Représenter la schizophrénie dans la fiction…

Dandelion
22 min readNov 20, 2022

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Bon à ce stade, vous l’aurez compris, un de mes dadas c’est l’analyse d’oeuvre. Alors forcément quand je croise une fiction qui aborde le thème de la folie, je me retrouve les mains dans le cambouis à tout démonter pour voir comment ça marche… pour mieux constater avec tristesse que souvent, ça marche pas. J’avais fait un thread y a un an pour essayer de lister les différents éléments qui pouvaient faire une fiction correcte ou non dans la fiction. Il est temps de le remettre un peu au propre… Dans ce thread, on évoquait des éléments appartenant à différentes catégories :

  • Le fait qu’une fiction existe dans un contexte, et qu’avec d’autres fictions et le monde qui va avec, elle participe à construire un paysage général. Si on n’est pas responsable de TOUT le paysage, il faut se demander ce qu’on y apporte.
  • Le fait que pour écrire une perso schizo, il ne faut pas oublier d’écrire un personnage en fait.
  • Le fait que souvent, ça se contente d’appliquer une formule sans rien comprendre de ce qu’est la folie et ce qu’on vit.
  • Le fait que schizophrénie, TDI, entente de voix sont la même chose pour vous, et que si oui dans le fond c’est la même chose, c’est pas la même chose comme vous le pensez.

Tous ces éléments ne sont donc pas au même niveau. Aucune fiction n’est parfaite, et tout dépend de ce que vous souhaitez privilégier, de ce qui est important pour vous. On s’en reparle aussi en fin d’article…

Le thread était long. Vous vous doutez bien que l’article ne sera pas court ! (j’essaie de plus en plus de vous faire des parties avec des titres, et des images en repère pour les gens qui veulent lire en plusieurs fois… j’espère que ça vous aide, on fait au mieux !)

Ready ? Go.

Photo en gros plan d’une perche son, avec le micro couvert de moumoute là
Photo by Keagan Henman on Unsplash

La fiction ex nihilo n’existe pas…

Les grands défenseureuses de l’art pour l’art peuvent raconter ce qu’iels veulent (généralement de la merde d’ailleurs), l’art provient forcément d’un contexte qui nous a nourri. On s’inspire de ce que l’on vit, de ce que l’on voit, de ce qu’on a appris, vécu, de ce qu’on voudrait, de ce qu’on espère. Même nos rêves et nos dystopies sont contextuelles. Alors on peut se faire croire autant qu’on veut qu’on est “neutre” ou que notre art n’a rien à voir avec le reste du monde, on se ment. C’est donc important de réfléchir à quel cliché on entretient, et qu’est-ce qu’on met de côté plus ou moins systématiquement.

Voici donc quelques points à réfléchir…

Votre schizo est un homme blanc cis dans la trentaine et tout mince.

Bon en même temps vous me direz, c’est le cas de l’écrasante majorité des persos principaux de n’importe quelle fiction cinématographique. Certes. Au moins sur ce point-là, les persos schizos sont traités comme le reste des persos… Youhou ? I guess ?

Du coup le saviez vous : cette planète n’est pas constituée à 90% d’homme blanc cis dans la trentaine et tout mince (même si le ressenti c’est qu’ils sont à 150% sur cette terre, je vous l’accorde). N’importe qui peut être schizo. Toutefois, il faut avoir conscience que cela touche plus les populations vulnérables : pauvres, minorités de genre, non blanc·hes. D’ailleurs, il y a un sur-diagnostic de schizophrénie chez les hommes noirs.

D’ailleurs, on peut se parler de la folie made in Hollywood ? Ça me fait toujours rire d’avoir des persos fols tout propres sur elleux… Alors qu’entre : les médicaments qui te défoncent l’organisme (notamment avec prise ou perte de poids), l’auto médication notamment par la drogue, les comportements auto-destructeurs, les épreuves de la vie qui marquent… on est loin d’avoir des corps tout bien sculptés et hypra filmographiques. Alors oui, je comprends bien que les gens veuillent de l’esthétique blablabla, mais ces corps ne sont pas les nôtres. Ce qui fait que souvent, cette histoire n’est pas la nôtre. (en tout cas ça joue) Je dis pas que toustes les fols sont moches et difformes ou quoi. Je dis que la plupart des fols n’ont pas des corps très normés, d’une façon ou d’une autre, et pour certain·es moins que d’autres. Nos vies laissent plus ou moins de marques, nos médocs en laissent encore, et la folie impacte notre façon de bouger, de manger, de stimmer, d’être au monde. Du coup, la folie Hollywood toute bien propre sur elle, c’est un peu brrrrr.

