(sa thèse ou d’autres trucs ceci dit…)
Il y a un peu plus d’un an, je vous parlais de la difficulté de faire une thèse en étant schizo, et j’avais promis de revenir vite avec un article sur “comment écrire sa thèse quand on est schizo du coup”. Je me suis un peu raté sur le vite, mais vous allez comprendre.
Quand j’écris cet article, on est en décembre 2019. Je suis censé avoir commencé la rédaction depuis septembre. En vrai j’ai surtout entamé un burn out carabiné, sauce schizophrénie. Ce qui s’est traduit par moi, me mordant déchirant les mains devant l’ordinateur, parce qu’une bête noire, gluante, au squelette improbable, venait de s’écraser sur le coffre de rangement à côté du bureau. Elle et moi on se fixe. Je sais qui elle est. Et il y a un problème. Parce que normalement, c’est un monstre nocturne. Elle n’est là qu’entre 3h et 5h du matin, c’est son heure, son domaine. Mais là, elle est là, devant moi. En plein jour. Et je ne peux pas bouger devant toute l’horreur que sa présence implique. Je me dis que je ne comprends pas les gens qui ont peur du noir, parce que dans le noir, on ne peut pas voir. Et là vraiment, je me crèverais l’oeil pour ne pas voir… pendant ce temps, le curseur clignote sur un document baptisé “Partie I chapitre 1 septembre 2019”.
La violence est telle que presque aucune ligne ne viendra compléter ce document avant février. Je fais le mort auprès de mes DRs. Inutile de leur écrire : iels ne peuvent pas m’aider, je le sais déjà. Il me faut d’autres fols. Il me faut des délirant·es qui ont dû faire face à l’exercice de faire sens universitairement parlant. Il me faut des gens qui ont forcé la folie dans les cases de l’université.
Je n’en trouve pas… français anglais allemand… je galère… je désespère. Et la bête ne veut plus bouger du coffre, refuse de retourner sous le lit, alors que c’est sa place. Pendant ce temps, je n’écris pas. Et le burn out a le temps de virer à la dépression.
Alors, comme on est jamais aussi bien servi que par soi-même (surtout quand on est plusieurs dans sa tête), here I am. On va tenter de proposer quelques lignes de réflexion : quels obstacles particuliers on rencontre dans l’écriture d’une thèse (ou d’un travail intellectuel très normé si vous voulez)(juste “thèse” ça va plus vite alors on va pas spécifier à chaque fois) quand on est fol ? y a-t-il une particularité de la pensée folle par rapport aux neurotypiques ? comment on surmonte ça ? Comment on bosse / écrit avec ? (si tu réponds “comme on peut” encore une fois jte jure…) Comment on adapte les conseils habituels au contexte de la folie ? Comment on chasse les monstres gluants des coffres à côté du bureau ? (non jdéconne. ça j’en sais rien en vrai…) C’est très long, mais je t’ai mis des titres pour que tu puisses faire des pauses ou ne choper que ce qui t’arrange. Dans l’ordre :
- le mythe de la raison
- embracer la folie
- connaître ses limites
- se rappeler qu’on a un corps
- lignes universitaires et boucles psychotiques
- le concept du temps
Et comme d’hab bien sûr, pas de recette magique, mais des pistes de réflexion, des choses que j’ai pu tenter qui ont marché (ou pas) et pourquoi ça marche (ou pas) pour moi.
Bonne lecture !
Le mythe de la raison
We’ll never drink your medicine and we’ll never think your way
Masters of broken promises are born to manipulate
Your mind is a vault of prejudice but we see through the door
Your dirty little secrets aren’t so secret anymoreWe’ll never drink your medicine and we’ll never think your way
You’re tied to an ideology from a book that’s out of date
No room for your daft intolerance left in this day and age
We’re not gonna go down quietly, we’re not gonna be afraid’Cause under the cloak of sanities are madmen in disguise
Are we blind, blind, blind?
Flashback.
Première année de master. 8h15–10h15, cours d’esthétique (philosophie de l’art si ça te parle plus). Sans prévenir, le prof passe d’un coup dix minutes à expliquer que pour penser, il faut un esprit bien propre et bien unifié. Et que tout esprit fragmenté est condamné à la folie et incapable de raison.
Mes potes s’inquiètent un peu de me voir prendre un coca à la pause (donc dès 9h du mat), virer mutique, et ne pas prendre la moindre note du cours (alors que je prends toujours trop de notes, ça m’aide à rester concentré).
Deux ans après, j’aurai la surprise de découvrir que ce prof est le directeur de l’école doctorale. Cette impression alors d’être undercover, en mission, incognito. Ne surtout pas se faire gauler. Ne pas laisser voir la folie. Parce que s’il sait, il va considérer que je suis incapable de penser, et c’est mort, ma thèse sera morte enterrée avant que j’ai pu l’écrire.
Cette pensée, un brin amplifiée par la paranoïaque, toustes les fols la connaissent. On appelle ça le masking : quand tu fais tout ton possible pour ne pas avoir l’air fol. Cacher les stims, les tics. Ne pas parler la langue de la folie. Maîtriser les conventions sociales (quand bien même elles n’ont aucun sens). Contenir les sujets. Cacher les moments où on est trigger. Ignorer voix et hallus, ne surtout pas interagir avec. Etc etc. Ça tous les jours. Et finalement, c’est pas si paranoïaque que ça, parce qu’on sait les conséquences. On s’est fait harceler dans les cours de récré. On a perdu des boulots, des relations. On a été renvoyé des urgences parce que “c’était dans notre tête”, avant de devoir y retourner plus tard, dans des états encore pire. Certain·es perdent leur droit à choisir, à maîtriser leur vie. Bref. Le masking, c’est une question de vie ou de mort.
