“Que sommes nous si ce n’est les histoires que nous nous racontons ?” - Partie II

Dandelion
15 min readDec 19, 2023

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Cet article est la suite de celui-ci ! Pour rappel : il s’agit de l’adaptation de ma communication donné dans le cadre du congrès de l’Intervoice 2023 où on parle du pouvoir de la fiction, et comment celle-ci peut nous aider à trouver du sens, et de la force, dans nos propres histoires et vécu. On a pu voir précédemment comment embrasser la folie permettait justement de trouver de la force, sa propre force pour faire face à nos histoires. Mais ça, ce n’était qu’un début…

Résumé des épisodes précédents

Pour la suite, on va faire un looooooooooong saut en avant puisqu’on va directement fin de saison 2 (regardez comme c’est bien fait ! l’article 1 sur la saison 1, l’article 2 sur la saison 2, olalala comment c’est bien pensé ! on dirait presque que c’est fait exprès)(it’s really not). Et oui on est comme ça… Alors je pourrai vous raconter tous les épisodes un par un avec tous les enjeux, mais bon tout ceci est déjà fort long. Je vais donc être raisonnable (grommelle grommelle) et faire un résumé des enjeux principaux de cette saison. Le Roi des Ombres a pu être extrait de la tête de David, mais il lui faut encore retrouver son corps pour retrouver toute sa puissance. Les mutant·es se sont unis à la Division 3 parce que vaut mieux s’unir pour avoir une chance de gagner. La saison commence et David a disparu un an, parce qu’il a été kidnappé et en a perdu la mémoire (madness doing its job as usual). Résultat on ne lui fait qu’à moitié confiance, tout en lui mettant une pression incroyable pour mener la guerre contre le Roi des Ombres. La plupart du temps on se méfie de lui parce que justement il pourrait bosser avec le Roi des Ombres, sans trop prendre en compte que David est archi trauma par le fait d’avoir été parasité par lui pendant, oh, trois fois rien, juste une trentaine d’années. Vraiment quelle chochotte ce David, vraiment un truc d’hétéro là de se plaindre comme ça tout le temps. (Dand tu es trop crevé tu mets du sarcasme partout…) Ceci est amplifié par le fait qu’on reçoit un avertissement tout droit venu du futur : David va détruire le monde. (un jour on prendra le temps de parler de Future Syd… I have opinions there too)

On a donc des enjeux assez contradictoires puisque Future Syd a convaincu David d’aider le Roi des Ombres pour avoir la paix, avant d’avouer à ce même Roi des Ombres qu’elle le fait pour qu’il puisse affronter David dans le futur et l’empêcher de détruire le monde. Fort de cette info, le Roi des Ombres pousse David à faire d’énormes conneries (genre vraiment énormes), et en profite donc pour manipuler Syd (du présent) afin qu’elle se retourne contre David.

Ce qu’elle fait.

Si bien que quand iels se retrouvent, Syd tire sur David, qui finit en état de choc.

Gros plan sur le visage de Syd, blessée à la lèvre suite à un combat, arme pointée sur David. “Tu n’as jamais envisagé que tu était le problème, et non la solution ?”

Syd : And you know what ? You’re not the hero.
David : Then who else ?
Syd : I am.

(cet épisode c’est le feu…)(enfin ces deux derniers épisodes en vrai)

Spirale délirante

Alors forcément, d’avoir la femme qu’il aime lui dire qu’en gros c’est lui le cancer du monde, et qu’elle va le buter pour sauver le monde, avant de joindre le geste à la parole, ça laisse notre brave David en état de choc. Fair enough j’ai envie de dire. Et qu’est-ce qu’on fait quand on est fou et qu’on est en état de choc ? On va se cacher dans son innerspace bien sûr ! Mais un vrai, un où on se sent bien et à l’abri (non je ne m’en remettrai jamais et je ne pardonnerai jamais, I’ll be forever angry at Moon Knight for that)