Continuer de raconter encore et encore l’histoire d’un homme cis blanc trentenaire tout mince, c’est donc se fermer la porte à une majorité d’histoires.

Mais j’imagine que c’est pas trop grave puisque le cinéma raconte encore et toujours la même histoire, en boucle. Et en général, cette histoire finit mal. Comptez. Combien de fictions avec des persos fols connaissez-vous ? Et sur celles-ci, combien finissent mal ? Il est rare qu’on ait des représentations correctes de la schizophrénie, il est encore plus rare qu’on ait un happy end. Bien sûr, c’est typiquement le genre d’éléments où votre fiction à elle seule ne peut pas tout porter sur ses petites épaules de fictions. Certes. Mais c’est important de prendre conscience de ça : est-ce que vous n’êtes pas sur le point d’encore raconter une histoire qui finit mal pour nous ? Cette récurrence, elle témoigne surtout de votre incapacité à penser qu’on puisse finir autrement que mal. À penser qu’on puisse être fol ET heureux. Qu’on puisse avoir des vies épanouissantes. Si votre premier réflexe c’est de penser “mauvaise fin” pour une fiction avec un perso fol, le problème est peut-être plus profond que juste cette fiction. Ça témoigne de représentations bien plus générales ancrées dans nos têtes.

Et vraiment… nous on en a un peu marre de voir nos histoires finir mal, voire très mal. Le message que ça finit par te foutre dans la tête, il est quand même extrêmement violent…

Ce qui est d’autant plus ironique que souvent, on nous sert des fictions où le sanisme est absent ? Like… how is that even possible ??? C’est très étrange. D’un côté on a des fictions qui nous sortent des persos fols déconnectés du monde, comme par exemple le perso du mathématicien schizo dans Les Noces rebelles. C’est un rôle secondaire qui remplit le trope du fou qui respecte pas les normes sociales et donc peut mettre les pieds dans le plat. S’il nomme bien le fait que tout le monde considère son avis comme nul et non avenu, l’écriture du dialogue fait genre “ceci est normal, meh”. Le sanisme est euphémisé, asceptisé. D’un autre côté, on va avoir des fictions où on reconnaît certes que les persos sont fols, mais iels sont des gentils potits malades mentaux avec lesquels tout le monde est gentil parce qu’il faut être gentil avec les potits malades mentaux qui sont gentils (pas les autres, les autres sont méchants donc méritent leur sort). Tout est rose tout est beau et tout le monde il est bien soutenu et tout le monde il est compréhensif et et et et et… et putain qu’est-ce qu’on se fait chier ! Des persos vides, lisses, irréalistes et oubliables. Le même problème a été soulevé pour les persos LGBT, certes de plus en plus présents, mais souvent dans des versions lisses, sans aspérité, et désespérément vides. À vouloir écrire des persos pas oppressifs, on tombe dans l’extrême inverse où juste les persos sont…. des coquilles vides. On a un peu le même problème pour les persos fols. À vouloir éviter le trope du schizo tueur, on se retrouve avec des persos sans aspérité et surtout sans caractère. Circulez y a rien à voir.

Quand on dit qu’on ne veut pas de sanisme dans nos fictions, on dit qu’on ne veut pas que nos fictions soient sanistes. C’est-à-dire qu’on ne veut pas qu’elles renforcent des stéréotypes sanistes qui nous sont nuisibles. Pour le reste, on ne peut pas complètement retirer le sanisme de nos vies. On aimerait bien hein. Mais c’est une part importante de nos histoires et des difficultés que nous rencontrons. Vouloir le retirer, c’est déconnecter nos folies de leur part sociale, c’est miss the point. Et finalement, encore une fois, c’est ne pas nous raconter correctement. Il faut savoir faire la part des choses. Le sanisme fait partie intégrante des enjeux de nos histoires, de nos folies. Deal with it.