J’ai donc commencé ma thèse comme ça. Avec la contrainte habituelle du masking, mais avec cette fois une nouvelle dimension : l’Obligation de Raison. Parce que dans l’esprit neurotypique, la folie et la raison sont deux choses diamétralement opposées. Faut vraiment n’avoir jamais vécu la folie pour croire qu’elle est vide de sens, absurde, sans queue ni tête. Alors qu’en vrai, elle fait tellement plus de sens que la réalité. Et c’est bien ça le problème. Bien pour ça qu’on en sort pas en claquant des doigts.
Mais ça, j’ai déjà pu le dire et le redire. Aujourd’hui je voudrais aller plus loin. Parce que tout ça, cette représentation que les neurotypiques ont de la folie, ça vient exister en contrejour de ce qu’est la raison. Et donc fatalement, si je suis d’un côté de la balance, je ne peux pas être de l’autre. Ma thèse n’était pas commencée que j’étais déjà mis en échec. J’ai continué quand même. Parce que je suis très têtu et que j’adore donner tort aux connards, c’est un de mes petits plaisirs de la vie que voulez-vous. Et effectivement, ma tête de mulerie, mon investissement dans le militantisme anti-psy/anti-psychophobie, enfin créer des liens avec d’autres fols, m’ont permis pendant toute la phase de recherche de savoir que la Raison était un mythe, et que la folie n’empêchait en rien la construction d’une réflexion pertinente. Simplement, la folie lui donne une autre forme, un autre tempo.
Oui mais voilà. On vit dans un monde psychophobe (genre y a encore 83% des gens qui nous pensent dangereux. lol déstigmatisation mon cul). On a grandi dedans. On s’est construit dedans. Et partout tout le temps, s’entendre dire que les gens comme toi sont dangereux, ça t’oblige à te poser continuellement la question de ta dangerosité, même si clairement tu sais que non. Et bosser dans le Temple de la Raison, où on glorifie la pensée bien droite, bien longiligne, bien dans les clous, quand t’es fol, ça ronge. Parce que y a jamais personne pour dépasser comme toi. Et quand ça arrive, c’est mal vu. Et quand tu commences la rédaction, tout ça, ça te revient en pleine gueule. Ce moment où il faut forcer les phrases dans le bon ordre, éviter la langue de la folie, faire un plan qui file droit, bref, prendre tous les atours de la Raison validée, c’est douloureux. Et violent. C’est cette impression que ta pensée à toi, elle vaut rien, parce qu’elle est pas dans les clous. C’est l’invalidation constante, même pas de ton travail, mais de la personne que tu es pour le faire. Et tout le masking nécessaire à ta survie te revient en boomerang dans la gueule et tu doutes. “Et si vraiment, je pouvais pas le faire ?”
Et la bête noire gluante tombe brusquement sur le coffre à côté du bureau. Et tu n’écris plus pendant des mois, malgré tous les trucs et astuces. Parce que de toute façon, ta pensée, elle vaut rien. Alors comment tu pourrais écrire une thèse alors que t’es pas foutu de réfléchir correctement? Circulez y a rien à voir. Rideau.
Peut-être que c’est pour ça que j’ai pas trouvé de fol à l’université. Entre le masking, la psychophobie, et le doute constant de soi… autant dire qu’on est bien planqué. Va expliquer ça à des neurotypiques… quand bien même t’aurais la chance qu’iels soient bienveillants, iels seraient pas pour autant capable de te sortir des ronces.
Alors concrètement… qu’est-ce qu’on fait ? (tu vas dire “ce qu’on peut c’est ça ?”)(toutafé)
Embrasser la folie
Your magic white rabbit
has left its writing on the wall
we follow, like Alice,
and just keep diving DOWN THE HOLE
Si on peut pas du côté de la Raison, à quoi bon s’arracher des bouts de soi pour essayer d’y entrer ? Faut-il se découper le corps pour espérer rentrer dans le rond carré de la thèse ?
À un moment, il n’y a pas d’autres choix que celui de sauter à pieds joints dans la folie. La folie c’est des hallus, des délires, une assignation sociale. Elle vient construire notre rapport au monde. Elle est un filtre qui nous permet de comprendre le monde. Vouloir la rejeter pour rejoindre le monde des neurotypiques, c’est vouloir s’amputer. (et comme dhab, parce que c’est toujours les mêmes critiques (c’est bien vous êtes écolo, vous recyclez) : non je ne dis pas qu’il faut pas se soigner si vous souffrez. Je dis qu’on peut apprendre à vivre avec sa folie, et vivre bien et vivre heureux)(et faire une thèse si vous voulez, ’cause that’s our point today)Vouloir rejeter la folie, c’est s’empêcher d’accéder à ses émotions, et à sa réflexion. C’est s’enfermer dans la page blanche. Avec la bête noire gluante à côté, donc. Et plus tu veux fuir la bête noire gluante, plus elle glue de partout et plus elle reste (haha ! joke’s on you ! j’ai déménagé j’ai plus de bureau ni de coffre de rangement mouhahaha).
Mon prof avait tort. Ce n’est pas qu’un esprit fragmenté ne peut pas proposer une réflexion de qualité. C’est qu’un esprit fragmenté ne peut pas proposer une réflexion de qualité en utilisant les outils d’un esprit unifié. On ne fait pas rentrer un rond dans un carré. Mais on peut apprendre à faire des carrés. Le cas échéant.