David se retrouve donc dans sa chambre d’enfant, complètement éberlué et franchement dépassé par la situation. Et comme on a pu le voir précédemment, dans ce genre de situation, David se dédouble… et cette fois ce n’est pas un British Self qui apparaît, mais deux voix distinctes qui se matérialisent. (est-ce que je suis fana du fait qu’à chaque saison y en a de plus en plus ? oui complètement, et ça aussi un jour on s’en parlera….) La question va être de savoir comment gérer la crise. Or, à nouveau, pour pouvoir faire ça, il va falloir que David décide. Et pour décider quoi faire, il faut d’abord décider quelle vision de lui-même il choisit. Les deux voix ne se disputent pas l’attention de David façon petit ange vs petit démon, non. Les choses sont plus complexes que ça, comme ça.

La première voix explique en long en large en travers à David qu’il faut qu’il admette qu’il est fou. Qu’il admette qu’il y a bien un problème quelque part, quelque chose qui ne fonctionne. Et qu’il arrête d’attendre qu’on le sauve. Cette voix là tient le discours que le fait que David se considère comme non fou est de l’ordre du délire. Elle surenchérit d’ailleurs en disant qu’il faut que David lâche Syd, qu’il arrête d’attendre d’elle qu’elle le sauve ou quoi, et que l’amour va pas magiquement le guérir. Que c’est pas viable comme raisonnement. Non seulement la voix l’oblige à voir les limites de ce raisonnement mais elle lui démontre au passage comment considérer Syd comme sa salvation, c’est aussi entretenir un discours d’auto-dépréciation constant qui peut pas l’aider. En bref, c’est délirant. Point made : mec admets que t’es taré c’est toi le dindon de la farce là.

Dans un espace vide. Au centre en arrière plan, David dans son uniforme de l’HP, abruti de médocs au point d’être “rangé” dans un fauteuil roulant. Au premier plan, David et une de ses voix en face à face en train de discuter. David semble hésitant, alors que son double est sûr de lui et assertif. “‘Rendu bon’ ? Ça veut dire qu’avant, tu étais mauvais ?”

L’autre voix a un discours légèrement différent. Cette seconde voix est agacé par le repli de David sur lui-même. Alors que MERDE, c’est un puissant mutant oui ou merde ? D’où les puissants mutants ça se laisse bolosser comme ça d’abord ? Est-ce qu’il se rend compte qu’avec les pouvoirs qu’il a c’est un putain de dieu en fait ? Et que les autres ont peur de lui ? Peur qu’il se rende compte qu’il n’a pas besoin d’elleux. Qu’iels le ralentissent. Et que ce faisant il serait peut-être temps d’arrêter de rechercher leur validation constante puisque clairement, s’il continue à faire ça, il va continuer à ne rien être d’autre qu’un outil et à passer second dans son propre monde. Alors on arrête les chouineries, et on se ressaisit.

De retour dans la chambre d’enfant. Installé dans un coin tranquille, sur un rocking chair, autre double-voix de David, qui très sûr de lui déclare “En vérité ils meurent de trouille que tu te réveilles.”

La conversation se poursuit, les deux voix se disputent l’attention de David pour faire valoir son point de vue, tandis que David lui reste bloqué sur le fait que quand même c’est Syd [insérer “puppy eyes smiley”]

David : but it’s different, we love each other. Our love is real
Voix 2 : Then why did she shoot you ?
Voix 1 : … He’s got a point.

C’est bien sur la question de Syd que les deux voix se mettent d’accord : on peut prendre le problème par tous les côtés qu’on veut, le fait indéniable, c’est que Syd vient bel et bien d’essayer de tuer David. Tant que David n’accepte pas ce fait et ne le prend pas en considération, il est impossible de survivre. Le débat entre les deux voix n’est pas de “est-ce qu’on fait le bien ou le mal”, mais bien “comment on survit”, ce qui veut dire dans le cas présent, décider du sens que David donne à sa propre histoire, à ses pouvoirs et au reste (whatever that means). Et là encore, les nuances sont multiples et on a pas mal de couches à démonter.

