le plot twist.
Tu ne peux pas représenter la folie si tu ne la prends pas dans un contexte plus général AUQUEL TU APPARTIENS.
Le problème n’est pas que Marc soit violent, le problème est que la mise en scène perpétue le trope (dangereux) de l’alter violent que subit l’hôte.
Le problème n’est pas qu’on se demande qui est l’original, le problème est que ça dévalorise l’autre alter justifiant de s’en débarrasser.
Le problème n’est pas qu’on ait un passage en HP (dans un monde qui nous y enferme dès que possible), le problème est que ça n’a aucun sens biographiquement et qu’on en fait un lieu de refuge ce qui ne correspond à aucune réalité (pas celles des multiples IRL, ni celle du perso de fiction dont on nous raconte l’histoire)
Le problème n’est pas qu’on ait des plans miroir, le problème est que ça ne raconte pas la folie.
Exactement comme Bandersnatch, Moon knight ne se pose pas les bonnes questions et produit un divertissement pour les non fols, une représentation de la folie dans laquelle les fols ne se reconnaissent que très partiellement. Une représentation qui pourra en plus être utilisée contre nous.
Je suis pas seulement en colère parce que c’est mauvais.
Je le suis parce que ça aurait pu être bien. Mais ce défaut de réflexion, cette incapacité à repenser les tropes sanistes et à considérer les fols comme des être humains qui en valent la peine empêchent absolument toute l’histoire d’avoir le sens qu’elle devrait avoir. Sous un vernis de “mais en fait la folie a du sens” on passe un sous-texte qui n’a rien de neuf : association folie et violence, nécessité de se débarrasser de la folie pour avancer, limitation des fols à l’HP.
Et ainsi, tout ce qui est effectivement bien vu, sert à nourrir ce propos. C’est immonde et malaisant.
Clairement, on mérite mieux.
Encore une fois, le diable est dans les détails, et apparemment aussi dans les vases canopes (mais on sait pas dans lequel ils ont foutu le respect).
Dissociation, my brain goes on vacation
I might come back to Earth but you just have to be patient
We might’ve met before but today you a new stranger
Can’t see the warning signs, I don’t know when I’m in danger
I turn into Kyler when I’m in a spiral
Kyler is a boy, yeah, Kyler’s still a child
Kyler likes toys, Happy Meals make him smile
Feeling so much better, haven’t seen him in awhileI‘m the mom and dad and me (Mommy, daddy) And we’re a happy family