Aucune folie n’existe déconnectée de la société.
Aucune histoire n’existe déconnectée de la société.

Photo d’un bocal en verre vide, à travers lequel on voit le mur et la table sur laquelle il est posé.
Allégorie d’un perso fou non saniste selon le cinéma. [Photo by Kier... in Sight on Unsplash]

Respectez nous merde

Oui j’ai eu envie de séparer ce point des précédents parce que j’ai envie d’insister là dessus. Peut-être que vous connaissez ma passion pour Hellblade (il faut jouer à Hellblade), ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que je regarde régulièrement des streams du jeu… et qu’il est rare que je reste jusqu’au bout. Pourquoi ? Parce que les gens sont insupportables. Ça leur traverse même pas l’esprit que potentiellement, des gens comme Senua (une entendeuse de voix psychotique) soient parmi elleux. Et ça se sent dans leur façon de commenter le jeu, de parler de Senua et ses voix. Et toi t’es là, heureux d’être enfin correctement représenté dans un jeu, et faut que tu subisses les commentaires de merde des gens. Donc bah… tu te barres.

Les créateurices de fiction font souvent cette erreur-là : oubliez que nous faisons partie du monde, et que donc, nous allons potentiellement voir les dites fictions. On en avait notamment parlé pour Bandersnatch qui avait littéralement créé une fiction reproduisant les mécanismes des crises psychotiques sans mettre le moindre avertissement de contenu. Ou comment cracher à la gueule des gens dont tu t’inspires pour mieux les jeter sous le bus. À un moment, c’est aussi une question éthique : si ta fiction met mal les gens que tu souhaites représenter, peut-être y a un problème. Je formule volontairement de manière large parce que ce n’est bien sûr pas propre à la représentation de la schizophrénie. On a le même problème pour la représentation des violences sexuelles ou des lynchages racistes qui relèvent le plus souvent bien plus du torture porn que de la volonté de raconter une histoire.

Montrer n’est pas dénoncer, et c’est souvent à peine raconter. Et on le sait. C’est simplement réexposer des gens à la violence d’une situation. On prétend créer un choc pour faire réagir. Sauf que si on écoutait les personnes que l’on souhaite justement représenter, elles vous le diraient : quand on fout les gens en état de choc, elles se mettent pas à réfléchir ou empatire, elles passent en mode “fight / flight / freeze”. C’est donc peu effectif. La vérité c’est que le spectacle de la violence sert d’autres buts. Et qu’il est important de se poser la question de ces buts… Loin de moi l’idée de dire qu’il faut faire des contenus tout lisses (cf points précédents + je suis le premier à écrire des trucs trash / gores), en revanche, il y a des façons de le faire. D’une part pour que ça raconte vraiment quelque chose (et encore mieux : que ça raconte ce qu’on veut raconter), ne pas retraumatiser les gens qu’ont prétend vouloir mettre en avant, et d’autre part, qu’on ne vienne pas encore une fois ajouter de la violence sur une population qui en subit déjà beaucoup.

Et puisqu’on parle de violence, et qu’on a déjà commencé à l’évoquer au point suivant… S’il y a du sanisme dans votre fiction, arrêtez de faire genre c’est normal et okay. Non, c’est pas okay qu’on subisse des violences parce qu’on est fol. Arrêtez de faire comme si oui ça l’était… On a le même phénomène pour le validisme d’ailleurs. J’en profite pour vous renvoyer vers cette vidéo de Licarion et Matthieu de Vivre avec qui vous analysent le film Me before you et notamment de comment le film justifie la mort des persos handis en mode “c’est normal \o/”.

Et clairement là dessus, validisme, sanisme, même combat. Le nombre de fictions et de gens prêts à justifier qu’il est normal de nous maltraiter, voire de nous tuer, et qu’on doit se considérer comme chanceuxses du peu qu’on veut bien nous donner, ça file la gerbe. Le nombre de fictions qui justifient le pire parce que nos pauvres proches qui doivent tellement souffrir, snif snif. (et ce sans même parler des fictions DES proches SUR NOUS dont on a déjà parlées ici…)

Et au final, ça prouve bien une chose : qu’on est à peine considéré·es comme des êtres humains à part entière puisqu’on fait des fictions entières pour justifier de nous maltraiter. Cool cool cool.