Et ouai, mon premier point concret, c’est littéralement ça : faire la paix avec la folie. Toute façon, TMTC, la paix avec la folie, ça se renouvelle et se renégocie constamment, au moindre truc, au moindre choc. Je sais c’est dur. Je sais c’est fatigant. Vraiment. C’est possible, mais crevant. C’est des efforts encore et encore. Mais c’est faisable, et ça vaut le coup. Et tu peux pas écrire ta thèse sans être passé par là. Tu sais pourquoi ?
Parce que la thèse est un travail de longue haleine, extrêmement personnel. C’est du temps donné, beaucoup de temps. Des sacrifices. Beaucoup de sphères de la vie impactées. Et puis surtout, y a le sujet… jsais pas à quel point c’est vrai dans les sciences pas sociales, mais chez nous, tu choisis ton sujet. Et tu choisis jamais au hasard. Même si tu sais pas pas pourquoi au début. Alors après, t’es pas obligé d’être aussi con que nous hein… Non parce que nous, on a eu notre idée de sujet de mémoire, en plein insomnie, vers 4h du mat, au milieu d’une masse de pensées sombres et délirantes. Mais on s’est dit que ça va c’était pas trop personnel. (denial is strong with this one)
La thèse, c’est se poser une question existentielle pendant plusieurs années. Tu sais qui d’autre fait ça ? La folie. Tôt ou tard, y a ce moment où tu réalises à quel point ton sujet est délirant. Littéralement. Finalement, ta thèse quand t’es fol, c’est jamais que le volet raisonnable et raisonné d’un délire viscéral.
Bonjour, je suis Dandelion. Le jour, je travaille sur le théâtre plurilingue et j’essaie de comprendre ce qui dans le mot fait sens au delà des mots. La nuit je défonce la grammaire et ma peau, je désosse les pronoms, je ponce les verbes et brûle ma langue pour trouver la Réponse, et je pleure parce que la langue qu’il faudrait pour poser la question est peut-être déjà morte, ou peut-être n’existe pas encore.
Ce n’est pas qu’un esprit fragmenté, délirant, ne peut pas proposer une réflexion argumentée et solide. Bien au contraire. On y est obligé. Parce que c’est la seule arme pour ne pas se laisser emporter finalement. Comprendre. Formuler la question. Chercher les indices. Tenter une réponse.
La ligne est fine alors, entre le délire et le raisonnement.
Connaître ses limites
et les respecter è_é (oui oui j’y viens j’y viens…)
Sans doute que c’est pour ça aussi qu’écrire une thèse ça peut être difficile quand on est fol : parce qu’on nage en plein délire, et que par la même, on flirte constamment avec la limite, celle au delà de laquelle on risque de basculer pour ne pas revenir. Si on refuse d’embrasser la folie, d’accepter le délire, alors on finit comme moi en novembre 2019. Et on écrit rien. Plus rien. J’avais tellement fui et renié cette part de moi, j’avais perdu toute émotion et capacité de réflexion. Et pour rien, parce que par contre j’hallucinais et délirais de plus en plus. À l’inverse, si on va trop loin, on déclenche des crises psychotiques, des boucles paranoïaques, du repli sur soi, etc etc. Tu connais les bails…
Alors comme tous les autres doctorant·es du monde, il va sérieusement falloir bosser sur ses limites. C’est un problème bien connu des universitaires : avoir des horaires, c’est un concept… Tout le monde fait donc cet apprentissage en thèse : comment on pose les limites ? quelles horaires ? comment on se conserve une vie à côté ? des loisirs ? des jours de repos ? le tout dans un monde qui entretient le mythe du travail-passion et qu’il faut bosser 36 heures par jour minimum sinon ça prouve que t’es pas vraiment motivé·e par ta thèse.
Il faut donc qu’on fasse le même apprentissage. Avec un petit bonus (ouai la folie c’est quand même un peu jouer au jeu de la vie en difficulté extrême, mais sans les success unlocked, ce qui est un peu décevant quand même): la folie ça floute les limites, et ça explose le temps. Disons que quand tu es obligé de foncer tête baissée dans le mur trois fois pour te rendre compte qu’il y a un mur, ce n’est pas très pratique. (et c’est ainsi qu’un burn out devient une dépression sévère. Don’t be like Dandelion.) Il va donc falloir conscientiser tout ça.
J’ai fait plusieurs tentatives. Mais je me suis rendu compte que la forme très carré avec horaires fixes et méthodes très dirigées ne me correspondaient pas. Alors que justement, j’aurais pensé que si justement. Trop de contraintes et j’étouffe. Pas assez et je me dilue dans l’espace et le temps (ce qui n’est guère pratique pour écrire). Du coup, toutes les méthodes et astuces à base de “timez ceci” “faites des listes” “des plannings” “emploi du temps” finissaient toujours en ET LE CUL DE MA SOEUR SUR LA COMMODE. Pas hypra utile.
Écorche mes veines
Laisse rougir
Que je puisse voir où sont les issues des cauchemars
Ponce mes os
Jusqu’à la poudre
Que je respire l’odeur veloutée
Qui me pousse à en découdre
Donc on a posé la question autrement. Si je ne peux pas limiter le temps, il faut repérer les moments où les limites approchent.