Les racines du mal…

(c’est long, il faut vous mettre des titres, et oui bon, les titres c’est chiant, et mon inspiration limitée, que voulez-vous)

Est-ce que je vous ai déjà dit que la folie ne sortait pas de nulle part ? Non parce que bon, au cas où : la folie ne sort pas de nulle part. Elle se base sur ce que l’on vit, nos expériences, nos goûts, notre savoir, nos intérêts… ce que les autres nous répètent. Alors se retrouver avec des voix qui embrasser le discours médical / psychiatrique, c’est pas rare. Et ce même si en face la psychiatrie en question voudrait les voir disparaître. THE IRONY. Sauf que c’est logique : quand tu commences à entendre des voix (ou à virer taré en général, mais pour simplifier ici on va parler juste entente de voix), tu n’as en général dans un premier temps pas trop accès à d’autres entendeureuses de voix. La plupart d’entre nous, on a accès à des soignant·es en premier lieu. Plus ou moins bienveillant·es et ouvert·es. La plupart d’entre nous, nos proches sont pas mal largué·es face à la situation, et s’en remettent donc à l’autorité médicale (après tout si y a “autorité” dedans, c’est pas pour rien non ?)(si…). Beaucoup d’autres discours sont qualifiés “d’allumés” et face au médical, on a donc pas grand chose et le plus facilement accessible est vite sectaire… (oui oui y a des gens pour récupérer les fols et franchement, faut s’en tenir éloigné·e…)

Alors bah… tu fais confiance. Par défaut. Et parce que t’as rien d’autre. En tout cas dans un premier temps. Donc il y a des bouts de toi qui s’accrochent à ça désespérément parce que ces bouts de toi n’ont rien (eu) d’autres. Si bien que quand tu avances, que tu trouves d’autres choses, d’autres options, d’autres discours qui te parlent plus, sont moins maltraitants, plus aidants, font plus de sens, ces petits morceaux de toi, souvent ils subsistent. Et quand tu entends des voix, il n’est donc pas rare d’avoir une voix ou deux qui vont porter fièrement (ou au moins fortement) ces couleurs.

Alors avoir David qui se retrouve avec une voix qui veut limite le renvoyer à l’HP, c’est autant du self harm (parce qu’elle sait que ce sera la merde, elle sait ce que David y a subi. Elle sait et elle le dit quand même) qu’une volonté sincère d’aider David. Parce que oui, ça peut être les deux à la fois… Parce que cette voix-là date de l’époque où David n’avait aucune autre branche à laquelle se raccrocher. Alors là qu’il est en crise, en état de choc, et que son monde s’écroule, il faut trouver une solution, et il faut la trouver vite. L’explication “t’es un malade mental et t’es rien que ça et tu peux rien faire de toi-même” elle est pas efficace, mais c’est celle qu’on lui a donnée sur la plus longue durée, avec quasi aucune autre en concurrence. Il est donc logique, voire même prévisible et inévitable, qu’une voix la lui renvoie juste à ce moment-là. Et oui c’est violent comme discours, mais la volonté de base c’est bien aider David.

Comme quoi, c’est pas parce que tu veux le bien de quelqu’un que tu fais ce qu’il faut.

Toujours dans sa chambre d’enfant plongée dans la pénombre, David tout abruti assis sur son lit, la voix qui défend la thèse de la maladie mentale debout bras croisés d’un côté, la voix qui défend l’explication Dieu à l’opposé, dans son rocking chair. Les deux fixent David au milieu, qui lui fixe le vide
vraiment cette tête complètement ahurie, I know that feeling SO BAD

L’autre voix est clairement plus jeune, mais pareille, elle sort pas de nulle part. Parce que, d’où vient cette idée que David serait un dieu sur Terre ? De son incroyable mégalomanie qui serait inhérente à sa folie parce que bon les fols sont comme ça ?