Aller vous faire cuire le cul.

D’ailleurs, puisque c’est des fictions où bien sûr notre agentivité est limitée (pour ne pas dire inexistante), on a très souvent des personnages de psychiatres, ou de soignant·es en général. Des Super Psy qui vont venir sauver notre perso fol \o/ Youhou.

Are you fucking kidding me ? Quand on sait que les psys et soignant·es en général font partie des pires violences qu’on subit, que ce sont des agents de la normalisation à tout prix (ironiquement : ta santé mentale est souvent le prix à payer). Entretenir ce trope, c’est entretenir la légitimation de cette violence.

Et vous savez le pire ?
C’est que vous le savez dans le fond.
Y a combien de films d’horreur / angoisse où il s’avère que c’est le psy le méchant ? Où la mise en HP est utilisée comme une silenciation ? comme une dévalorisation de la parole ?

Vous le savez.
Vous connaissez suffisamment ces tropes pour les reconnaître et les voir venir.
Pourtant quand ça tombe sur les fols, d’un coup, c’est plus les méchants, c’est normal.

Go fuck yourself. Paye ta dissonance cognitive. Ou ton hypocrisie. Pick one.

Who’s the new guy?
I don’t trust him.
Is he going to be a mainstay of our lives?
Is this someone new we’re gonna have to grow to care about?
Why should we root for somone male, straight and white?

Vous avez oublié d’écrire un personnage…

Ça paraît énooooorme comme oubli, et pourtant ça arrive si souvent. Surtout quand c’est pas un personnage d’homme blanc cis hétéro non fol. Dès qu’on sort de ce personnage de base (et donc d’une interchangeabilité incroyable)(j’aurais dû garder ça sous la main, mais quelqu’un avait fait un collage de persos principaux de jeu, et même les gros gamers avaient du mal à les identifier tellement c’était des mecs blancs dans la même tranche d’âge sans réel élément distinctif), ça devient incroyablement difficile d’avoir des vrais personnages. Quand on parle de vrais persos, on est pas en train de dire qu’il faut avoir pensé à TOOOOOOOOUTES les étapes de sa vie, jusqu’à tous les endroits où iels a vécu et la moindre interaction avec ses parents. Mais un perso, ça a une occupation, des objectifs propres, des émotions, des habitudes, des traits reconnaissables… et le tout de façon indépendante des persos principaux (si c’est des persos secondaires notamment). En bref, des choses qui font que potentiellement ce perso est un être autonome et indépendant, et que si on voulait, on pourrait faire tout une histoire dessus.

Je vais pas vous lister tous les tropes de persos vides dès que c’est pas un homme blanc cis hétéro… parce que j’ai sacrément la flemme. Mais combien de persos de bonne copine grosse ? de la pote noire sassy ? du pote gay hyyyyyyper extraverti ? etc etc etc (j’ai dit j’ai la flemme). C’est pas des persos. C’est des tropes vivants et qui sont complètement creux. Pas de persos derrière. Une coquille vide. (et en plus des fois c’est quand même le perso principal oO le désastre est alors total !)

Bien entendu, les persos fols ne font pas exception. Alors comment on se rend compte qu’on a oublié d’écrire son personnage schizo ?

Pour commencer, un trop fréquent : votre schizo fait les choses parce qu’il est schizo / les voix lui ont dit / il est fou. Spoiler alert : c’est pas comme ça que ça marche. Non seulement c’est pas comme ça que ça marche dans la vraie vie (et le fait qu’un fou doive vous expliquer comment marche la vraie vie c’est quand même quelque chose), mais en plus, c’est même pas intéressant dramaturgiquement parlant. Non parce que je les vois venir les “non mais la fiction c’est pas la réalité et faut rendre ça intéressant” et on est bien d’accord là dessus. Sinon ça s’appelle un documentaire… Mais en vrai “oh bah c’est parce qu’il est fou”, c’est juste le niveau 0 de l’écriture. Ça a autant de sens narrativement parlant que “ta gueule c’est magique”. Sauf que là ça devient “ta gueule c’est psychiatrique”.