On a donc listé les indices signalant la limite :
- les stims trop violents (griffures, à la nuque notamment, balancement avec déséquilibre, frottement de la tête, morsures prolongées des doigts)
- les urges de mutilation (ouai non, quand ta thèse te donne littéralement envie de te découper en morceaux, on peut dire qu’il est temps d’arrêter)
- changer frénétiquement et constamment de musique pour bosser
- réécrire la même phrase en boucle et être incapable de se dire que tant pis elle est moche on passe à la suivante on reviendra
- les bêtes noires gluantes qui tombent du ciel (ouai je sais, that one was obvious, on ne juge pas u_u) et plus généralement les hallus agressives (foule hurlante, incendie, douleurs hallucinées, limaces noires, etc)(oui j’ai un cerveau très productif à sa façon, I know)
- l’aphasie (obviously)(mais vous vous doutez bien qu’iel a tenté hein, iel me fatigue des fois vous savez u_u), et si possible AVANT la perte des pronoms
- la sensation que le monde va s’écrouler et que ce sera l’apocalypse si cette thèse n’est pas parfaite (ce sens de la mesure, jvous jure…)
Et quelques autres, but you got the point. À cela j’ai aussi ajouté d’autres éléments. Je ne peux pas bosser après 19h (dit-iel alors qu’il est 19h02)(oui mais non mais je finis juste ce point sinon demain je saurai plus…), à cause des insomnies et donc du temps nécessaire à mon cerveau pour débrancher. Si j’ai un rendez-vous médical ou une obligation extérieure, considérer que la demi-journée est perdue pour la thèse même si en soit y a deux heures de libre. (merci la surcharge cognitive et sensorielle…) L’idée pour moi ça a donc été ça : repérer les indices qui montrent que je suis fonctionnel, et ceux qui indiquent que je risque de me mettre en danger si je continue. Ça crée des emplois du temps un peu aléatoire (et du coup de l’angoisse, parce qu’on peut pas se comparer à nos collègues NT qui peuvent plus facilement tenir une journée “normale”) MAIS ça permet de se créer une environnement plus sain, et d’être en bon rapport avec soi et sa folie. Au lieu de la considérer comme un bête mauvaise qui va attaquer ta raison et t’empêcher d’écrire, la considérer comme une bête qui cherche à te protéger, maladroitement certes, mais quand même. En faire un compagnon avec lequel on marche, plutôt que lutter contre.
Écrire avec la folie, c’est comme se baigner dans l’océan : il faut accepter de se laisser porter par les vagues, même quand ça secoue sévère, parce que tu peux pas lutter contre anyway.
Se rappeler qu’on a un corps
Mais si tu sais, le truc là qui appuie sur les touches pour écrire ! Oui, ça là… ouai je sais on l’oublie souvent…
Ça va un peu avec le point précédent, mais j’avais envie de le mettre à part, parce que c’est vraiment important. Et bon, les fols et leur corps, c’est tout un poème en trop de dimensions, ou pas assez. TMTC. Alors ça valait bien un point juste pour lui. Ne me remercie pas corps. (jcrois qu’il y comptait pas en vrai)(chut)
Là encore, c’est un problème rencontré par beaucoup d’universitaires de base. On écrit, on lit des livres, on cogite. Le corps, ça devient vite un truc abstrait finalement, un vague outil. Alors forcément, si vous rajoutez de la dissociation, de la réalisation, des délires de pourriture et autre dysmorphophobie, ça peut vite devenir galère.
Donc, on se rappelle qu’on a un corps. Ce qui veut dire concrètement : qu’il doit boire, manger, dormir, bouger un tit peu, être bien installé. Ça c’est la base. Sauf que la base est loin des fois. Littéralement. Si tu fonctionnes avec une to do list, un planning, je ne peux que t’encourager à NOTER dessus, histoire d’être sûr de pas zapper (et je vise tout particulièrement nos camarades qui ont des phases maniaques…). Perso ça m’angoisse les to do lists, je fais des “done lists” au besoin. Enfin de journée je note ce que j’ai fait, et donc effectivement si j’ai mangé ou pas. Je laisse continuellement de quoi boire sur mon plan de travail. Que ça reste dans mon champ de vision m’oblige à y penser. Dans les périodes où les TCA ramène sa fraise, j’essaie de la même façon de laisser des trucs faciles à manger à portée de main : si j’y pense pas, le corps peut se gérer tout seul, sans avoir besoin que la conscience s’y mette.
Pour le cran supérieur… perso j’en suis à un stade où je change régulièrement de vernis pour être sûr que ce sont mes mains (puis parce que c’est joli les couleurs qui dansent sur les touches). Ça m’est déjà arrivé d’écrire sur mes mains pour être sûr. Ça m’est aussi arrivé d’écrire sous la couverture lestée (quite à pas avoir de bureau et bosser sur mon lit franchement, autant le faire jusqu’au bout…). Les bouillottes c’est la vie, obviously. (et le masque une torture, but not our point today) J’ai divers stim toys aussi. Genre brosse en silicone. Ça me permet de limiter les stims à base de griffure par quelque chose de moins agressif et qui remplit à peu près le même office.