Et bah non.

Oh bah ça alors.
Kilucru
comment dire je tombe des nues

Pas de très haut en vrai…

Depuis le début de la saison 1, depuis que les mutant·es ont récupéré David, on passe son temps à lui répéter qu’il est extrêmement puissant. D’ailleurs, même les agents de la Division 3 lui répètent. Bon euh c’est pour justifier de lui péter la gueule. But still !

Syd : so you want to fix him, so you can use him to wage your war ?
Mélanie : no. I want to fix him because he deserves to be happy. And THEN I want to use him.

IT’S STILL USING HIM !!!
ahem.
pardon.
reprenons.

Ça fait donc deux saisons qu’on gave David de cette idée de surpuissance sur tous les tons. Certain·es pour s’en servir, d’autres pour le détruire, avant de finalement s’allier avec mais en lui faisant savoir qu’il fallait bien choisir entre la peste et le choléra surtout si potentiellement la peste peut tuer le choléra. (est-ce que c’est absolument pas la bonne analogie pour faire ce point et pas du tout la bonne façon de s’en servir ? oui complètement. est-ce qu’on va quand même garder, apparemment… oui.)

Tout ça, ça fait beaucoup de pression pour une seule personne mine de rien. Surtout une personne qui enchaîne les chocs traumatiques sans que qui que ce soit ait l’air de vraiment s’en soucier. IL EST PUISSANT OUI OU MERDE ? bon bah voilà, donc il peut bien encaisser que son monde s’écroule une fois deux fois trois fois non ? Ralala, quel emmerdeur ce David.

Alors forcément, il y a une voix qui finit par récupérer ça. À leur avantage. Et par lui expliquer que “merde mec, tu ES puissant, act like it, et nique les conséquences.” Forcément. Après tout, tous ces gens s’en sont pas vraiment souciés des conséquences non ? Y a un moment, tu peux pas non plus passer ton temps à répéter à quelqu’un à quel point il est puissant, et t’attendre à ce qu’il t’obéisse bien gentiment même quand tu lui tapes dessus hein. À un moment faut ptet aussi un peu assumer les monstres qu’on crée soi-même.

Si vous ajoutez à ça que David est un homme, blanc, et issu d’une famille de classe moyenne, on peut aussi supposer que y a aussi pas mal de choses qui lui ont été épargnées, et donc un bon terreau au sentiment d’impunité. Dont on est aussi collectivement responsable. (et non ça lui enlève sa responsabilité perso dans les choix qu’il fait sciemment par la suite)(genre torturer quelqu’un, personne l’a forcé, il aurait pu ne pas faire, faire autrement, il a choisi).

Ce discours d’impunité lui est aussi servi par le Roi des Ombres d’ailleurs. Parce que lui il a toujours pour objectif de plus avoir David dans les pattes. Et ça aiderait si David arrêtait d’être un gamin rancunier. Alors ça aiderait si David acceptait d’être le dieu qu’il est plutôt que jouer les petits vengeurs. En plus comme ça ils pourraient jouer à armes égales. Et tant que David ne le fait pas, il n’aura que le mépris du Roi des Ombres. Qui à ce stade fait étrangement office de figure paternelle… (mais ça, c’est plus saison 3 :D vous échapperez donc à ma haine pour le professeur Xavier aujourd’hui, potits veinard·es !)

Tout ça mis bout à bout, il n’est donc pas étonnant qu’une voix en arrive à la conclusion que oui, il est Dieu. Et que l’accepter c’est trouver une sortie.