Le saviez vous ? Même les fols ont leurs raisons. Incroyable mais vrai, je sais… (j’avais dit qu’on enfonçait des portes ouvertes hein) La folie a raisons, les délires leur propre logique. Ce qui implique que 1/ vous ne pouvez pas coller n’importe quelle folie à n’importe quel perso 2/ vous devez prendre en compte des faits biographiques pour construire la folie de votre perso 3/ ses éléments biographiques et cette folie particulière ensemble vont permettre de dicter ses réactions. En bref, il vous faut un perso complet.

Une des milliards de raisons que j’ai d’aimer Legion, c’est qu’aussi relatable que soit David Haller : tu vois bien que c’est homme blanc qui a été socialisé dans un certain milieu (classe moyenne, voire CSP+) et que par la suite on lui a farci la tête qu’il allait sauver le monde. Le fait qu’à la fin on se retrouve avec un perso qu’a un putain de god complex est cohérent avec tout ça. À l’inverse, Senua, que son père a enfermé dans une cave toute sa vie parce qu’elle “était maudite et qu’il devait la purifier” ne PEUT PAS avoir de god complex. Et ça tombe bien, parce qu’elle a des délires de pourrissement. Que David ne peut pas avoir puisque, hors HP, son corps n’a jamais été mis en danger.

Oh bah ça alors.
Voilà. Ça c’est des persos fols correctement écrits et construits, aussi bien dans leur biographie que dans leur folie. Leurs actes ne sont pas motivés par la folie, mais par tout ce qui les pousse en avant… et qui se trouve avoir construit la folie aussi. Ça va ensemble. De ce fait non, c’est pas “ta gueule c’est psychiatrique”. Il y a des motifs.

Et puisqu’on en est là, même si je considère que la folie impacte sur tous les aspects de nos vies et de nos constructions identitaires, ça va quand même être un problème si votre perso n’a / n’est rien d’autre que sa schizophrénie. Votre perso a forcément eu une vie. Iel a des passions, des dégoûts, des émotions, des buts, des envies. Iel a des forces et des faiblesses. Des défauts et des qualités. Un certain rapport au monde et aux autres. Bref, quelque chose en dehors de sa maladie mentale / folie. C’est vrai que c’est pas facile parce que le monde aime justement oublier ça et nous réduire à ça. À rendre tout impossible parce que t’es schizo. À fermer nos horizons. Là encore, un défaut d’écriture qui trahit non seulement la flemme et la médiocrité, mais aussi potentiellement l’incapacité de nous percevoir et nous considérer comme des vraies personnes.

Et d’une certaine façon c’est logique. Parce qu’elles sont les plus gros tropes de la représentation des schizos au cinéma ? Le tueur. Ou le génie.

Nous sommes le plot twist de vos films d’horreur, la menace sourde qui gronde, le danger qui “marche parmi [vous]”. J’imagine que j’ai pas trop besoin de vous expliquer en quoi c’est un problème d’être systématiquement le méchant… avec en plus jamais plus de raison que “ta gueule c’est psychiatrique”… alors qu’on aurait des raisons d’être les villains en fait… mais c’est marrant, c’est jamais celles qu’on voit portrayed dans les fictions…

Ou alors nous sommes le fou qui peut s’autoriser à critiquer, à ne pas suivre les codes, parce que c’est un G-É-N-I-E. Ça peut sembler contre-intuitif parce qu’à la limite celui-là nous présente sous un beau jour, mais à la longue, le manque de représentation de toutes les variables de nos existences est nuisible dans tous les sens. Parce qu’au final, le message qu’on envoie c’est : soit nous sommes des fous dangereux à enfermer et tuer, soit nous devons être des génies pour mériter notre droit à exister et être respecté·es. C’est tout aussi problématique. Le respect des droits humains ne se mérite pas, il est censé être donné par défaut. Ne représenter les schizos et les fols en général que par ces deux extrêmes ça ancre définitivement les discriminations déjà à l’oeuvre dans la vie de tous les jours, et ça participe à les légitimer.