Si tu peux, un peu de sport, paraît que ça aide. Moi je peux pas, jmen sers comme mutilation soooooo. Y a des périodes, j’essaie de faire avec des applis qui du coup timent à la fois le temps d’exercice et le temps de pause. Et le programme est déterminé. Ce qui évite les scènes du genre “je fais des pompes jusqu’à en vomir”. Pas top…
Je galère sincèrement à écrire cette partie. C’est affreux. Je pense que ça se sent à la lecture. C’est jeté à l’arrache sans fil. Parce que je peux pas faire mieux. Mais t’as l’idée je pense, j’espère : t’as un corps. Et faut s’en occuper. C’est facile d’oublier. Comme écrire la thèse revient à plonger dans ses délires et cotoyer la folie, c’est logique finalement que le rapport au corps se dégrade…(enfin ptet y a des fols qu’on a un rapport normal à leur corps hein, j’avoue n’en avoir jamais croisé, même chez celleux sans délire de pourrissement)(qu’iels se dénoncent ! et partagent le secret là namé) Ça fait ressortir des trucs, les copings mecanisms bien pourris. Le temps dédié à la réflexion en priorité, marcher main dans la main avec la folie, ça fait fatalement ressortir des trucs. Ajoute à ça une pandémie. Et puis potentiellement plusieurs merdes tout au long de ta thèse. Au moment de la rédaction, ton corps c’est un cocktail molotov qui demande qu’à exploser au moindre contact et à la moindre remarque. Et comme c’est un taf intellectuel, et qu’on dissocie… on met parfois à un moment à s’en rendre compte.
Alors on se rappelle qu’on a un corps, et on fait ce qu’il faut pour en prendre soin. Ou en tout cas ce qu’on peut (jle savais !)…
Pensée linéaire vs spirale psychotique
Parmi les difficultés qu’on rencontre, je trouve que celle-là est assez vicieuse… La folie, ça a tendance à fonctionner en spirale. En boucles qui se répètent tout en se nuançant. Et c’est vrai qu’on a tendance à réfléchir et penser comme ça, même si c’est bien sûr moins flagrant qu’en crise. Ça donnerait un truc du genre :
Idée de base => possibilité 1 => Idée de base => possibilité 2 => retour à possibilité 1 => développement 1 => Idée de base => possibilité 2 => développement 2 => idée de base => possibilité 1 => possibilité 2 => possibilité 3 => idée de base => possibilité 3 => développement 3 => possibilité 1 => développement 1–3 => Idée de base => possibilité 2 => développement 2–3 => développement 2–1
Et ainsi de suite. On tourne et boucle comme ça, à coup de retour en arrière et saut en avant. Et chaque boucle en soi fait sens et fait partie du raisonnement. De l’intérieur, on a pas l’impression de tourner en rond, puisqu’à chaque passage on enrichit la pensée.
Le problème, c’est que la rédaction universitaire ne supporte pas les boucles. Il faut lisser, rendre droit les chemins pris. Et ce moment il fait mal, parce qu’il faut casser les boucles pour faire des lignes droites. Il faut faire rentrer le rond dans le carré… et je sais pas vous, mais ici, c’est physiquement douloureux.
Le rapport à la transition entre les idées n’est pas le même. Le rapport à la répétition n’est pas le même. Le rapport à l’explicitation n’est pas le même. Le rapport au plan n’est pas le même…
Faire mon plan ça a été une violence inouïe. Une véritable torture de deux semaines. Les plans ça a toujours été ma faiblesse. En licence, ça allait. Toute façon quand tu dois pondre une dissert en deux heures, on est forcément moins regardant. Le mémoire, ça avait déjà été plus tendu. Compliqué. la thèse… cette chose énorme et monstrueuse… ça a été une souffrance la phase de plan, vraiment cette impression d’être face à une hydre et que je m’en sortirai jamais, que c’était trop gros pour moi. Aujourd’hui, à la phase de la rédaction, cette angoisse elle revient régulièrement. Et je pense que c’est parce que je n’ai plus le choix : je dois écrire neurotypique. Masking de haut vol. Sur près de 400 pages. Et jme demande pourquoi je suis épuisé en fin de journée…
D’ailleurs, vous vous en êtes peut-être rendu compte, ici ou sur twitter, l’écriture s’est éclatée. Les voix interviennent plus. Et comme en plus on a découvert qu’on était un système, on a ça aussi à gérer. Alors tout simplement : on masque moins l’écriture en dehors de la thèse. Sinon ça serait pas tenable. Donc les voix interviennent plus, les morceaux un peu aussi, ce qui implique que les pronoms sautent plus et qu’on se passe la parole comme Crona fait rebondir sa balle d’alu sur les murs. C’est sans doute plus confus pour vous. Mais c’est un choix qu’on fait parce que ça nous laisse une soupape de décompression à côté de la thèse où on ne peut pas se permettre ça. Et je pense que c’est essentiel d’avoir un espace de parole qui ne relève pas du masking social. Y compris un espace qui ne soit pas que juste son carnet dans son coin… C’est une question d’équilibre, plus tu masques d’un côté, plus il faut pouvoir démasquer de l’autre. Sinon, TMTC, c’est le burn out.
Parce que dans la série parole normée, la thèse, ça se pose là. Alors parler normalement selon notre normalité, parler à d’autres gens dans notre langue, c’est essentiel pour éviter au système de sauter pour de bon. D’autant que nous, on est encore en phase de découverte, de base, le système saute constamment. Que ça tombe en plein pendant la rédaction de la thèse, c’est sans doute pas un hasard, mais c’est clairement la putain de merde (oui oui c’est le terme universitaire consacré, toutafé). Parce qu’on peut pas se permettre d’être fragmenté. Tout en ayant un sujet à base de fragments.
En bref, je peut pas contrôler tout le temps. Il faut des espaces d’expression plus libres. Pas de chance, ça tombe sur vous :D (we’re not even sorry)
Je n’ai pas encore encore l’information, contacterai à la réception
Je tourne et tourne à l’imperfection signalerai toute progression
Je mets en boucle la même décision, pourquoi changer quelle révolution?
Mais moi j’étouffe au moindre “si on” renaît sans cesse sans une seule décision
Ma vie s’écroule et mon manque d’impression me met sous vide me protège des scissions.