Toujours dans cette chambre, David confus à l’argumentaire de la 2nde voix, à côté de la première voix, blasée, qui déclare “ne l’écoute pas. Dieux n’existe pas.” Les deux fixent la deuxième voix
oui j’ai un milliard de screens de cette scène. Je vous ai dit que c’était une de mes préférées… (aussi peut-on parler de l’ironie d’une fucking VOIX qui trouve que dire “ceci n’existe pas” est un argument pertinent ??? à quel point c’est fabuleux ça ???? vraiment hein En plus il annonce de manière hyper affirmative, ça bronche même pas d’un cil pour sortir une inanité pareille. Les voix autant dans le déni que David sur leur propre folie et j’ai pas la place d’en parler c’est un scandale scandaleusement scandaleux)

Conflits internes et delusionception

Alors maintenant, la question se pose (encore) : fou ou Dieu ?

Et bon, je voudrais pas dire… mais à la place de David, si j’avais ces options, j’aurais vite choisi. Alors qu’est-ce qui fait qu’il y a bel et bien conflit et que c’est pas si évident ?

Il y a des choses sur lesquelles les deux voix sont d’accord : David est en danger, David doit s’autonomiser de Syd, David doit arrêter de laisser les autres le définir. (ce qui est très ironique maintenant que vous avez pigé d’où elles viennent ces deux bichettes de voix) Le désaccord se pose sur comment on fait tout ça.

Si David choisit d’être fou, c’est accepter toutes les discriminations qui vont avec, tous les discours qui ont justifié son internement. En même temps, la voix a des arguments, la voix sait ce qu’est un délire. La voix fait son travail d’alarme et signale la présence d’éléments délirants à cet instant. Accepter cette étiquette, n’est pas uniquement revenir à la case HP, c’est aussi purement et simplement accepter qui il est. Mais pour accepter l’étiquette, il faut lui enlever tout ce que d’autres ont mis dessus. Et ça c’est compliqué. Et l’autre voix, elle a pas très envie de s’encombrer de ça.

Si David choisit d’être Dieu, c’est s’isoler. C’est admettre que non, il n’y a personne comme lui et qu’il est seul. Enfin personne… sauf le Roi des Ombres qui l’a utilisé parasité bouffé malmené abusé pendant trente ans. Et son père. Qui l’a abandonné. Ça ne comble donc pas le besoin d’amour et le gouffre dans son bide. Mais, ça permet de détruire tous les obstacles, de faire en sorte que plus personne ne l’exploite ou ne l’abuse, de plus jamais être dans le camp des perdant·es et peut-être enfin atteindre ce qu’il veut. Mais ça, c’est peut-être bien de l’ordre de l’illusion des grandeurs non ? Ce serait pas un chouïa délirant ?

Et à partir de là, le serpent peut se mordre la queue.
Encore et encore
et encore
encore
et

La première voix, accroupi, tendant un oeuf en train de se casser de l’intérieur vers la caméra
A delusion starts, like any other idea, as an egg…

Dans les médias, on vous parle souvent de la folie comme ce moment où “on perd pieds”. Heureuxses soient celleux qui peuvent en parler au singulier. Mais surtout, c’est méconnaître la mécanique une fois que la folie s’est installée.

De ce que j’ai pu voir de mon parcours et celui de nombre de mes pairs, c’est un peu plus compliqué. Oui, il y a cette première étape où la folie débarque sans prévenir, et où bien évidemment, on n’a pas les outils pour la reconnaître en tant que tel. Elle nous emporte sans rien laisser derrière.

La vérité, c’est que c’est l’étape la plus facile.
Délirer sans savoir que tu délires, c’est presque facile. Tu es dans un monde et point barre.

Mais par la suite, quand tu apprends à vivre avec, tu te retrouves à souvent vivre dans un entredeux qui peut des fois devenir absolument insupportable. Parce que parfois, souvent (selon où tu en es), tu sais, que tu délires. Et tu peux rien y faire. Tu te regardes faire. Tu te regardes partir. Et tu dois lutter pour conserver l’équilibre. C’est comme marcher sur le rebord du trottoir : même quand c’est pas haut, tu peux te défoncer les chevilles bien salement si tu te rates. Alors en plus, des fois c’est vraiment haut, et la chute sera pas sans douleur. Alors t’es là, et tu maintiens l’équilibre, tes bras qui battent l’air pour rabattre le tout. Maintenir ton corps dans cette position est douloureux et épuisant pour la concentration. Au point que la tentation de se laisser tomber sur la route est bien présente. Mais c’est dangereux de marcher sur la route, on peut se faire écraser par une voiture. En même temps, si tu te fais écraser ça serait facile, ça arrêterait les courbatures dans tes jambes. D’ailleurs, pourquoi tu t’acharnes à maintenir cet équilibre ? Au final, quelle est la plus grande menace entre le trottoir qui pourrait te défoncer les chevilles, ou l’hypothétique voiture qui pourrait arriver ? Laquelle est la plus réelle ?