À un moment, il va donc être important de se demander ce qu’on s’acharne à raconter, et pourquoi on le raconte toujours pareil. (on en avait notamment eu un bon exemple dernièrement avec Moon knight, qui malgré le potentiel, s’est contenté de raconter les mêmes conneries que d’habitude)

On montre deux images à quelqu’un en lui demandant la différence entre les deux. À gauche, une attraction type palais des glaces / labyrinthe de miroirs. À droite, l’affiche de Moon Knight. La personne, baptisée Dand, répond “ce sont les mêmes images”.
Je me fais memifié par une dragomauve.

Il faut faire ses devoirs à un moment

Et bien oui parce que pour raconter une histoire correctement, il faut préparer un petit peu. Travailler, tout ça tout ça. Plutôt que de copier sur son voisin. Qui copiait déjà sur son voisin. Qui lui même avait copié sur son voisin. Jusqu’à remonter au voisin originel qui avait pas eu le temps de finir sa copie et avait juste pondu un truc de merde à l’arrache en mode “je rends mon brouillon plein de bave et de ratures parce qu’il faut bien rendre quelque chose”. Et c’est ainsi que notre élève baveux a set up the path pour tout le cinéma. Pauvre de nous. Et personne a l’air de trouver que c’est éclaté… Petit tour d’horizon de ces autres éléments figés dans le marbre de vos représentations mentales (et qui arrivent donc dans les fictions).

Votre perso schizo est forcément médicamenté
… et en plus il a aucun effet secondaire
… et en plus quand il les arrête il pète les plomb (et tue quelqu’un)…

J’espère que vous m’imaginez vous juger très fort, tel le chat perché sur son escalier qui vous regarde de haut, parce que c’est effectivement ce que je suis en train de faire. Non, tous les schizos ne sont pas médicamenté·es. Même qu’on vit mieux sans. Et que si on en prend, ce n’est pas sans conséquence sur la santé. Ensuite… on est un peu usé de la confusion entre effets de sevrage et “non non on peut pas vivre sans traitement c’est la preuve”. La question de la médicamentation est une question complexe aussi bien individuelle (on ne réagit pas toustes pareil aux molécules, elles nous sont parfois imposées, etc) et collective (il y a peu de réseau de soutien et il faut pouvoir aller au travail demain matin à 8h, pression des proches et soignant·es, silenciation d’un autre imaginaire pour les fols, droit à l’autonomie de nos corps, accès à l’information, etc), avec des points qu’en vrai on pourrait mettre dans les deux parenthèses. En bref, il y a beaucoup, beaucoup, beaaaaaaaaucoup à explorer narrativement parlant pour vos fictions à base de persos fous autour de la médication. Va donc falloir faire mieux que “bah les fols ça prend des médocs et puis ça vit en HP et puis voilà”. (non j’ai toujours pas pardonné à Moon Knight, oui je suis toujours très en colère) En plus si bon, tout ça c’est pour en arriver à justifier “et donc bah là il tue des gens”…

bah ça va finir qu’un jour je vais écrire une histoire de perso fou qui bute des cinéastes parce qu’il en a marre qu’on l’écrive toujours pareil et que ça érode sa réalité un peu plus à chaque fois tout ça pour les forcer à dire que non c’est pas parce qu’il est fou. (putain de thèse qui fait que je suis pas en train de faire le NaNoWriMo alors que come on !!! y a une histoire là on est d’accord ? Laissez moi faire un slasher à base de schizo vengeur qui doit passer d’une réalité stéréotypée à l’autre avec pour seule défense sa delusion qu’il y a une réalité qui est la bonne et il peut la trouver)(je m’auto-frustre là, sachez le.)

J’en étais où moi avant d’être grossièrement interrompu par moi…

Autre constante : votre schizo a juste des hallus. Déjà, sachez-le… Tous les schizos n’ont pas d’hallus. Et ouai… Ensuite… Vous savez qu’un film, c’est pas que un spectacle sons et lumières right ? Non parce que sinon faut changer de métier hein. Genre aller créer des feux d’artifice. C’est bien ça chorégraphe de feux d’artifice vous trouvez pas ? Certes, il y a des hallus… mais il y a aussi les délires (qui impacte la vision de son corps, de soi, des autres, du monde, son fonctionnement), il y a l’impact sur la mémoire, la perception du temps, il y a tout l’aspect handicap cognitif, il y a la gestion des émotions… En vrai, le cinéma me fatigue tellement. Parce qu’il pourrait faire tellement mieux. Et qu’il fait de la merde. C’est un art du temps monté et de la création d’image. Et tout ce que c’est foutu de nous pondre c’est “WESH LES HALLUCINATIONS”.