Une fois qu’on a trouvé ces espaces d’expression où on peut boucler spiraller fragmenter tranquillement, il va quand même falloir rentrer dans les clous pour la thèse. Nous, en plus des espaces extérieurs où on masque moins, on a aussi autorisé les voix à intervenir dans les notes de bas de page. Pour le meilleur et pour le pire…
Transcription :
16 : Poizat, Michel, “La voix et l’appel du sujet”, in Variations sur la voix, Paris, éditions Economica-Anthropos, 1998, p.39. [à vérifier pour la page, apparamment t’as pris plein de trucs en note sauf les trucs que tu voulais vraiment utiliser, c’est assez fascinant oO][En vrai jcrois que j’ai noté les trucs que j’étais pas sûr de comprendre, donc de retenir pour les garder… d’ailleurs c’est pour ça que la moitié de la fiche de lecture est sur papier et pas sur ordi. tu vois la preuve ça marche jme souviens du reste de l’argumentaire !][…]
17 : j’ai l’impression qu’on est teeeeeeellement outrageusement alambiqué pour rien oO Tu boucles à l’écrit aussi maintenant ?
Transcription :
35 : Really ? Tu veux balancer ce genre d’affirmation de but en blanc ? -en même temps j’y suis pour rien si c’est encore le cas…
36 : Et j’arrive pas à expliquer l’intérêt du non figuratif ici justement… -jcrois que tu commences à fatiguer surtout, il est 18h45, on est là depuis 15h… va prendreune douche ! -mais on est d’accord que l’intérêt là c’est juste que c’est PAS figuratif. -Yeup. Jpense qu’il faudraqu’on passe par le papier pour sortir les mots… VA PRENDRE UNE DOUCHE !
Vous constaterez au passage que le codage typographique est loin d’être stable… mais bon. En gros, l’idée c’est de les laisser dire ce qu’elles ont à dire. Ça va du commentaire sur ce que je raconte, à la blague de merde, en passant par la recommendation, le cynisme et… l’insulte. Ceci dit, depuis qu’il y a cet espace, y en a moins, justement. Outre le fait de les laisser s’exprimer, ça permet aussi d’avoir leur retour. C’est parfois plus pertinent que ça en a l’air, et parfois le travail de décodage est assez énorme. Les voix, comme la folie en général, faut apprendre à travailler avec, et pas contre, parce que tu peux pas gagner… Par contre, j’essaie de les forcer à mettre un code en début de note… parce que sinon j’oublie quand j’envoie mes documents à mes DRs, et j’ai beau les avoir prévenu, iels me croient vraiment capable de mettre ça dans mon manuscrit final… (alors que moi j’avais laissé parce que je trouve qu’elles apportent quelque chose, que ce soit sur les questions qu’on se pose, les difficultés qu’on rencontre, ou le process en cours, mais bon. Faut traduire en langage NT là encore…)
Pour ce qui est du contenu à proprement parler, ici on procède par étapes. En gros, on prend le plan de partie, voir de la sous-partie. On relie ce qui était prévu. À partir de là, phase de brainstorm. On va tâcher de lister tout ce qui pourrait (j’insiste sur le conditionnel) aller dans cette partie. Ça ressemble à peu près à ça :
Cette liste est brute. À cette étape, on est pas à organiser le fil, juste : qu’est-ce que je mets dedans. Le but c’est prendre le temps de reparcourir tout mon matériel de travail (soit : fiches de lecture d’ouvrages théoriques + analyses du corpus) et de voir ce qui pourrait convenir ici. Donc y a des citations à l’arrache, des réflexions sur ce qui me paraît important à raconter, des renvois au corpus ou des idées d’exemples extérieurs (je ne désespère pas de caser mon analyse de Legion u_u watch me !). Si possible en essayant de se dire pourquoi ça conviendrait. Ça peut venir dans un second temps, mais l’idée c’est de conscientiser ma boucle : puisque mon esprit peut passer de n’importe quel autre à presque tous les autres sans soucis, je conscientise déjà pourquoi ça irait dans cette partie. Une fois que j’ai fait ça, je tâche de voir s’il n’y a pas des fils qui se recoupent : s’il y a des éléments qui sont ici pour des raisons similaires, je peux donc supposer que je peux en parler dans le même mouvement. J’essaie d’évaluer cette similarité (en gros est-ce que je suis dans la même boucle de la spirale, ou bien dans deux boucles différentes de la même spirale). En gros très similaire = même partie du raisonnement, pas similaire du tout = deux parties différentes, similarité plus ou moins forte = élément de transition. En gros, je repère dans ma tête à quel endroit de la spirale on est. À partir de là, je peux travailler à changer les boucles de ma spirale en ligne d’un éventail (ce qui est moins violent qu’une ligne droite). Pour ça, je vais souvent passer par le papier (nous on a vraiment besoin de toucher les mots… donc dès que quelque chose de vient un peu compliqué on revient direct au papier… déso pour celleux qui sont plus outils informatiques, on pourra pas vous aider, ça nous épuise trop d’essayer de comprendre les logiciels et ça nous paralyse.)(donc oui on fait notre thèse sous word et feuilles volantes, sans zotero ni rien. yeup. on a déjà assez à gérer sans s’emmerder avec le démon de l’informatique :D). Ça ressemble alors à peu près à ça :
Au besoin on peut écrire au feutre pour rendre plus clairs les différents fils de l’éventail et voir si déséquilibre, typiquement quand on a trop de flèches et de rajout dans tous les sens. Une fois qu’on a ça, on peut écrire.