Il y a ce moment dans la folie où délire et réalité se mêlent l’un à l’autre et les discerner n’est plus si évident, ni toujours souhaitable d’ailleurs. Faire cet effort de distinction est parfois plus douloureux que juste s’abandonner au délire. Et surtout : quand le délire a infusé toute la réalité, comment tu fais pour savoir lequel est lequel ?

You can’t unmake soup.

Qu’est-ce qui est le plus délirant ?
Que David soit Dieu ?
Ou qu’il croit que la psychiatrie puisse l’aider ?

Où est la menace ? Et quel prix à payer si tu trompes ?
Qu’est-ce qui est le plus vraisemblable finalement quand on voit le parcours de David et l’immensité de ses pouvoirs ?
Quand le délire fait plus de sens que la réalité, qu’il est survenu pour surmonter l’insupportable de la réalité, est-ce que vraiment le reconnaître est une si bonne chose ?

Le choix que David doit faire, ce n’est pas seulement “est-ce que je suis fou ou est-ce que je suis Dieu ?”, mais bien quelle réalité il choisit. C’est énorme comme responsabilité, de devoir décider ce qu’est la putain de réalité… tu peux pas faire ça en un clin d’oeil. Que les voix se disputent à ce sujet est normal, parce qu’il y a des conséquences qui ne sont pas des moindres et qui vont bien au delà de ce simple choix.

Cette scène elle dur quoi. Cinq, sept minutes ? Mais elle m’explose la tête à chaque fois tellement je la connais cette spirale. Viscéralement je la connais. Les choix étaient pas les mêmes, mais cette sensation je la connaissais si bien. Et avant cette scène, je galérais à expliquer la spirale. (surtout qu’en vrai, elle est simple cette scène. Dit-il après déjà tous ces beaux pour la démonter. Parce qu’il y a que deux voix, donc que deux options. Mais on peut se retrouver avec bien plus d’étapes dans la spirale) Pouvoir la voir aussi bien mené formellement, c’était une sensation certes vertigineuse, mais assez incroyable, avec un certain soulagement. Parce que pour une fois, comme j’étais pas pris moi-même dans la spirale avec cette tête d’ahuri, je pouvais la voir se dérouler, et je pouvais saisir quelque chose qui ne m’était pas accessible avant… quelque chose que je savais qu’on partageait avec d’autres, mais qui me semblait toujours s’échapper. La fiction des fois, elle fait ça bien mieux que la théorie : elle arrête le temps pour que tu puisses avoir le temps de comprendre.

David, gros plan sur son visage, en arrière, les deux voix qui le fixent, l’une avec un air prédateur, l’autre un peu plus fatiguée, mais insistante quand même
David, we need you to say it.

Et vous savez quoi ?

Cet article est devenu un triptyque ! Parce que je suis beaucoup trop bavard… et vous, vous êtes beaucoup trop gentil·les et vous êtes ok pour me lire digresser sur ma série préférée…

how lucky am I ?

Dans le prochain (et cette fois dernier) article de ce triptyque, on parlera de la dernière scène que j’ai évoquée au congrès. Au travers de cette scène, on parlera de la fumisterie du rétablissement quand ce sont les autres qui posent les règles, de la justice face aux fols, de responsabilité et de pouvoir décider pour soi…

SEE YOU SOON

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Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.