Come on !

Vraiment on mérite mieux que ça. Outre le fait que comme je l’ai déjà dit tout ceci est terriblement insultant, c’est aussi purement et simplement frustrant. Parce qu’il y aurait tellement… tellement… teeeeeeellement plus à faire avec les outils du cinéma ! Sortez vous les doigts du cul merde. Tant de potentiel gâché, ça soule.

Tu peux faire de la superposition d’images et de sons
Tu peux foutre le zbeul dans la timeline
Tu peux dédoubler les gens
Tu peux étendre le temps ou le réduire

Et à la place tu colles des miroirs partout.

Alors même qu’une écrasante majorité des fols ont un rapport extrêmement compliqué avec les miroirs.

Je devienne fou comme dirait l’autre…

Alors on arrête de baver sur sa copie et on fait du vrai travail et des vraies fictions. De suite.

Photo en noir et blanc, très très très très gros zoom sur de l’écume. On la dirait presque solide, comme le liquide des extincteurs. Elle s’éclate sur un fond noir, se dispersant en plein de gouttes épaisses.
Photo by Matt Brockie on Unsplash

Une folie peut en cacher une autre

Dans les devoirs pas faits, il y a bien sûr le fait de confondre toutes les folies : schizophrénie, entente de voix, TDI… alors, qu’on se comprenne bien : je me fiche éperdument de faire la différence entre les trois. J’ai plus envie d’investir de mon énergie en mode “gnagnagna c’est pas la même chose”. Parce que dans le fond, si ça l’est. Mais on prendra le temps de faire un article sur la question un autre jour (trop de choses à faire). Pour le moment, on va rester sur ce qu’on se disait à l’époque quand on écrivait sur Split : on est dans le même bateau parce que toute façon on nous a mis dans le même bateau.

Donc, si politiquement et d’un point de vue pair-aidance je trouve inutile de discerner ces trois éléments, le fait est que les fictions aiment bien se la jouer DSM™ et nommer les choses. Ce qui est un peu problématique quand tu nommes n’importe comment n’importe quoi. Donc, il faut reprendre les bases… parce que quitte à nommer, autant faire ça bien.

Alors, reprenons. Tous les schizos n’entendent pas des voix. Et toustes les entendeureuses de voix ne sont pas schizos. On en a déjà parlé là… (haaa, ce moment où ça fait 4 ans que tu blogues et que tu peux juste renvoyer vers d’autres endroits où t’as déjà expliqué tout ça et gagné un temps précieux !) D’ailleurs, se revendiquer schizo ou entendeur de voix ça dénote deux paradigmes différents : la schizophrénie est un terme psychiatrique, on peut débattre de si oui ou non il est possible de se le réapproprier mais en attendant on ne peut pas vraiment nier que c’est un terme médical. Alors que l’entente de voix est un terme visant à recouvrir une expérience précise et cherche notamment à s’extraire du médical. Là encore, tellement de choses intéressantes à explorer pour votre perso ! Savoir ce qu’un perso va faire de cette étiquette, et laquelle il va préférer, ça en dit bien plus finalement que l’étiquette en elle-même. (Genre dans les comics de Legion, jvous jure depuis les années 60 David il a changé je sais pas combien de fois d’étiquettes médicales sans que sa condition réelle n’ait changé. (un peu comme dans la vraie vie ceci dit) Et dans les runs plus récentes, le perso déclare carrément que nique les diags, juste il est fracassé de la tête et puis c’est tout)(jolème).