C’est un temps de préparation relativement long, parce que ça demande vraiment de décortiquer chaque sous-sous-partie pour tout aligner. Ceci dit, depuis qu’on fait ça, l’écriture avance vraiment et a un côté beaucoup moins angoissant. J’ai fait mon fil, j’ai donc moins de chance de me perdre, et la bête prend un côté maîtrisable parce qu’on revient à une plus petite échelle. Ce qui évite aussi de se perdre dans l’infini des possibles. TMTC l’infini, c’est l’angoisse.
Le temps, ce concept…
Je suis presque sûr que le temps est une invention neurotypique pour nous faire péter les plombs en nous montrant à quel point we suck at reality. u_u (we’re only half-joking)
We thought this would be never-ending
You bathed naked in the planet’s glow
But now it’s clear, collision is impendingWell how exactly
Did you expect me
To react when you keep pushing it?
Keep pushing the needle in
Est-ce que j’ai gardé le meilleur pour la fin ? Mais oui mais complètement ! Là encore, c’est un problème qui se pose déjà à nos camarades neurotypiques, un problème bien connu. Jusque nous on a mis de la chantilly dessus. Mais pas trois gouttes de chantilly. Non non. Tu sais la montagne de chantilly que quand le serveur t’amène ta coupe de glace tu te dis “c’est pas possible je vais vomir” ? Yeup, that’s the one. Déroulons le fun voulez-vous, histoire de voir si on peut éviter de vomir. (no we can’t.)(spoiler !)
Une thèse est un travail au long court. Et dans un monde capitaliste, le temps c’est de l’argent. Je te renvoie à l’article sur la thèse linké en début (oui je sais, ça fait loin maintenant) où on parlait déjà de toutes les galères liées au financement, à la charge de travail annexe à la thèse (enseignement, com, déplacement, tâche organisationnelle, publication, etc.), un emploi annexe si besoin. On rajoute à la liste : ta vie sociale (si t’en as encore une) et de famille, ta santé (parce qu’être handicapé c’est du temps, on le rappellera jamais assez. On peut moins bosser, on a besoin de plus de repos + les divers RDV médicaux nécessaires en fonction de ta situation). Ces différents éléments se concurrencent donc les uns avec les autres. Le temps au quotidien devient une valeur précieuse. Mais ce temps au quotidien doit aussi être visualisé sur du long terme.
Let’s do the math shall we…
Si…
une thèse dure minimum trois ans
monte facile à six ans quand on est pas financé
Si…
une personne handi peut bosser moitié moins
mais n’est pas financée
et doit donc travailler à côté
En combien d’années peut-elle espérer finire sa thèse ?
Au bout de combien d’année s’écroule-t-elle pour burn out ?
Et ma question existentielle du moment (qui dure depuis un an le moment déjà, c’est un long moment) : combien de temps pour s’en remettre ?
Et on va encore rajouter un élément au problème !
Si tu es fol, “trois ans”, y a des chances que ça ne veuille rien dire pour toi. Y a même des chances que “demain”, ça ne veuille rien dire pour toi.
Si toi aussi t’as failli chialer tel un môme de 8 ans devant la table de 9 devant tes DRs parce qu’iels t’ont juste demandé quel planning t’envisageait et que tu comprenais pas la question, HIGH FIVE PAL !
Si toi aussi t’as tapé ta plus belle crise psychotique devant une deadline qui se retrouve pile devant ton nez d’un coup tel un Ange Pleureur alors que t’es sûr d’avoir juste cligné mais trois semaines ont passé, HIGH FIVE PAL !
Si toi aussi tu bloques, la tête dans le vide, absorbé par la catatonie et quand tu viens PAF, quatre heures sont passées, HIGH FIVE PAL !
Si toi aussi tes DRs t’ont déjà fait des remarques du genre “mais c’est pas comme ça qu’on utilise le passé enfin” ou “il faudrait revoir la concordance des temps”, HIGH FUCKING FIVE PAL !
Toi aussi tu mets les verbes au passé quand une chose est loin et au futur quand elle est evanescente ? (que jme sentes moins seul)
Toutes ces contraintes, qu’il s’agisse d’organiser ton temps quotidien (et d’y survivre), de comprendre la logique universitaire qui pense des mois et des mois (voire des années)(WHO DOES THAT ???) à l’avance, ou juste d’écrire correctement (nique toi la concordance bordel), elles viennent se superposer aux problèmes déjà rencontrés par nos camarades NT.
Est-ce que j’ai des solutions ?
Non.
Mais j’ai du prog metal. Et c’est presque pareil. Et je plaisante presque pas…
Je suis sans doute la pire personne pour répondre à ce problème puisque c’est à peine si j’appartiens au temps en vrai. J’existe pas et j’ai toujours pas réussi à regagner le fil du temps malgré tous mes efforts.
La musique a pris une place essentielle chez moi. Déjà parce que sinon je pourrais pas penser. Il y a un vacarme quasi permanent dans ma tête, et je sais pas si vous vous en êtes rendus compte, mais le monde est un endroit terriblement bruyant. Sans musique, mon esprit finirait dévoré par ses propres hurlements. Mais accessoirement, c’est aussi mon meilleur outil pour rester ancré temporellement dans le monde.
Breaking the habit de Linkin Park (environ 3 minutes)
Vinushka de Dir en Grey (entre 8 et 10 minutes selon les versions)
Mantra de Wolvenest (environ 15 minutes)
sont des échelles de temps plus pertinentes et compréhensibles pour mon cerveau. D’autant plus que je peux monter à l’échelle de l’album.
Omega par Epica environ 1 heure
Gloryfying suicide par Madmans Esprit un peu moins d’une demie heure
Ça me permet de mesurer bien plus efficacement le temps passé à bosser. En cas de dissociation / catatonie, je peux aussi savoir combien de temps je suis parti.
Et à mon avis, c’est clairement pas un hasard si j’ai développé un amour du prog et des morceaux de minimum 6 minutes (jusqu’à 25 minutes pour certains !) pendant ma thèse.
Mais j’ai pas mieux. J’ai de la chance parce que mes DRs sont assez compréhensifves pour comprendre que oui, la schizophrénie c’est un handicap cognitif, et que l’une des premières choses qu’elle te prend, c’est la faculté de comprendre le temps, ce qui est quand même bien handicapant. (oui oui, un handicap c’est handicapant, mais bon jsuis le premier à oublier alors jle note, pour la postérité, tout ça tout ça) On a essayé de mettre des deadlines, mais même en disant qu’elles étaient indicatives, et non pas fermes, ça a foiré… Du coup on est plutôt parti sur des mails plus réguliers où jdis où j’en suis (et que j’arrête de faire le mort continuellement).
Après…it’s the little thing, you know… le side-cut qui repousse et qu’il faut à nouveau tondre (pouvoir sentir le temps passer du bout des doigts, c’est quand même top !). Les plantes qui poussent… et meurent parce que t’as zappé le temps et oublié de les arroser (shit happens). Mais en même temps ça veut dire que le temps passe, I guess. Le cycle des promos dans ton supermarché (bon en vrai ça depuis le covid c’est un peu nimp…)(si on peut même plus compter sur le capistalisme… /s). Une amie m’avait fait des events FB pour que je pense à payer mon loyer. La page du calendrier qu’on tourne. Bref, trouver des repères, des petits, à portée de main, qu’on peut trouver facilement. C’est pas quand t’es rendu à des kilomètres du temps que tu vas pouvoir te raccrocher aux branches… et l’effort pour revenir… alors si tu peux, le temps, c’est comme un chemin à paver. Des signes que tu peux repérer, toucher, compter, autour de toi. Si on peut pas se représenter le temps, faut qu’on puisse le toucher, l’entendre, le voir.
Et puis avec un peu de chance… on arrivera ptet à l’écrire, à un moment.
En attendant : repérer ce qui peut l’être. Évaluer ce que vous pouvez. Certaines choses sont objectives : un emploi salarié, pour la plupart, y a un nombre d’heures précisé. Un RDV médical, on peut estimer son temps + le transport. Si tu te connais bien, tu sais combien de temps il te faut pour lire un article. Etc etc. Pour le reste, perso je fonctionne à vue, en estimant mes limites, en prenant tâche après tâche. Je cumule dépression et délire d’apocalypse depuis un an, autant te dire que le temps, franchement… ça me passe loin, mais alors très loin. Je peux rien faire de plus. Alors je réfléchis pas en temps. Je réfléchis en choses à faire, choses faites. J’avais déjà tendance à faire ça avant, là faire autrement m’est inacessible.
Il est maintenant temps de conclure cet article affreeeeeeeeeeeeusement long, diantre diantre. J’espère que vous aurez pu y trouver des trucs aidants. C’est beaucoup de bricolage, I know. Comme je disais au début, j’avais rien trouvé d’adapté, alors je l’ai écrit. Faut bien que quelqu’un commence, right ? Avec un peu de chance, d’ici quelques années, vous aurez le choix dans plein de récits et méthodes de fols universitaires. J’espère en tout cas. J’en ai marre de voir des fols lâcher l’affaire (parfois dés la licence) parce que nos fonctionnements ne sont pas inclus, car considérés comme incapables d’office.
Aussi, j’avais aussi envie de te dire… Je fais le malin à te dire qu’il faut se respecter, respecter ces limites. Mais on est bien d’accord qu’on a toustes en nous un·e petit L1 qui croit mieux savoir que tout le monde et n’écoute pas les conseils de base. OF COURSE la bête gluante est apparue parce que j’avais dépassé la limite depuis très longtemps (selon mes proches, j’aurais dû être en arrêt dés mai 2019). OF COURSE j’ai forcé sur la rédaction malgré les urges de coupure et OF COURSE j’ai rechuté. OF COURSE ça m’est arrivé de bosser à des heures qui ne permettaient pas le temps nécessaire pour débrancher avant l’heure du coucher. OF COURSE j’ai bossé sur des school shootings alors que j’étais déjà mal rapport à ma propre violence. OF COURSE j’ai planifié des heures de taf avant un RDV médical stressant et OF COURSE j’ai culpabilisé quand sans surprise j’ai pas réussi à bosser.
Shit happens. Tu le sais. Je le sais.
Et jme collerai sans doute d’autres crises psychotiques avant le point final…
MAIS, ce que je veux te dire, c’est que c’est parce qu’il y a des écarts, des moments où on foire, où on se maltraite plus ou moins volontairement, que ça veut dire qu’on est condamné à faire le mauvais choix en boucle. C’est pour ça que même si parfois on merde, même si ces fois-là se répètent beaucoup beaucoup par période, c’est important de quand même faire tout ce taf de repérage, de balisage, d’ancrage. C’est ok de se planter. Toute façon la recherche c’est fait de plantage non ? La folie aussi, I guess. Se planter 30 fois de suite, ça veut pas dire que tu vas pas finir par y arriver à la 31 fois. Ça veut ptet juste dire qu’il y a encore des paramètres que t’as pas repéré.
Courage à toi en tout cas !
We’re all in this together.