Tous les schizos n’ont pas d’hallus. Tous les schizos n’entendent pas des voix. Et quand iels en entendent… non on a pas juste une voix qui fait la gentille et une autre qui fait la méchante. Vous êtes gentils vous êtes mignons, mais c’est un peu plus complexe que ça, même quand elles se répartissent les choses ainsi. Les voix n’ont pas pour but que tu deviennes méchant ou gentil. Elles ont pour but que tu survives. C’est ça qu’elles veulent. Et pour se faire, elles vont tantôt te torturer pour t’obliger à bouger dans un sens ou dans l’autre, ou te réconforter. Mais le but final est le même. C’est pas des partis politiques qui se battent pour ton vote tout ça pour au final juste jouir du pouvoir. C’est complexe. Et là encore, les formes que les voix prennent, leur équilibre, leurs liens, vont varier d’une personne ) l’autre en fonction de leur biographie. Il y a des gens qui n’entendent qu’une voix très définie. D’autres qui en ont des pléthores. Certain·es les entendent de l’intérieur, d’autres de l’extérieur. Etc etc. Tellement de possibilités cinématographiques ! et qui ne sont quasi jamais explorées… gâchis gâchis…

Et puis qu’il faut parler des étiquettes, nous allons bien sûr finir par l’évidente. Folks, il est temps d’aborder l’elephant in the room, LE trope débile qu’on nous ressert à toutes les sauces, j’ai bien nommé (pun intended) : votre schizo a en fait un TDI.

Comme je le disais, personnellement je m’en fous, et j’irai plus me battre pour différencier les étiquettes. Parce qu’à se battre pour ça, ce qu’on a gagné, c’est que maintenant, certes, les étiquettes sont mieux respectées, mais pas les gens qui les portent. La confusion est moins souvent faite entre schizophrénie et TDI. (j’ai dit moins souvent, pas qu’elle l’était plus) Sauf qu’au final, on a toujours autant de persos avec un TDI et dont l’un des alters est un tueur. Je crois pas qu’on puisse mettre ça dans les victoires. Perso, je me sens plus insulté par un perso TDI avec alter tueur que parce qu’on a confondu schizophrénie et TDI…

Narrativement parlant, il y a bien sûr énormément à faire avec des persos TDI. Genre, toute les relations interpersonnelles entre les alters, puis entre le système / les alters et le reste du monde ? Rien que ça vraiment, une mine d’or ! Qu’est-ce que vous nous emmerdez à foutre des tueurs dans tout ce bordel ? Quel est l’intérêt ? Aucun.

All the voices in my head
they be asking me
WHAT WHAT WHAT
All the voices in my head
they be asking me
what do you want ?

De l’art de prioriser

C’était donc une tentative de faire un tour d’horizon des problèmes rencontrées dans la construction des persos fols, notamment schizo. Bien sûr, tout ne se vaut pas, tout n’est pas à mettre à la même hauteur. Tout dépend de ce que l’on veut raconter, ce que l’on veut défendre.

Par exemple, je sais que des amis sont moins gênés par le trope du fou tueur que moi, SI tout le reste est correct, s’il y a des vraies raisons, s’il y a une représentation de la folie pour aller avec. Personnellement ça me gênerait moins si les représentations étaient bien plus variées. Pourquoi pas des persos tueurs si à côté j’ai une multitudes d’histoires pour choisir autre chose.

De même, personnellement, si c’est pour avoir un perso schizo hyper réaliste mais hyper pro-psy qui va nous chanter les louanges des médocs et du systèmes psychiatrique, ça sera sans moi.

Tout dépend de l’histoire qu’on veut raconter. Ce qui signifie qu’il faut qu’on arrête d’envisager la folie, et les fols, comme des éléments de plot twist pour remuer un peu son intrigue quand on est en panne d’inspi. Mais plutôt qu’on nous prenne comme des humain·es à part entière avec leur complexité et leurs histoires propres.

En gros, on aura des persos fols corrects quand on nous considérera comme des humain·es. Et ça aiderait qu’on nous considère comme des humain·es d’avoir des fictions correctes pour nous raconter.

Faîtes vos devoirs.
Et arrêtez de raconter la même histoire en boucle. En plus vous êtes les premier·es que ça fait chier !

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Dandelion

Non-binary French writer, theatre PhD student, metalhead and rain lover. Here, I write about living with schizophrenia. I'm owned by a cat.